“Cyberviolences conjugales” : quand le numérique devient une arme pour les hommes violents
Par Lisa Guyenne
Pour la première fois, un rapport se penche sur l’incidence du numérique sur le quotidien des femmes battues. Harcèlement par messages, comptes bancaires piratés, espionnage de téléphone : les moyens de pression sont nombreux et vont presque constamment de pair avec les violences physiques.
Des messages, incessants, toutes les deux minutes. “T’es où ?” Des menaces, lorsque l'on ne décroche pas assez tôt. “Réponds !!!” Les violences conjugales ne sont pas que physiques, elles sont aussi psychologiques. Et l’avènement des nouvelles technologies constitue une arme supplémentaire pour les conjoints violents. C’est ce que le centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes, démontre dans un rapport consultable en ligne.
Sept femmes battues sur dix sont aussi victimes de harcèlement par téléphone et sur les réseaux sociaux
En 2017, le centre a collecté les réponses de 212 femmes qui avaient été victimes de violences conjugales, via des questionnaires distribués dans des structures d’accueil (associations spécialisées et unités médico-judiciaires). À partir des réponses, le rapport identifie cinq formes de cyberviolences.
Le contrôle et le harcèlement par téléphone ou sur les réseaux sociaux sont donc très largement répandus parmi les victimes de violences conjugales : elles sont entre six et sept sur dix à l’avoir subi. Une donnée surprenante ressort aussi des témoignages de ces femmes : 30 % d’entre elles se feraient pister par leur conjoint, à l’aide de la géolocalisation… ou de logiciels d’espionnage.
L'espionnage à distance, redoutablement simple d'utilisation
Installées parfois à l’insu des victimes, ces applications peuvent permettre de tracer les moindres faits et gestes du propriétaire du téléphone : déplacements, mais aussi appels, SMS, e-mails, photos...
Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert, explique ce phénomène : “Dans l’engrenage de la violence, les hommes cherchent toujours ce qu’ils peuvent faire en plus pour avoir une emprise totale sur leur conjointe. Donc, dès que le numérique est arrivé, des logiciels espions ont commencé à débarquer sur Internet et certains les ont exploités tout de suite !” À l’origine, la plupart de ces applications sont présentées comme un moyen de surveiller les trajets de son enfant, lorsqu’il se rend à l’école seul par exemple. “Il est très facile d’en détourner l’usage pour suivre sa compagne”, complète Marie-Pierre Badré.
Ces logiciels sont faciles à obtenir. Nous avons fait le test sur le Google Play store : il suffit de taper les premières lettres de “espionner” pour tomber sur une multitude de suggestions.

Exemple : l'une de ces applis promet par exemple de lire les SMS de ses proches sans être vu, une autre de “surveiller les téléphones mobiles à distance et en temps réel”... Une autre enfin ose : "Prenez soin de votre bien-aimé."

Souvent invisibles aux yeux des victimes, ces logiciels ne leur laissent plus aucun espace privé. Mais au-delà de cette emprise, les risques de violences - physiques, cette fois - qui découlent de ces comportements sont bien réels.
"La première chose à faire, c'est de changer de téléphone"
Aujourd'hui, en France, un meurtre sur cinq est lié à une violence conjugale. Et 80 % des femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint le sont au moment de la séparation, ou juste après. Or, les outils numériques peuvent permettre aux conjoints violents de retrouver facilement la trace de leur victime.
Si Marie-Pierre Badré estime aujourd’hui que “les lois sont adaptées” en matière de numérique, elle espère que des avancées pourront être faites en matière de prévention. “Il faut donner des outils à ces femmes.”, plaide-t-elle. “La première chose à faire après une séparation [avec un conjoint violent], c’est déjà de changer de téléphone. Il faut aussi que les opérateurs puissent vérifier et au besoin désinstaller les logiciels d’espionnage.” De plus, lorsque les femmes trouvent refuge auprès d’association, ces structures doivent aussi trouver des moyens de protéger leurs échanges avec les victimes.
On a découvert que les ex-conjoints avaient trop souvent la possibilité de les retrouver. S’ils parviennent à entrer dans les conversations, ils peuvent savoir où est hébergée leur ex-compagne, connaître ses déplacements…
Le centre Hubertine Auclert espère donc, par ce rapport, “alerter la société” sur ces phénomènes encore nouveaux et méconnus. Et demande à ce que soient créées des réponses communes et concertées, pour mieux les identifier et mieux les stopper.