Décision de la Cour de cassation sur les livreurs à vélo : "Qu'on nous laisse travailler !"

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Décision de la Cour de cassation sur les livreurs à vélo : "Qu'on nous laisse travailler !"

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Devant un dépôt de Frichti, qui livre des plats de saison à domicile, à Paris (XIe arrondissement)
Devant un dépôt de Frichti, qui livre des plats de saison à domicile, à Paris (XIe arrondissement)
© Radio France - Thomas Séchier

Que disent les coursiers de l'arrêt de la Cour de cassation, qui veut requalifier en salarié un ex-coursier indépendant ? "C'est une décision de gens d'en-haut sur des gens d'en-bas", se plaint l'un d'eux. "C'est clairement du salariat déguisé, on n'a aucune protection sociale", se félicite un autre.

Il était géolocalisé en permanence et la société disposait d'un pouvoir de sanctions sur lui. Pour ces raisons, la Cour de cassation estime, dans un arrêt rendu mercredi soir, qu'un livreur à vélo de Take Eat Easy (qui a fermé depuis) doit être requalifié en salarié. Si la CGT salue une "immense victoire", les principaux concernés sont plus mesurés. Témoignages de livreurs à vélo (ou scooter) rencontrés ce jeudi à Paris.

"Un lien de subordination ? C'est un peu vrai"

Moussa*, 29 ans. Livreur pour Deliveroo depuis près d'un an, Moussa arpente les rues et les boulevards de Paris sur son vélo six à sept heures par jour, à raison de deux à trois courses par heure. Son salaire moyen : autour de 1 800 euros. "Cela me convient pour le moment. J'étais au chômage pendant six mois, c'est mon frère qui m'a dit qu'il y avait du boulot là-dedans. La justice estime qu'il y a un lien de subordination ? C'est un peu vrai. Ça nous pèse forcément. Si on fait des mauvaises courses et qu'on est mal noté, on peut être sanctionné. Mais c'est plutôt rare, je crois. En tout cas, on ne m'a encore rien dit et je trouve que c'est mieux que rien."

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"C'est du salariat déguisé"

Karim, 34 ans. Basé à Choisy-le-Roi (94), il a quitté le bâtiment ("comment rivaliser avec des travailleurs détachés polonais à 800€ par mois ?") pour faire de la livraison à domicile chez Frichti, qui propose des plats de saison à domicile. Il est le plus documenté sur la question . "Le statut d'auto-entrepreneur pour nous, c'est clairement du salariat déguisé. On n'a aucune protection sociale. On nous fait miroiter un gros salaire mais au final, on se dépense plus qu'un salarié pour toucher parfois moins. Je gagne 1 200 à 1 800 euros par mois, c'est à dire 10 euros de l'heure. Cela ne vaut pas le coup. Dans six mois, j'arrête ! Mes jeunes collègues, ça ne les dérange pas pour le moment, mais quand ils seront un peu plus âgés... ils comprendront !"

Karim , livreur Frichti, attend de connaître le trajet de sa course sur son smarpthone, à Paris (XIe arrondissement)
Karim , livreur Frichti, attend de connaître le trajet de sa course sur son smarpthone, à Paris (XIe arrondissement)
© Radio France - Thomas Séchier

"Qu'on nous laisse travailler !"

Mohammed*, 27 ans. Lui aussi livreur pour Frichti, interpellé entre deux courses sur son scooter électrique loué à l'entreprise, c'est le plus virulent. "La justice ? Qu'elle s'occupe de ses affaires ! Qu'on nous laisse travailler ! Ce sont des gens d'en-haut qui parlent de gens d'en-bas, mais ils ne nous connaissent pas. Le statut d'auto-entrepreneur, tout le monde ici [parmi les livreurs] connait ses avantages et ses inconvénients. On a notre liberté. Donnez-moi un autre métier où je gagne 2 000 euros nets par mois sans avoir fait d'études. Le système me convient, je ne vois pas pourquoi je devrais en changer".

"Je vis mieux qu'avant"

Sylvain, 35 ans. Malgré la tentation du scooter, il est resté fidèle au vélo ("pour rester dans l'esprit") et a fait ses comptes. "Cela fait 10 ans que je fais de la livraison à domicile. J'ai été salarié pendant longtemps, en CDD et en CDI. Lorsque j'étais à temps plein, je gagnais le SMIC en faisant 35 heures. Après, j'ai testé l'auto-entrepreneuriat, comme tout le monde. Franchement, je gagne plus aujourd'hui [il ne veut pas dévoiler son salaire exact] et avec plus de souplesse. C'est vrai aussi que je travaille plus, mais jamais plus de 9 heures par jour. Je ne dis pas que je ferai ça toute ma vie, mais à court terme, c'est gagnant-gagnant. En tout cas pour des jeunes".

*Ces prénoms ont été modifiés.