De la fermentation aux vaccins : comment Pasteur a-t-il révolutionné la microbiologie ?

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De la fermentation aux vaccins : comment Pasteur a-t-il révolutionné la microbiologie ?

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Découvrez comment Louis Pasteur a révolutionné la compréhension des microbes durant l'époque industrielle
Découvrez comment Louis Pasteur a révolutionné la compréhension des microbes durant l'époque industrielle
© AFP - Bettmann / Contributeur

À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, voici une petite rétrospective des prouesses scientifiques établies par Louis Pasteur. Celles qui lui ont permis de rendre l’infiniment petit infiniment grand, en tant que pionnier dans la compréhension des microbes et la lutte des maladies.

De la chimie à la biologie : un savant éclectique

Si de son vivant Pasteur est entré dans la légende pour avoir vaincu la rage, par l'invention du vaccin, et si la plupart d'entre nous le connaissons essentiellement pour cette prouesse scientifique, son apport aux sciences s'inscrit bien au-delà.

À l’origine, ce scientifique jurassien est chimiste, spécialisé dans la science des cristaux. De ses premières expériences menées sur deux cristaux spécifiques, constitués des mêmes atomes, il constate que, pourtant, ils ne renvoient pas la lumière de la même façon. C’est ce qu’il appelle "la dissymétrie moléculaire". Un phénomène physico-chimique qui devait résonner avec ses futures recherches et le mener à la biologie. Puisqu'il constate déjà une forme de multiplicité complexe des micro-organismes qui nous entourent et agissent différemment selon leur composition.

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Mais se serait-il lui-même douté un seul instant qu’il révolutionnerait un jour la connaissance des micro-organismes au point de devenir le père d’une nouvelle discipline - qui avait seulement été supposée par ses pairs avant lui, mais jamais vérifiée, surtout pas expérimentalement : la microbiologie. Certes, il n'est pas à l'origine de l'idée puisqu'elle est aussi ancienne que la microscopie, de même que les prémices de la vaccination qui remontent à l'exploit d'Edward Jenner à la fin du XVIIIe siècle, mais c'est bien lui qui est le premier à écrire noir sur blanc les preuves décisives de la potentielle nocivité des micro-organismes. Ce n'est pas le découvreur mais celui qui prouve grâce à la méthode expérimentale le rôle des micro-organismes sur le cycle de la vie. C'est grâce à elle qu'il est devenu l'une des plus grandes figures internationales de la recherche scientifique et médicale, sinon le père des sciences modernes.

C’est lorsqu’il devient professeur de chimie et doyen de la faculté des sciences de Lille en 1854 que son destin de savant le mène à ses études sur les fermentations puis, à fortiori, sur les maladies infectieuses auxquelles ses théories étaient transposables. Comme le ferment, les microbes sont eux-mêmes d’autres types de ferments, et avant tout des êtres vivants microscopiques. Mais avant ça, c'est grâce à lui qu'on brasse aussi bien la bière, qu'on conserve aussi bien le vin et tout un tas d'autres produits de consommation.

"La théorie des germes" en pleine fermentation

La vie est le produit de fermentations et les fermentations sont une œuvre de vie

À partir de la fin des années 1850, il donne, sans le savoir vraiment, naissance à la microbiologie (ou Théorie des germes) en publiant de nombreuses Études sur les fermentations (lactiques, alcooliques) dans lesquelles il démontre qu’elles sont le fruit d'organismes vivants. En effet, il observe que l’urine, le vinaigre, la bière ou encore l’alcool de betterave sont fermentescibles parce que les constituants propres à leur combinaison biologique s'altèrent soit au contact de l'air (qui apporte d’autres organismes microscopiques qui procèdent à leur altération) ; soit à l’abri de l’air (puisque chaque ferment vit aussi en provoquant, au contact du sucre, une réaction chimique qui libère les substances dont elle a besoin pour se nourrir et provoquer l'alcool).

