Décès dans un Ehpad : le groupe Korian sous le feu des critiques, et ce n'est pas la première fois

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Décès dans un Ehpad : le groupe Korian sous le feu des critiques, et ce n'est pas la première fois

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Une enquête a été ouverte après la mort de cinq pensionnaires de cet Ehpad, la Chêneraie, près de Toulouse.
Une enquête a été ouverte après la mort de cinq pensionnaires de cet Ehpad, la Chêneraie, près de Toulouse.
© AFP - Éric Cabanis

Personnel insuffisant et désemparé, tarifs élevés, seniors livrés à eux-mêmes et rationnés... Le groupe Korian, qui affiche des bénéfices record, est à nouveau pointé du doigt depuis la mort de cinq personnes dans une de ses maisons de retraite, des suites d'une probable intoxication alimentaire.

Cinq résidents, de 76 à 95 ans, sont décédés cette semaine, probablement à cause d'une intoxication alimentaire, selon la préfecture. Dix-neuf ont été placés sous surveillance à l'hôpital. Le drame s'est déroulé dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de l'Herm, au sud de Toulouse. Depuis janvier, la maison de retraite privée, la Chêneraie, appartient au groupe Korian.

Le parquet de Toulouse a ouvert une enquête pour homicides involontaires et blessures involontaires. Les investigations doivent notamment déterminer si les repas étaient préparés en interne ou apportés de l'extérieur. L'Agence régionale de santé a indiqué qu'elle soumettra un questionnaire alimentaire aux résidents. De son côté, le groupe Korian assure dans un communiqué que les repas sont produits "sur place par le chef cuisinier et son équipe", et qu'il va engager une enquête interne.

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Qui est le groupe Korian ?

Rien qu'en Occitanie, Korian gère plus d’une vingtaine de maisons de retraite. Sur son site, il se présente comme gestionnaire du "premier réseau européen de maisons de retraite médicalisées, de cliniques spécialisées, de résidences services, de soins et d’hospitalisation à domicile", avec plus de 800 établissements et 300 000 patients, ainsi que 52 000 collaborateurs. Implanté dans cinq pays européens (la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Espagne), c'est en France qu'il détient le plus d'établissements, 364.

Né de la fusion des quatre sociétés de maisons de retraite (Finagest, Sérience, Réacti-malt et Medidep), dans la foulée de la canicule de 2003, le groupe affiche depuis d'excellents résultats : un chiffre d’affaires de près de 3,34 milliards d’euros en 2018, en hausse de 6,4% par rapport à 2017, pour un bénéfice de 123 millions d'euros. Il s'efforce de poursuivre sa croissance à coups d'acquisitions : le groupe Seniors, basé en Espagne, Schauinsland en Allemagne et le groupe Omega en France.

Le groupe peut aussi se targuer d'être un investissement de plus en plus rentable. En 2016, il avait déjà doublé les dividendes versés à ses actionnaires, en l'espace de cinq ans. Parmi les actionnaires de Korian, on trouve trois investisseurs principaux, recensés sur son site en décembre 2017 : le groupe de mutuelles Malakoff Médéric, le fonds de pension canadien Investissements PSP et la compagnie d'assurance Predica, filiale du Crédit agricole.

La chute de son cours en bourse a été de courte durée, lundi, après la révélation des décès dans l'Ehpad. Il est vite reparti à la hausse. Mais ces succès financiers flamboyants se feraient parfois au détriment du bien-être des résidents et des salariés, comme le déplore cet ancien employé sur Twitter.

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Malgré des tarifs élevés, certains dénoncent des exigences budgétaires très strictes dans les établissements de Korian.

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Korian tient à son image. Revendiquant un service haut de gamme, il se présente comme "expert des services de soin et d’accompagnement aux seniors" et communique notamment à travers cette série, "Générations indépendance", dont un nouvel épisode a été diffusé, lundi, sur France 3. Dans l'un de ces épisodes, la présentatrice annonce le thème : "une approche particulièrement respectueuse des personnes âgées", appelée le "positive care". Pour en parler sur le plateau, Didier Armaingeau, présenté comme directeur médical "d'un groupe européen de maisons de retraite" (il s'agit en fait bien de Korian).

Dans un autre, c'est un "chef de cuisine dans une maison de retraite médicalisée" - il s'agit là encore d' une maison Korian, à Noisy-le-Grand - qui vient expliquer comment lui et ses équipes parviennent à "concilier la nutrition santé et les plaisirs de la table"

Enfin, cet autre épisode est l'occasion d'évoquer la "synergie des métiers" au sein des maisons de retraite. Cette fois, c'est le directeur d'une maison lyonnaise qui est invité pour vanter notamment "la qualité et la bonne application des soins" sur lequel veille le médecin coordinateur, ainsi qu'"une formation certifiante, qui est le passeport gériatrique" pour renforcer l'expertise de ses employés, dispensée à la Korian Academy.

Depuis quelques années, Korian était déjà la cible de critiques

Pourtant, avant ce drame, la réputation du groupe avait déjà été plusieurs fois écornée. En particulier fin 2016, en l'espace de deux semaines, treize pensionnaires d’un de ses établissements lyonnais avaient succombé à la grippe. Un rapport de l'Inspection générale des services (Igas) avait alors pointé un "défaut de vaccination".

Il y a quelques mois, Korian faisait l'objet d'une enquête de l'émission "Pièces à conviction", au cours de laquelle il avait refusé d'ouvrir les portes de ces établissements aux journalistes. Après sa diffusion, le groupe a porté plainte pour diffamation. L'enquête révélait des éléments troubles dans la gestion de ses maisons de retraite à but lucratif. D'abord dans un établissement sur les bords de Marne, Le Jardin de Neptune, qui accueille 78 résidents. Les tarifs : entre 111,5 et 139,5 euros la journée, un supplément tranquillité de 119 euros mensuels pour laver le linge. Soit un hébergement compris entre 3 464 et 4 443 euros par mois, deux fois plus élevé que les tarifs moyens des maisons de retraite en France.

