Dadou, Mamoune, Granny... pourquoi les grands-parents ne veulent plus de Papi et Mamie ?
Par Camille Abbey
On entend de moins en moins de grands-parents se faire appeler papi et mamie. Est-ce le signe d'un changement de rôle ou d'une volonté de se démarquer des autres ?
Papou, Babouchka, Nono, Manou... les grands-parents ne manquent pas d'imagination lorsqu'il s'agit de se trouver un nom. Les noms en "a" et en "o", comme les prénoms qui se donnent en masse actuellement aux bébés, ont la cote. Mais ce sont parfois les petits-enfants qui choisissent ces dénominations, à la faveur de petits problèmes d'élocution – difficile quand on a deux ans de dire grand-mère, avec tous ces "r" roulants – ou de petites histoires sympathiques.
Nombreux sont désormais les grands-parents à vouloir avoir un petit nom original, car papi et mamie, c'est "pour les vieux", et que la nouvelle génération n'a plus grand-chose à voir avec les pépères et mémères d'autrefois, avec cannes et fichus, installés sur une chaise au coin du feu, fatigués par la vie. Les grand-pères et grands-mères d'aujourd'hui sont dynamiques, et veulent que ça se sache !
D'où nous vient cette épidémie de nouveaux noms pour les grands-parents ? De quand date-t-elle ? Que veut-elle dire de cette génération de grands-parents qui entretiennent des relations nouvelles avec leurs petits-enfants ?
De pépé et mémé à papi et mamie ?
Avant les années 1950, il y avait plusieurs appellations pour les grands-parents. Béatrice Coppey-Royer, psychologue clinicienne, autrice de Grands-parents, le maillon fort (Albin Michel), nous explique que c'était certes générationnel, mais que ça dépendait aussi des milieux sociaux : "C'était beaucoup pépé et mémé. Mais dans les milieux un peu bourgeois, c'était beau-papa et belle-maman, ou grand-père et grand-mère." Il y a d'ailleurs des persistances aujourd'hui encore, comme dans la série Fais pas ci, fais pas ça, dans laquelle les parents très traditionnels de Renaud Lepic, sorte de famille Le Quesnoy dans La Vie est un long fleuve tranquille, sont appelés "bon-papa" et "bonne-maman".
Avec l'arrivée de papi et mamie dans les années 1980, petits noms issus de la culture anglo-saxonne, nombreuses sont les personnes adultes à appeler actuellement leurs grands-parents ainsi. Mais voilà, depuis quelques décennies, les "granps", considérés parfois comme des "boomers" par les millennials, se sentent en fait encore très jeunes, et ne veulent pas se voir affublés de noms qui ne correspondent pas à leur état d'esprit et à la relation particulière qu'ils entretiennent avec leurs petits-enfants.
Papi et mamie, ça "fait vieux"
Certains grands-parents ne se reconnaissent pas dans ces appellations, car elles connoteraient une idée de vieillesse. Cela fait environ 15-20 ans que papi et mamie ne sont plus très usités au profit de nouvelles appellations. Les grands-parents se sentent jeunes et ont des profils différents, comme nous l'explique Béatrice Copper-Royer : "Les grands-parents ont terriblement évolué. On est quand même en meilleure forme et en meilleure santé qu'au siècle dernier, et ils n'ont pas du tout le sentiment d'être de vieux croûtons. Ils sont très contents d'être grands-parents de façon assez générale. C'est une grande joie, mais ils peuvent exercer leur rôle de grands-parents de façon assez différente. En revanche, ils veulent effectivement garder un côté un peu jeune et ne pas être stigmatisés par une dénomination qui est très vieillotte."
Manon raconte qu'avant la naissance de sa petite Alix, son père lui a dit qu’il ne souhaitait pas qu’on l’appelle papi car cela faisait "trop vieux" : "Mon père a toujours eu un peu de mal avec le fait de vieillir, il dit toujours qu’il se sent comme un ado (il a 61 ans). Pourtant, quand je lui ai annoncé être enceinte, il a été très content, et très heureux d’avoir bientôt ce nouveau rôle, celui de grand-parent." Dans une autre famille, Annie-France, 74 ans, qui n'avait même pas 50 ans quand elle est devenue grand-mère, ne voulait pas se faire appeler mamie ou mémé, car elle se souvenait de sa propre grand-mère qui n'avait pas voix au chapitre et c'est un modèle qu'elle rejetait.
L'on vit de plus en plus vieux, donc les différentes générations doivent se démarquer. Lorsque les arrière-grands-parents sont appelés papis et mamies, il faut trouver des noms pour se différencier. Les grands-parents veulent aussi se démarquer des grands-parents de la belle-famille, et avoir leur nom bien à eux. Béatrice Coppey-Royer explique : "Il n'y a plus un seul profil de grands-parents. Il y a des grands-parents divorcés, séparés... Il y a donc des beaux-grands-parents." Il peut aussi y avoir des couples de papis et des couples de mamies.
Emmelyne et Philippe ont choisi des surnoms originaux car papi et mamie, c'était "trop commun" et grand-mère et grand-père trop "solennels".
D'où viennent ces nouveaux noms ?