Déconstruction du dogme des générations spontanées

Aussi, depuis longtemps, l'origine des microbes faisait l’objet d’un grand débat au sein de la communauté scientifique, et l’un des grands exploits de Pasteur est d’avoir démenti la théorie ancestrale sinon millénaire de la génération spontanée, la grande vulgate scientifique selon laquelle la vie ne pouvait apparaître que spontanément, à partir de rien.

C’est ainsi que Pasteur entretient une véritable querelle scientifique face au biologiste Félix Archimède Pouchet (1800-1872), grand défenseur de la thèse des générations spontanées. Face à lui, Pasteur prouve que la fermentation, quelle qu’elle soit, est une œuvre de vie et résulte de l’action des micro-organismes. Il démontre que les microbes se trouvent absolument partout, vivent, circulent, se développent au contact, comme à l’abri de l’air et sont responsables de la plupart des phénomènes biologiques qui nous constituent. Dans son édition du 1er mars 1860, Le Montpellier médical rapporte que « Pasteur dévoile la plus importante des erreurs de la théorie de la génération spontanée, en fournissant la preuve matérielle de la présence de germes préexistants dans l’atmosphère ; il a montré la certitude face à une présomption jusqu’à ce jour très-contestée, bien que vraisemblable. Parmi ces poussières en suspension dans l’air commun, Pasteur a très nettement aperçu des corpuscules organisés, et il a obtenu, en plaçant ces poussières en contact avec une liqueur appropriée, dans une atmosphère inactive, des productions diverses, celles-là mêmes que fournirait la liqueur après le même temps, si elle était librement exposée à l’air ordinaire ». C'est durant ces fameuses expériences que Pasteur est connu pour avoir utilisé ce qu’on appelle des échantillons en cols de cygne, permettant d’éviter la  contamination d’un contenu.

Maladie des vins et des vers à soie : les germes infectieux fermentent eux aussi à leur manière

Ses découvertes sur les mécanismes de la fermentation devaient bientôt révolutionner la compréhension des maladies contagieuses. Car une maladie est aussi l’œuvre d’un mécanisme de fermentation dans un organisme donné. Ce sont les deux expériences phares qui permettent à Pasteur d’établir un lien logique entre les fermentations et le développement des maladies au sens général. En fermentant, en se multipliant dans le corps, les microbes provoquent des maladies infectieuses.

Fort de cette expertise, de 1863 à 1865, Pasteur est missionné par l'empereur Napoléon III pour rechercher les causes des maladies des vins qui mettent en péril le marché viticole français. Il trouve un remède, un moyen de conservation du vin, soit la toute première technique de lutte qui ait existé pour combattre une maladie : la Pasteurisation. C'est le chauffage du vin entre 55 et 60 °C pour détruire tout micro-organisme susceptible de l’altérer. Un principe expérimental qui devait en préfigurer d’autres. Il publie ses Études sur le vin : ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir en 1866. C'est véritablement ce qui bâtit sa notoriété, et le fait se rapprocher des cercles du pouvoir. Il devenait une référence officielle en matière d'études sur les maladies.

Mais c’est durant les cinq années où il part étudier les maladies des vers à soie, entre 1865 et 1870, dans les Cévennes, qu’il finit de se persuader que les maladies contagieuses sont bien causées par des micro-organismes. Dans Le Journal des débats politiques et littéraires du 21 juillet 1865 nous apprenons à quel point la maladie se propage avec une rapidité désespérante, non seulement en France, mais dans toutes les contrées séricicoles de l'Europe. Les ravages occasionnés sont tels que la production normale des cocons en France, évaluée dans les années ordinaires à plus de 100 millions de francs, serait tombée jusqu’à 34 millions en 1861. D’autant que la région du Gard produit 10 % de la soie mondiale.