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Les journalistes se sont ensuite rendus à Marseille, à la rencontre d'un ancienne employée, Hella, licenciée pour faute grave, en raison, selon elle, d'un conflit avec sa hiérarchie. Dans cet établissement Korian, Les Parents, deux autres aides-soignantes ont été licenciées pour "faute grave", toutes trois ont saisi le Conseil des Prud'hommes.

Ils nous ont dit qu'ils faisaient des économies

Sur les vidéos de surveillance, on découvre qu'une nuit de février 2017, il n'y avait que  deux aides-soignantes pour 96 résidents, sur 5 étages. Déambulant dans les couloirs, des résidents sont laissés livrés à eux-mêmes. Le groupe Korian rétorque qu'il s'agit là d'un manquement professionnel d'une des employées. Les aides-soignantes témoignent d'un manque d'effectifs. Dans une autre enquête d'Envoyé Spécial en 2018, Hella déclare avoir eu le sentiment de "travailler dans une usine", à force de "toilettes en dix minutes", de "gavage alimentaire" et de rationnements.

Dans cet établissement, les journalistes s'aperçoivent que depuis 2016, Korian remplace en partie ses couches destinées aux incontinences sévères par des protections conçues pour les fuites modérées, moins chères. Un modèle inadapté selon les aides-soignantes. L'une d'elles montre des photos prises dans la maison de retraite : des pensionnaires dans des lits recouverts d'excréments._"J'ai vu des résidents qui mangeaient leurs scelles"__,_ dénonce Hella.

Une politique de rationnements

Les couches sont rationnées, limitées à trois dans la journée et deux la nuit. "Je suis allée voir mon cadre de santé en lui disant que j'avais une résidente qui présentait une infection urinaire et que ses couches ne suffisaient plus, en lui demandant une couche supplémentaire, raconte l'aide-soignante, il m'a virée de son bureau, en me disant que la réponse était 'non'. Ils nous ont dit qu'ils faisaient des économies", regrette-t-elle.

Les repas aussi seraient rationnés, selon un cuisinier d'une des maisons de retraite du groupe. "Les consignes sont d’essayer de respecter le prix de revient journalier au centime près", explique-t-il. Il prétend devoir préparer l'ensemble des repas de chaque résident par jour avec seulement 4,27 à 4,35 euros. “Voilà comme on fait pour rapporter de l’argent aux actionnaires", conclut-il.

Lorsque nous avons évoqué les accusations des précédentes enquêtes auprès du service de communication de Korian, il nous a été répondu que cela "n'a aucun lien" avec l'affaire de probable intoxication alimentaire mortelle.

Aujourd'hui, des familles de résidents en colère fustigent une gestion "dégradée"

Depuis le décès de cinq pensionnaires, les langues se délient à nouveau pour dénoncer la gestion de cet autre établissement, proche de Toulouse, géré par Korian. Sur le site de l'ancien propriétaire, Omega (racheté par Korian), l'établissement est présenté comme offrant une "cuisine régionale préparée sur place". Pourtant, des témoignages indiquent que le dîner incriminé, servi dimanche soir, n'avait pas été préparé dans l'établissement, et aurait même été livré une semaine plus tôt. C'est ce qu'affirme par exemple Alain, le fils d'une nonagénaire décédée, qui tiendrait cette information du médecin traitant de l'établissement.

Alain dit avoir été longtemps laissé "sans aucune nouvelle", après avoir été prévenu par les gendarmes dans la nuit. Marie, dont le père de 78 ans est indemne, est aussi "agacée" par l'absence de tout contact avec la direction dans la matinée. "Ils sont tous au téléphone, se plaint-elle, le directeur aurait pu nous accueillir, c'est la moindre des choses". Depuis, la directrice générale du groupe Korian s'est rendue sur place.

Ma mère n'était levée qu'une fois par jour

L'une des causes des informations distillées au compte-goutte serait "un manque de personnel" aux yeux des familles. "Il n'y a que deux personnes la nuit pour 82 résidents", relate Chantal. "Ma mère n'était levée qu'une fois par jour, s'indigne Alain, je suis venu la voir un soir à 18 heures, il n'y avait personne à l'étage, sa chambre était fermée à clé." Il a le sentiment que l'établissement, ouvert en 2006, se dégradait depuis son rachat par Korian. "Inadmissible" pour cet homme qui ne payait "pas loin de 3 000 euros par mois" pour la prise en charge de sa mère, accueillie depuis 10 ans pour Alzheimer. "Au prix où on paie, on a droit à un service maximum. Ce n'est pas le cas", s'emporte également Marie.

"C'est sûr que depuis quatre ans, cela s'est un peu dégradé", confirme Huguette. Comme Alain, elle dit avoir l'intention de porter plainte. Sa belle-mère, accueillie à l'Ehpad depuis quatre ans, "est hors de danger", mais elle a été hospitalisée, victime de "vomissements et diarrhée". Elle craint que tout cela soit dû à "un problème d'hygiène". "Si l'intoxication alimentaire est avérée", l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) tient à souligner que "cette situation est tout à fait exceptionnelle dans un secteur extrêmement contrôlé". En effet, selon Korian, le dernier contrôle réglementaire d'hygiène aurait été "réalisé par un bureau interne" le 12 février dernier. Les résultats de ce contrôle se seraient avérés "conformes".