David Dufresne : "Une partie de la réalité (les violences sur les manifestants) est totalement occultée"

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David Dufresne : "Une partie de la réalité (les violences sur les manifestants) est totalement occultée"

David Dufresne le 18 mars 2019 au micro de Sonia Devillers
David Dufresne le 18 mars 2019 au micro de Sonia Devillers
© Radio France

Depuis le début du mois de décembre, le journaliste indépendant David Dufresne recense les blessés lors des manifestations de “gilets jaunes”. Son travail a été primé lors des Assises du journalisme à Tours (Indre-et-Loire).

C’est un “grand prix” qui a été remis à David Dufresne, journaliste indépendant, ancien journaliste de Mediapart. Les Assises du journalisme de Tours ont décidé de récompenser son travail : désormais 540 tweets de signalement envoyés, depuis le mois de décembre, au ministère de l’Intérieur sous le mot clé “Allô Place Beauvau” à chaque manifestant blessé par les forces de l’ordre. Spécialiste des questions de maintien de l’ordre, ancien journaliste de Mediapart, David Dufresne explique sa démarche journalistique sur France Inter, invité lundi matin de l’Instant M avec Sonia Devillers.

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SONIA DEVILLERS - Vous avez recensé des blessés, victimes de violences policières, les types de blessures (tête, œil, mains), les insultes, les menaces, les arrestations dégradantes et les téléphones portables confisqués et cassés. La violence policière est-elle polymorphe, plurielle ?

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DAVID DUFRESNE - “Je m’y suis intéressé, tout début décembre, quand j’ai vu que circulaient sur les réseaux sociaux des images épouvantables de mutilés. Parce que c’est bien de mutilés que l’on parle : je recense 23 personnes qui ont perdu un œil, cinq qui ont perdu une main. Parce que la police française utilise des armes qui sont catégorisées en armes de guerre par le code de la sécurité intérieure : le Lanceur de balles de défense (LBD), la Grenade lacrymogène instantanée (GLI F4). À ce moment-là, ces images, ces mutilations n’étaient pas répercutées dans les médias de masse. J’ai donc recensé ces blessures parce que j’étais sidéré par la violence policière polymorphe, en effet, mais aussi par la complicité coupable des médias.”

L’image est-elle déterminante dans votre travail ? Il y a des témoignages écrits, des attestations médicales, mais il y a toujours l’image… D’autant que tout le monde filme tout le monde. 

“Je ne peux pas courir après toutes les informations, je suis tout seul. Beaucoup de gens filment et photographient. Mais ces violences ne sont pas nées en novembre 2018 avec les ‘gilets jaunes’. C’est un mal qui ronge la police française depuis 20 ou 30 ans et notamment en banlieue. Sauf que ce n’est pas documenté, pas filmé.

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Nous avions jusqu’ici une vision policière des émeutes. De tout temps, la presse et les caméras étaient situées derrière les policiers pour être protégées. Donc les spectateurs recevaient les pavés. Aujourd’hui, il peut les recevoir - BFM est toujours là - mais il peut aussi recevoir les coups de LBD, de matraque. On a une vision beaucoup plus complète de ce qu’est une manifestation dure et difficile et c’est aussi là que l’on voit qu’en France, le problème du maintien de l’ordre est criant. Cette guerre d’images rétablit la réalité. Il y a une partie de la réalité, les violences sur les manifestants, qui est totalement occultée, qui va être totalement niée par le ministère de l’Intérieur, Emmanuel Macron et Édouard Philippe qui vont pouvoir attendre un mois et demi, grâce au silence médiatique.

Les policiers, eux, obéissent aux ordres, utilisent les armes dont ils ont la dotation. La discussion portée par l’ONU, le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, c’est celle de la dotation de certaines armes comme le LBD qui ne sont pas utilisées dans le reste de l’Europe. Donc évidemment, nous interrogeons la volonté politique. Elle a fait un choix, celui d’aller à la confrontation.” 

Vous avez choisi Twitter pour interpeller et poster chacun de ces faits, mais il y a également Mediapart, dont vous êtes un ancien journaliste, qui publie une vaste infographie récapitulant tout le travail depuis le 4 décembre. Elle a été réalisée avec un développeur, un infographiste, un cartographe. Fallait-il en passer par là : la data, le recensement et le chiffrage ?

“Oui, pour une raison toute simple : nous sommes passés à une phase d’industrialisation de la violence. Et je pèse mes mots ! Quand on en est à 500 blessures, plus de 200 personnes frappées à la tête dont 110 par des tirs de LBD, 110 cas complètement interdits parce qu’on ne doit absolument pas viser la tête, 23 personnes qui ont perdu un œil, cinq une main...

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Au départ, je n’avais pas choisi cette méthode mais j’ai été sidéré par ce que j‘ai vu, la violence policière. J’étais consterné, révolté et crédule : je pensais que ça allait s’arrêter. Parce que j’ai autre chose à faire que passer 20 heures par jour à vérifier toutes les vidéos, photos, certificats qu’on m’envoie. (...) 

Des violences policières, il y en a tous les samedis et les gens qui sont blessés, mutilés ne sont pas poursuivis, ne sont pas des casseurs mais des manifestants. Mais la République ce n’est pas la loi du talion. Quand Emmanuel Macron dit qu’on n’a pas le droit de parler de violences policières, où est-on ?

Après, si le journalisme c’est être neutre et accepter le statu quo, on comprend pourquoi il est passé à côté des ‘gilets jaunes’. Je sais qu’il y a des discussions dans les rédactions entre les reporters qui voulaient parler de ces violences et ne pouvaient pas parce que les directions n’y croyaient pas. Ce que j’aime dans Internet c’est qu’il y a un contre-pouvoir et pour moi, il n’y a pas de journalisme digne de ce nom sans cette volonté de contre pouvoir.”