Si au départ, il penche plutôt pour une maladie qui serait « constitutionnelle, interne », il finit par démontrer l’origine parasitaire (provenant de l’extérieure) des deux maladies qui déciment les vers (la pébrine, qui se transmet héréditairement et se caractérise par des grains noirâtres qui s’étendent sur tout le corps des papillons et des vers malades ; ainsi que la maladie de la flacherie qu’il identifie plus tardivement et qui rend les vers tous flasques). Ces recherches donnent lieu à une querelle de priorité avec le chimiste et pharmacien Antoine Béchamp, qui lui a reproché de s’être arrogé la théorie parasitaire de la pébrine, qu’il affirme avoir exposée bien avant lui. Pasteur compile toutes ses recherches étiologiques et prophylactiques sur la maladie en 1870 dans ses Études sur les vers à soie. Il réussit à mettre un terme à l'épidémie en mettant au point une méthode de sélection, dit de « grainage » qui vise à ne conserver que la ponte d’œufs de papillons reproducteurs sains.

Pionnier de la prévention contre les maladies infectieuses

Si la théorie microbienne des maladies contagieuses était sous-entendue depuis longtemps, les savants n’avaient pu jusque-là en observer la véracité. Autre temps, autres mœurs. C'est avec son mémoire sur la Théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie qu’il communique à l’Académie Médecine les 29-30 avril 1878, que Pasteur amorce une révolution dans la compréhension des maladies infectieuses.

Études sur la maladie du charbon

À partir de février 1877, Pasteur entame ses toute premières recherches autour des maladies contagieuses humaines, en commençant par l'étude de la bactéridie du charbon, qui décime des troupeaux entiers de bétail. Cette entrée en matière se fait dans la continuité de l’héritage épidémiologique laissé derrière lui par le médecin Casimir Davaine, et, surtout, sur fond d’une véritable émulation scientifique avec le médecin allemand Robert Koch. C’est ce qu’ont démontré dans leur publication « Pasteur et Koch. Un duel de géants dans le monde des microbes » (Odile Jacob, 2014) Annick Perrot et Maxime Schwartz. En effet, les deux savants se sont livrés une véritable querelle de priorité quant à celui qui aurait prouvé en premier l’existence de micro-organismes dans un germe infectieux. Une rivalité exacerbée par les ressentiments qu’avait nourris la guerre Franco-allemande en 1870. Si Pasteur reconnaissait la découverte de l’étiologie du charbon à son homologue allemand, il était hors de question de lui reconnaître la démonstration que les micro-organismes étaient bien à l’origine des maladies infectieuses puisque Pasteur admet que c’est lui le premier qui en a apporté la preuve dans ses études des fermentations et de la maladie des vers à soie. Pasteur considérait la découverte de Koch comme une application nouvelle des principes pastoriens déjà connus.

C'est à la ferme de Pouilly-le-Fort, le 5 mai 1881, dans une expérimentation publique, que Pasteur démontre le procédé de son vaccin contre le charbon. Un exploit qu'il signe sur fond d'une autre rivalité scientifique qui l'oppose cette fois-ci à un vétérinaire, Henry Toussaint. C'est le second vaccin expérimental de l'histoire que Pasteur réalise après celui contre le choléra des poules en 1880.

Études sur le Choléra des poules : le tout premier vaccin (animal) ou la naissance de l'immunologie

