Des économistes livrent leurs pistes pour que l'abstention ne soit pas "transmise aux nouvelles générations"

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Des économistes livrent leurs pistes pour que l'abstention ne soit pas "transmise aux nouvelles générations"

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Depuis 1970, l'abstention est de plus en plus forte en France.
Depuis 1970, l'abstention est de plus en plus forte en France.
© AFP - Valentino Belloni

L'abstention est en constante augmentation, notamment au sein des classes populaires. Le Conseil d'analyse économique propose notamment une inscription automatique sur les listes électorales, une simplification du calendrier, ou encore un renouvellement de l'éducation civique.

Le Conseil d'analyse économique, chargé de conseiller le Premier ministre, vient de rendre un rapport sur l'abstention. Dans "Les absents ont toujours tort - Une analyse économique de l’abstention et de ses remèdes", les économistes font le constat d'une abstention qui grimpe en France depuis les années 1970. Elle "touche aujourd’hui tous les types d’élections", et est "d'autant plus inquiétante que, si rien ne l’arrêtait, une norme abstentionniste pourrait s’installer et être transmise aux nouvelles générations, renforçant l’abstention".

Cette année, pour la présidentielle et les législatives, des records d'abstention ont encore été battus. Celle-ci a atteint 28,01% au second tour de la présidentielle, le 24 avril. C'est un record depuis 1969. Quand au second tour des législatives, le 19 juin, plus de la moitié des électeurs (53,77%) ne se sont pas rendus aux urnes.

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Moins on gagne d'argent, moins on vote

Pour le Conseil d'analyse économique, lorsque la participation baisse en France pendant en une élection, elle baisse davantage "au sein des groupes à la marge, en particulier les classes populaires". "Or, ceux qui ne votent pas ne peuvent faire entendre leur voix", insiste le rapport. De cette manière, moins les classes populaires votent, moins les élus seront incités à tenir compte de leurs intérêts. Un phénomène "qui peut réduire la représentativité des politiques publiques" mises en œuvre, et creuser encore un peu plus le fossé entre les électeurs et leurs politiques, avec un "creusement des inégalités de participation""Elles risquent aussi de s’aggraver si les groupes peu participatifs, et donc négligés par les politiques publiques, répondent en s’éloignant encore davantage des bureaux de vote."

Pour en arriver à cette conclusion, les économistes ont notamment rassemblé les données des enquêtes de l'INSEE, grâce aux signatures dans les registres des bureaux de vote, qui permettent de savoir précisément qui, dans les Français inscrits sur les listes électorales, est allé voter. En 2002, 2007, 2012 et 2017, l'INSEE a récolté et documenté le profil des inscrits, votants ou non. L'étude de ces données montre qu'en 2017, pour les deux tours de la présidentielle puis les deux tours des législatives, les habitants aux plus bas salaires sont moins allés voter que les Français aux revenus plus hauts. Même phénomène en analysant la catégorie socioprofessionnelle. Entre 2002 et 2017, les cadres "sont constamment surreprésentés dans l’électorat". Quand le vote des ouvriers est plus faible, et donc sous-représenté.

Il existe bien un lien "entre la catégorie socio‐professionnelle ou le niveau de revenu des individus et l’abstention". Un phénomène qui se réduit lors des élections présidentielles, mais augmente pour les élections intermédiaires, comme les législatives. "En somme, plus la participation est faible, plus les inégalités de participation sont fortes", précise le rapport.

Pourquoi l'abstention continue d'augmenter ?

Pour tenter de comprendre pourquoi l'abstention augmente continuellement en France, les économistes se sont basés sur les deux théories de trois économistes : Downs et Riker et Ordeshook. Partant donc du principe qu'un électeur vote si quatre facteurs sont remplis : il faut qu'il sente que son vote soit décisif pour faire élire son candidat, qu'il sente un bénéfice si son candidat gagne. Sans oublier le "coût" de son vote (le temps pour aller voter par exemple), et son sens du devoir civique.

Or, "dans les scrutins utilisant la règle pluralitaire, tels que les élections législatives françaises, peu de circonscriptions sont réellement disputées", disent les économistes, ce qui n'incite pas à aller voter. En revanche, dans un scrutin proportionnel, comme les municipales, "chaque voix peut faire la différence", ce qui encourage le vote. "Les bénéfices du vote perçus par les citoyens ont pu diminuer en raison d’une certaine convergence des programmes des partis de gouvernement et de la perception qu’aucun parti ne défend plus (vraiment) certains groupes d’électeurs, comme les classes populaires" ajoutent les économistes.

Et l'abstention s'accroît particulièrement chez les nouvelles générations. On peut les considérer comme des "citoyens distants", "pour qui le vote n'est pas automatique". "Le niveau d’éducation de ces citoyens est suffisant pour comprendre les différences entre les candidats et leurs programmes", précise le rapport, mais ils sont plus méfiants vis-à-vis des partis politiques et des responsables qui les gèrent. Encore une fois, lors des dernières législatives, ce sont eux qui se sont le plus abstenus. Chez les 18-24 ans, 7 électeurs sur 10 ne sont pas allés voter au second tour, selon l'estimation Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et les chaînes parlementaires.

Quatre pistes d'amélioration proposées

Pour relancer la dynamique du vote en France, les économistes proposent quatre pistes pour abaisser ce sentiment de "coût de participation" :

  • Une inscription automatique sur les listes électorales , qui permettrait d'éviter les oublis ou personnes mal-inscrites alors qu'en en 2017, "plus de 23 % des individus en âge de voter étaient non‐inscrits ou mal‐inscrits" ;
  • Simplifier le calendrier électoral en le réduisant à trois cycles : "Les élections nationales (présidentielles et législatives), les élections locales (régionales, départementales, municipales) et les élections européennes", pour ne pas lasser les électeurs ;
  • Encourager les campagnes de terrain, qui permettent d'informer sur le scrutin et ses enjeux, et peuvent surtout aider à "mieux comprendre ce qui sépare les différents candidats ;
  • Renouveler l'éducation civique : une partie de l'enseignement "souvent bâclée" qui mériterait notamment d'être remplacée "par des discussions entre professeurs et élèves", pour que le fonctionnement du vote soit intégré dès le plus jeune âge.