Darknet, espionnage, terrorisme : les romans cyber désormais récompensés par un prix littéraire
Par Christine Siméone
Un nouveau prix littéraire vient s'ajouter au millier de récompenses déjà existantes : le Prix du roman Cyber Agora 41 décerné par l'Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information. Il couronnera un roman français ou étranger dont l'histoire est inspirée par le monde numérique.
Avant la déferlante des grands prix littéraires, Goncourt, Femina, Medicis, un nouveau venu vient faire sa place dans le paysage éditorial. Le prix du roman Cyber Agora 41 n'est pas un prix décerné par des professionnels de la littérature, et qui fait fi du calendrier des sorties en librairies.
Si la cybernétique est la science du mouvement et de sa maitrise, parler de cyber aujourd'hui ne désigne plus seulement le monde de la science-fiction. Il s'agit plutôt des conséquences bien réelles, générées par l'usage des outils numériques. Désormais nous sommes tous connectés, tous maillons de la Toile, tous abrités, par le biais de nos données, dans des serveurs et des nuages. Il n'y a pas de raison que seuls les ingénieurs en informatique, les as du code, et les datas managers y comprennent quelque chose, et surtout qu'ils restent les seuls maîtres de cette nouvelle ère dans l'histoire de l'humanité.
C'est dans cette logique qu'est l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi). Cette agence est loin d'être un club de poètes, ou un think tank de la littérature, au contraire, c'est plutôt du coté de la cybersécurité qu'on la trouve, comme quand il s'agit de retrouver les traces de Pegasus dans les smartphones de journalistes. Pour élargir ses horizons et ses recherches, elle a d'abord créé l'Agora 41, groupe de réflexion de personnalités venus de différents horizons, sur la transformation numérique. Les quarante-et-une personnalités qui composent ce groupe, universitaires, magistrats, philosophe, artiste, et dirigeants de grands groupes industriels, échangent sur l’imaginaire, la régulation du cyberespace, les talents pour le cyberespace, l’écosystème ou le cyber moi.
L'imaginaire des mondes connectés
Poursuivant ce souci de réflexion pluridisciplinaire, l'Anssi vient aussi de créer un prix littéraire destiné à récompenser des œuvres de fiction prenant en compte l'univers numériques. Pour Philippe Lavault, chef des ressources extérieures, il s'agit de voir "comment l'imaginaire, comment les artefacts que nous y plaçons volontairement ou pas, peuvent aider à la construction de la pensée et de la réalité de demain ? Et toujours par souci d'ouverture, pourquoi ne pas capter des perceptions différentes, des imaginaires nouveaux ?"
Il ne s'agira donc pas forcément de distinguer des romans de science-fiction, ou de romans geeks, mais au contraire de voir comment, et avec quel talent, les auteurs de fiction s'emparent de ces univers cyber.
Pour en juger, Philippe Lavault a composé un jury éclectique, autour de Guillaume Poupard, président de l'Anssi, avec certains des membres de l'Agora 41, accompagnés de Philippe Robinet, Président Directeur Général des Éditions Calmann-Lévy, et Delphine Chène, PDG de la Revue Afrique. Il y a finalement très peu de membres habitués des jurys et du monde littéraire.
"Il a été demandé à tous les éditeurs de nous envoyer les romans qui leur semblaient relevé" explique Philippe Lavault, "nous en avons reçu 19. Un premier tri nous a permis d'en faire émerger neuf". Ce ne sont pas les livres de la rentrée littéraire, car le prix du roman Cyber, qui sera remis le 4 octobre, ne prétend pas pour autant récompenser les talents à peine arrivés en librairie. En revanche, la sélection choisie promet du sang, des larmes et parfois quelques sentiments.
Quand les hackers sont aux commandes
Dans Comme un empire dans l'empire, paru chez Flammarion, Alice Zeniter, interroge la défiance vis-à-vis de la politique en suivant une hackeuse et un assistant parlementaire. Ils se placent tous deux en résistance par rapport à des tendances ou des systèmes plus grands qu'eux. L'écossais Chris Brookmyre promet aussi une visite dans les coulisses du hacking, et est en compétition avec Les ombres de la toile (Métailié). Piratage encore et toujours au programme de Camille, le hackeur imaginé par Tancrède Voiturier, dans Piraterie, chez Grasset. Il découvre que la sonde Voyager n'est pas perdue dans l'espace. Depuis l'ISS les astronomes sauront-ils quelle force, ou quelle intelligence, pousse Voyager à revenir sur Terre.
Le darknet, l'au-delà de l'horreur
Les jurés préfèreront-ils l'horreur décrite dans le polar espagnol de Carmen Mola, Le Réseau pourpre (actes sud), plongée parfaitement documentée dans le monde des "snuff movies", ces films clandestins diffusés sur le darknet, à l'usage de voyeurs prêts à payer des fortunes voir des êtres humains torturés et tués. Le darknet est également le décor du roman du Britannique Tom Chatfield, dans Bienvenue à Gomorrhe, où l'on croise des réseaux néonazis. Le livre est paru chez Hugo Thriller et a déjà été couronné du Prix Douglas Kennedy.
Prix Cognac du meilleur livre francophone, Sauve-la de Sylvain Forge (Fayard), commence comme une histoire banale. Alexis Lepage, agent d'assurance, est sur le point de se marier lorsque Clara, son amour de jeunesse, lui adresse un sms et le supplie de retrouver sa fille. Sylvain Forge n'est pas seulement écrivain, il est un spécialiste de cybersécurité. Les jurés sauront surement mesurer sont talent dans ce domaine. Dans Le silence de Manon, Benjamin Fogel tisse quant à lui une dystopie dans un monde où le cyberharcèlement est exacerbé (Rivages).
Amazon a-t-il un fantôme de fiction ?
Dans Face Mort, de Stéphane Marchand, paru chez Fleuve Noir, c'est la reconnaissance faciale le pivot de l'histoire. Là il s'agit de recouper toutes les données concernant des terroristes du monde entier, et permettre à l'armée française et à ses espions de les neutraliser. Chez Robert Lafont, le prix Cyber a sélectionné MotherCloud de Robert Hart. MotherCloud, c'est un géant de l'e-commerce, qui a vampirisé l'économie, et qu'une espionne va essayer d'infiltrer afin de la détruire.
Le prix sera annoncé le 4 octobre et l'un de ses auteurs remportera donc les 3 000 euros qui vont avec. En lisant ces histoires, fictions si bien documentées, ce sont les nouvelles aventures de l'humanité, comme la conquête de nouveaux territoires, que l'on explore, avec leurs espérances et leurs grands périls.