Critique - "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma : plutôt "lumineux" ou "décevant" ?

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Critique - "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma : plutôt "lumineux" ou "décevant" ?

"Portrait de la jeune fille en feu" : Adèle Haenel et Noémie Merlant
"Portrait de la jeune fille en feu" : Adèle Haenel et Noémie Merlant
- © Pyramide Distribution

Dans son dernier film, Céline Sciamma transporte Noémie Merlant et Adèle Haenel au XVIIIe siècle : Marianne, artiste peintre, débarque sur une île bretonne pour réaliser de tête le portrait d'Héloïse. Tout un jeu du regard et du désir duquel "Le Masque et la Plume" est sorti divisé, entre admiration et déception.

Le film présenté par Jérôme Garcin

En 1770, Marianne (Noémie Merlant) qui est peintre, doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse (Adèle Haenel), laquelle vient de quitter le couvent et doit épouser un riche Italien, d’abord promis à sa sœur, qui s’est suicidée. Mais Héloïse refuse, et le mariage et de poser. Ce qui contraint Marianne, pour la peindre en secret, à la rejoindre sur l’île bretonne où l’accompagnent sa mère (Valeria Golino) et leur domestique. Un gynécée insulaire, où va brûler le feu des amours interdites. 

Éric Neuhoff estime que c'est un mauvais navet

"Si on aime le titre on trouvera que le film est bien, mais aussi on peut se dire que c'est un titre ridicule, scolaire et con-con, c'est un film complètement empesé, puisqu’il est question de peinture, le vrai titre aurait dû être : "Accroche-toi au pinçomme". 

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La peinture a le temps de sécher car c'est vraiment un exercice de bon élève, elle s'est dit "je vais être Jane Campion", c'est vraiment La leçon de pipeau. Il y a, dans cette histoire de la peintre avec son modèle un suspense insoutenable car, est-ce qu'elles vont coucher ensemble ? Mais oui et on le sait dès le début ! Comme c'est un film féministe, on a le droit évidemment à une scène d'avortement à l'ancienne, vintage, ce n'est pas l’événement remboursé par la sécurité sociale. 

C'est un film chichiteux, on doit se taper cette Mona Lisa bretonne.

Il y a une scène d'un ridicule intense qui se passe une nuit où des femmes chantent des petites vocalises en tapant sur les mains, là, on se pince, on se dit qu'on est chez Max Pécas qui s'amuse

"Portrait de la jeune fille en feu" : Noémie Merlant
"Portrait de la jeune fille en feu" : Noémie Merlant
- © Pyramide Distribution

C'est une copie de khâgneuse, l’héroïne s'appelle Héloïse comme par hasard comme c'est très romantique et romanesque. C'est un film terrible, je préfère "La jeune fille à la perle" qui était un beau navet mais au moins sans prétention et puisque c'est un film qui se passe dans une île de l'Atlantique : "Kenavo mais quel navet ! "

Pour Sophie Avon, le film est "lumineux d'intelligence"  

"Je trouve ce film magnifique, de toute beauté, lumineux, sublime. Je trouve qu'il est d'une richesse incroyable. 

Ce que j'aime, c'est la façon dont, forte de sa plénitude d'artiste, Céline Sciamma arrive à prendre acte de l'absence des femmes dans l'histoire de l'art sans revendications aigres mais, au contraire, avec douceur alors qu'il y avait des peintres. Pour cause, elles n'avaient pas accès à l'anatomie masculine et, de fait, elles étaient écartées des grands sujets de l'époque. 

La façon dont elle propose encore joyeusement, forte de sa propre vocation, de faire de la place à une femme peintre dans son film, je trouve cela magnifique. La manière dont elle décide d'inventer un grand sujet de peinture qui soit purement féministe, inventif, tout en lumière, solaire et toute en proposition. 

Un film sur le souvenir. En interprétant le mythe d'Orphée, elle arrive à dire que l'amour est une chose, certes fondamentale, mais se souvenir d'avoir été aimé et d'aimer est encore quelque chose de plus précieux. C'est lumineux d'intelligence, et incarné, car les deux filles sont formidables : Adèle Hænel est fraîche et l'intensité du regard de Noémie Merlant est vraiment incroyable. "

"Portrait de la jeune fille en feu" : Adèle Haenel et Noémie Merlant
"Portrait de la jeune fille en feu" : Adèle Haenel et Noémie Merlant
- © Pyramide Distribution

Pierre Murat est "déçu" 

"Je suis un peu déçu, je ne sais pas ce qui se passe avec Céline Sciamma... Là c'est un film qui est fait pour montrer le désir. Et lorsqu'il se réalise on est content, certes, mais le problème c'est la montée du désir... 

La mise en scène est un peu froide, presque académique alors que ça devrait être bouleversant...

Ce qui se passe entre les deux actrices devient passionnant à partir du moment où le désir est assouvi. Le film a été fait pour cela, pour ces scènes très belles entre les deux femmes et sur ce qui leur arrive après. "

Xavier Leherpeur admire l'interprétation qui y est faite de l'art universel 

"Je suis tellement d'accord avec Sophie que je n'ai même pas envie d'en rajouter, elle a tellement bien parlé du film avec l'intelligence qui a manqué à nos deux petits camarades [ndlr : Éric Neuhoff et Pierre Murat]. Si effectivement, pour vous, la finalité du film c'est de se demander est-ce qu'elles vont ou pas se lécher le minou, là franchement, excusez-moi du peu mais c'est que vous êtes passés à côté...

J'aurais aimé être une femme en fait ! 

Tout repose sur la peinture, elle n'a pas le droit de la peindre frontalement, elle ne peut qu'enregistrer le corps, les émois, la finesse, la silhouette de cette femme, essayer du moins, quand bien même elle n'y arrive pas au début, elle est platonique, elle n'esquisse que des choses informes qui n'ont pas de personnalité, qui n'ont pas de volume, des choses qui n'ont pas de relief, c'est très beau, elle n'a pas le droit de la faire poser donc elle la "repose", elle la regarde, c'est le moment où elle assume son désir que la peinture se libère. 

C'est tellement universel et beau de tout ramener à un art dont les femmes étaient privées à l'époque pour en raconter l'universalité, c'est-à-dire de tomber amoureux et de s'en interdire, jouer de cette rétention que vous [Éric Neuhoff et Pierre Murat] avez confondue avec de la froideur, c'est normal vous êtes vieux. C'est retenu, c'est claquemuré, ça raconte le social de l'époque, la place de la femme... Le film est magnifique. "

Le film

► Sortie en salles le 18 septembre 2019. Il s'agit d'un film dont France Inter est partenaire.

🎧 Écoutez l'ensemble des critiques échangées à propos de ce film sur le plateau du Masque et la Plume :

"Portrait de la jeune fille en feu", de Céline Sciamma : les critiques du Masque et la Plume

8 min

Chaque dimanche à 20h, retrouvez les critiques du Masque et la Plume, réunis autour de Jérôme Garcin, pour parler cinéma, théâtre ou littérature.

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