Cette prouesse vaccinale, il la mène pour la toute première fois dans le cadre de ses recherches sur la maladie du choléra des poules. Dès 1879, il cultive des souches virulentes du microbe qu’il parvient à atténuer artificiellement en les exposant au contact de l’air. C'est en reprenant des vieilles cultures de la bactérie oubliées à l'air libre qu'il se serait aperçu de la disparition de leur virulence et qu'elles garantissaient, après expérience faite sur 40 poules, 'une immunisation' puisqu'une poule reste vivante après avoir reçu une première injection d’une souche atténuée avant d'en recevoir une seconde virulente. Ainsi, il réussissait l’exploit de protéger l'animal contre une maladie mortelle par la même maladie devenue bénigne. Une bactérie préparée artificiellement pour la première fois de l'histoire. Il communique ses expériences à l'Académie des Sciences en février 1880. Le  Journal des débats politiques et littéraires du 19 février 1880 mentionne cette question que se pose Pasteur pendant l'exposé de son procédé : "Pourquoi n'obtiendrait-on pas des cultures artificielles et atténuées de tous les virus ? Dès lors, nous serions en possession de véritables vaccins des maladies virulentes". Le 26 avril 1880,  Pasteur ajoute : "qu'il me soit permis d'employer le mot vacciner pour exprimer le fait de l'inoculation à une poule du 'virus' atténué […] C'est la vie d'un parasite à l'intérieur du corps qui détermine la maladie appelée vulgairement le choléra des poules et qui amène la mort".

Étude sur la rage : l'invention du tout premier vaccin humain

C'est la consécration ultime de sa carrière de savant. Il commence à travailler sur la rage en décembre 1879, en procédant à des inoculations de mucus de salive à deux lapins, prélevé sur un enfant de 6 ans peu après qu'il ait succombé à la maladie. Il observe que le temps d'incubation de la maladie s'opère plus rapidement, lorsqu'on prélève le virus depuis les tissus nerveux des animaux malades. C'est ce qu'il confirme en injectant la maladie à des chiens par des  inoculations intracérébrales de moelles épinières atténuées à l'air provenant de lapins enragés.

Pasteur injecte donc à des chiens, en premier une moelle qui a perdu toute virulence, puis l'injection successive de moelles de moins en moins virulentes et enfin, deux semaines plus tard, une moelle très virulente. Il observe que l'immunité est acquise quelques jours plus tard. Ainsi parvient-il à préconiser l'utilisation du vaccin animal contre la rage pour un traitement applicable sur l'humain. Non sans essuyer de vives réactions tant cette décision suscite un vrai débat de conscience, aussi bien quant aux risques que cela peut engendrer, que dans l'approche de la médecine en général.

Le 6 juillet 1885, le savant réalise l'exploit en inoculant au jeune alsacien Joseph Meister un premier germe du virus artificiellement très affaibli. Sur 11 jours, le jeune malade est inoculé 13 fois avec une succession de souches de plus en plus atténuées et ne se sera pas malade. Pasteur bouleverse ainsi le rapport à la médecine, en inaugurant une prévention médicale moderne via d'abord la mise au point d’un procédé d’atténuation des virus puis l'élaboration du premier vaccin humain. Une prouesse sanctifiée par la souscription publique lancée par l’académie des Sciences, qui conduit à la création de l’Institut Pasteur, inauguré le 14 novembre 1888 et dont le savoir-faire se perpétue jusqu'à aujourd'hui.

Recherches effectuées à partir de nos émissions

🎧 RÉÉCOUTER - La Terre au carré : Pasteur, construction d’une légende (avec Cédric Grimoult , historien de la biologie, professeur, agrégé d'histoire et Annick Opinel , historienne des sciences, a travaillé au centre de recherche historique de l'Institut Pasteur et à l'unité Pharmacoépidémiologie et Maladies Infectieuses).

🎧 RÉÉCOUTER - La Terre au carré : Louis Pasteur, l'expérimentateur (avec Patrick Berche , professeur de microbiologie, doyen de la faculté de médecine Paris-Descartes et Maxime Schwartz , biologiste moléculaire, ancien directeur général de Pasteur).

Sources

► Nous nous sommes appuyés sur les archives des journaux de l'époque, disponibles sur le site de presse de la BNF "Retronews" cataloguant tous les journaux imprimés depuis le XIXe siècle.

Le site de l'Institut Pasteur

📖 LIRE - Annick Perrot et Maxime Schwartz :  Pasteur et Koch. Un duel de géants dans le monde des microbes (Odile Jacob, 2014)

📖 LIRE - Cédric Grimoult - Pasteur (Ellipses, 2021)