Certains choisissent tout simplement d'être appelés par leur prénom. Comme Jacques, qui a voulu que ses petits-enfants l'appellent ainsi, ce qui a d'abord donné "raque" quand ils étaient petits puis Jacques quand ils ont pu le prononcer. Plus fréquemment, les grands-parents se choisissent au préalable un sobriquet. Cela peut avoir un lien avec leur prénom, comme Philou, 67 ans (au départ Philippe, "qui fait souvent des blagues"), et Mamelyne (Emmelyne, surnommée par ses amis Melyne, a souhaité être la Melyne de chacun de ses petits-enfants).
Manon nous raconte aussi que le choix de nom pour son père a été le fruit de pas mal de réflexions, avant qu'ils ne tombent d'accord sur "papé", sorte de contraction entre papi et pépé. Elle nous explique aussi qu'il y a un lien avec elle : "Papé, c’est comme le papé dans 'Manon des sources'. Mon prénom vient – en partie – de cette œuvre." Un joli fil relie donc les noms dans cette famille.
Le choix du surnom peut permettre une transmission familiale, avoir une signification toute particulière. Elizabeth, 72 ans, et François, 71 ans, qui sont d'origine espagnole – arrivés jeunes en France – ont demandé à ce que leur petite-fille les appelle Abuelo (grand-père) et Abuelita (petite grand-mère), pour transmettre un héritage linguistique, et ainsi rappeler fréquemment leurs origines familiales.
Parfois, ce sont les premiers enfants qui choisissent un nom, en rapport à une petite histoire, ou à un défaut de prononciation. Annie-France, 74 ans, n'a pas vraiment choisi son nom. Elle se fait appeler "Babou", depuis que l'aîné de ses petits-fils l'a dénommée ainsi en essayant d'imiter le bruit d'un jeu sur ordinateur qui disait "Bad Move". Et puis c'est resté et ça s'est transmis à tous les petits-enfants.
Suzanne Vallières, psychologue, explique dans Grand bien vous fasse, que les enfants peuvent eux-mêmes choisir : "Je pense que ce sont souvent les enfants qui décident comment ils auront le goût de nous appeler, même si on veut leur imposer un titre plus qu'un autre, ce sont eux qui ont le dernier mot."
Certains irréductibles de mamie et papi
Certains restent sur les classiques papi et mamie tout de même, comme Nicole Prieur, essayiste et thérapeute, spécialiste des relations familiales, qui explique dans Grand bien vous fasse : "J'ai voulu faire très simple. C'est passé auprès des enfants, et on nous appelle papi et mamie."
Anaïs nous explique que ses parents, d'abord très réticents quant aux appellations papi et mamie ont finalement accepté, de bonne grâce, cette nomination : "Mes parents, surtout ma mère, étaient contre absolument. Et puis il y a eu la vie... L'incertitude finalement d'être grands-parents. Le temps qui passait. La perte d'un bébé. Et tout ce vécu a éloigné cette question. Maintenant, ils sont d'accord pour se faire appeler papi et mamie." La peur de ne pas endosser ce rôle de grand-parent a fait que finalement ils ont bien voulu cette dénomination "classique", qui est claire quant au statut auquel il réfère.
Marie-Pascale, 64 ans, se sent très à l'aise avec le fait d'être appelée mamie, comme elle nous l'explique : "Il y a beaucoup de gens qui ne veulent plus se faire appeler mamie parce que c'est ringard alors que je trouve que c'est bien. Ça devient presque original finalement, mamie." Elle ajoute, concernant l'idée de vieillesse : "J'ai l'âge d'être grand-mère. On est grand-mère, il faut l'accepter."
Une nouvelle génération de grands-parents
Aujourd'hui, les grands-parents ne sont plus que grands-parents, beaucoup sont encore actifs, et ils peuvent avoir des profils très différents. L'on comprend ainsi cette volonté d'avoir un nom qui représente cette vie encore riche. La diversité de noms montre aussi la diversité de façons de voir ce rôle, comme nous le dit aussi Béatrice Coppey-Royer : "Il y a des grands-parents qui ont des enfants qui vont beaucoup demander, qui vont attendre beaucoup des grands-parents, d'autres moins, d'autres qui ne sont pas là, qui sont à distance et des grands-parents qui ne veulent pas trop s'impliquer parce que souvent ils sont très actifs. Parfois, ils ne sont pas actifs, mais ils ont une joyeuse retraite, et n'ont aucune envie de se transformer en nounous. Il y a tous les cas de figure."
Ces nouveaux noms sont aussi le signe d'un lien souvent fort, ou en tout cas avec plus de proximité qu'auparavant. Transparaît également une grande affection réciproque, comme l'indique Béatrice Coppey-Royer : "Il y a une certaine proximité et les rapports ne sont pas les mêmes qu'autrefois. Par exemple, souvent, les grands-parents, on les vouvoyait et il y avait quelque chose d'une certaine distance quand même. Maintenant, il y a beaucoup moins de distance, sans même parfois que l'on s'en rende compte. Les petits-enfants parlent de façon beaucoup plus familière à leurs grands-parents qu'autrefois. Ce n'est pas qu'ils ne les respectent pas, mais il y a un lien affectueux qui tient à une moindre distance quand même." En effet, on image mal des enfants vouvoyer leur Mamounita...