Depuis #MeToo, où en est le féminisme ?
Qu'est-ce qu'être féministe à l'heure actuelle ? Invitées dans "Pas son genre", la militante Raphaëlle Rémy-Leleu, la scénariste et comédienne de la série "Zérostérone" Marion Seclin, et la créatrice des "Chiennes de Garde" Florence Montreynaud dressent un état des lieux du féminisme depuis le mouvement #MeToo.
Un féminisme universel et intergénérationnel
Florence Montreynaud et Marion Seclin saluent un mouvement sociétal qui s'est de plus en plus diversifié depuis le mouvement "#MeToo", autant du point de vue des convictions défendues, que de l'identité générationnelle et sociale des féministes qui incarnent ce combat :
Florence Montreynaud : "Le féminisme en tant que tel n'existe pas. Il y a certes plusieurs types de féministes : ce sont des groupes qui ont chacun leur identité, leur couleur, leur motivation, leur forme d'engagement.
Aujourd'hui, il y a de tout : de jeunes féministes, mais aussi des féministes de générations différentes. Certaines apprennent avec beaucoup de bonne volonté ce qui s'est passé avant pour éviter de faire les mêmes erreurs aujourd'hui, bien qu'elles aient aussi des approches différentes de ce que peut représenter le féminisme. Cela dépend de chacune en fonction d'où elles viennent et de leurs situations présentes... L'objectif, lui, reste toujours le même : un monde plus juste et moins violent".
Marion Seclin : "Je ne pense pas, en 2019, qu'il y a un bon et un mauvais féminisme… C'est quelque chose qui s'approprie, c'est pour ça que ça se vulgarise, que ça se vit. On évolue toutes, on a toutes été en colère, prêtes à nous lancer, c'est la meilleure des solutions et il faut faire en sorte que tout le monde se l’approprie sinon on va toutes être les unes contre les autres, à un moment donné".
Le féminisme est-il définitivement ancré dans les mœurs ?
S'il reste encore beaucoup à faire, le tournant suscité par le mouvement #MeToo aura vraiment permis d'accélérer la sensibilisation des consciences quant aux enjeux suscités par les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. Le féminisme est aujourd'hui au cœur des débats et fait davantage parler de lui, mais, de quelle manière ?
Raphaëlle Rémy-Leleu : "Ça a beaucoup évolué notamment chez les plus jeunes aujourd'hui, "#MeToo" a rendu le féminisme politiquement incontournable en plus du travail qu'avaient pu faire les militants pendant des années".
Aujourd’hui, être féministe, ce n'est plus une insulte, on a forcément évolué.
Marion Seclin : "Pas tellement, c'est toujours assez difficile à dire et à entendre dans mon cercle, venant même de personnes à priori éduquées, c'est toujours vu comme quelque chose d'emmerdant, du style "elle va nous faire chier", on entend toujours le "je ne suis pas féministe mais je suis pour l'égalité hommes/femmes, je suis humaniste".
Le problème ? J'aime à penser qu'on a été beaucoup trop patientes et que maintenant, c'est comme ça, un point c'est tout. Même s'il faut se forcer à rester patiente car j'ai souvent tendance à me dire qu'il faut que je reste à tout prix gentille pour ne pas que ça desserve cette cause.
Parfois j'ai juste envie de répondre "merde" !
Raphaëlle Rémy-Leleu : "Le mouvement "MeToo" a changé l'Histoire ! C'est l'une des premières fois où le féminisme devient véritablement l'un des sujets principaux de débat sur internet."
Ça change en termes de visibilité, c'est la grande question, de notre accès à la parole publique.
Un combat face à toujours plus de reproches
Si le féminisme est parvenu à gagner progressivement les esprits, celui-ci doit parallèlement faire face à des ressentiments toujours plus importants et pesants dans la société. Les féministes sont en proie à des jugements hostiles, intempestifs et souvent stéréotypés à l'égard de leur combat en faveur du féminisme qui devient vite éreintant selon nos trois intervenantes :
RR-L : "Être une femme de manière générale demande beaucoup d'audace. Nous sommes passées du rang d'hystériques à celui de télégéniques... On se fait encore traiter d'hystériques, de connasses, de tous les noms, ou on nous explique encore qu'à partir du moment où on défend la PMA pour toutes, on est forcément une lesbienne mal baisée""
Être féministe, cela requiert toujours plus de courage
MS : "Je rencontre toujours beaucoup de personnes qui se disent un peu déçues quant à mon engagement, ce sont des petites phrases qui irritent du type "ce n'est pas ton genre", "tu n'es pas une vraie féministe car toi tu ne nous emmerdes pas avec tout ça". Dans la tête de nombreuses personnes, le féminisme va avec "chiant".
Mais je crois que, ce qui m'ennuie le plus, c'est lorsque je dois ménager l’ego de la personne à qui je parle, un procédé qui pousse souvent à capituler face aux a priori. On me reproche, en plus, de ne pas ménager l'individu mais nous n'avons pas à nous justifier ! La personne vous répond systématiquement : "Oui mais moi je ne fais pas ça" ou "Mes amis ne font pas ça" ou encore "Tous les hommes ne sont pas des agresseurs". Oui et ? C'est quelque chose de très agaçant de devoir choisir avec précision ses mots quand on dénonce quelque chose de fondamentalement plus grave que l’ego de la personne à qui nous sommes confrontées. »
RR-L : "Prenez, par exemple, la formule d'Alain Finkielkraut : "Vous êtes de mauvaises gagnantes". Déjà, on aimerait bien être gagnantes, ce que nous sommes loin d'être, puis ensuite nous aimerions arrêter de nous fatiguer à militer plus de 70 heures par semaine. J'ai envie de leur répondre que quand on aura gagné, on le saura. On sera dans un monde plus apaisé, moins violent."
Le jour où on aura 24 heures sans viol, on pourra signaler un grand pas vers l'avant, mais on est loin du compte...
Aller plus loin
🎧 RÉÉCOUTER - Pas son genre, de Giulia Foïs, l'émission qui se balade sur les frontières du genre, tous les vendredis à 20h sur France Inter. Et en particulier l'émission du vendredi 27 septembre 2019, Le féminisme est-il devenu cool ?