Dix morts après un différend entre voisins : le procès de l’incendie de la rue Erlanger débute lundi
Par Charlotte Piret
Le procès d’Essia B., jugée pour avoir mis le feu à son immeuble s’ouvre ce lundi devant la cour d’assises de Paris sur fond de questionnements sur la santé mentale de l’accusée, mais aussi de l’intervention des pompiers.
Un coup de téléphone. “Adèle m’appelle vers 00h50”, souvient Pascale, sa mère. “Elle a été réveillée dans un sommeil profond” par l’alarme incendie. Adèle, 31 ans, clerc de commissaire priseur, vit au huitième et dernier étage du 17 bis de la rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris. “Elle est complètement affolée au téléphone, elle hurle que sa porte d’entrée est en feu”. Pascale, qui a une “relation fusionnelle” avec sa fille, notamment depuis la mort de son mari alors qu’Adèle avait à peine six ans, habite tout près. “Alors je prends mon sac, j’enfile un jean, je pars en courant. Je dois mettre six minutes depuis chez moi jusqu’à la rue Erlanger. Et là, je suis ahurie devant tous les secours qui arrivent. Je me rends compte que c’est un méga incendie."
Dans l’immeuble, la fumée a inondé les couloirs. Dans les appartements, des alarmes incendies se déclenchent, réveillent les occupants endormis. Les gardiens de l’immeuble montent dans les étages. Claudia fait évacuer les résidents du premier pendant que son mari, Mirolyub, frappe aux portes du deuxième étage. Mais ils ne parviennent pas à aller plus haut, la fumée est déjà trop importante. “C’était une fumée dense, très opaque et obscure”, se souvient Franck, qui a fui son appartement du cinquième étage. “On ne pouvait absolument plus respirer”. Puis, arrivés au deuxième étage, “on a vu au fond d’un couloir une porte en feu”.
Un banal différend entre voisins
Franck ne le sait alors pas encore, mais cette porte en feu constitue le foyer initial de l’incendie. Un incendie déclenché peu avant, par l’une des habitantes de l’immeuble. À 23 heures, Quentin, pompier de Paris qui doit se lever tôt le lendemain, peste contre la musique trop forte de sa voisine. Charlotte, sa compagne, va frapper à sa porte pour lui demander de baisser le volume. Elle reçoit des insultes en retour. Au tour de Quentin de s’y rendre. Cette fois, le volume sonore de la musique est augmenté. Quentin appelle alors la police qui intervient, raccompagne Essia B. chez elle. Mais la situation ne s’apaise pas. Bien au contraire. Puisque quelques instants après, Quentin et Charlotte découvrent “un gros voile de fumée”. Et leur voisine qui les prévient : “Toi qui aime les flammes, ça va te faire tout drôle quand tout va exploser”.
Pris au piège des flammes
Déjà les flammes envahissent l’immeuble. Arrivés sur place, les pompiers parviennent à sauver les habitants des premiers étages. Au quatrième, Morgane et Léa sont secourues à leur fenêtre. “Il y avait des cris d’appel à l’aide, mais aussi des cris de souffrance, je pense aux gens qui étaient en train de mourir”. Non loin de là, Flavie s’assied sur le rebord de la fenêtre en attendant les secours. “J’ai vu une femme au sixième étage qui criait à l’aide. Elle se trouvait au milieu de la fumée. Les pompiers lui criaient de ne pas sauter. Puis à un moment, je l’ai vue tomber”. Pascale, elle, a toujours sa fille au téléphone, en conférence téléphonique avec un pompier : “Dès le départ, j’explique au pompier qu’elle est au dernier étage, qu’elle monte tout le temps sur le toit. Il y avait même une échelle sur le balcon. Mais le pompier lui demande de rester chez elle, il déroule un process, sans tenir compte du site, d’où elle est, de l’état enflammé du bâtiment et des difficultés de ses collègues. On dirait qu’il est dans une bulle. Et l’enquête n’a jamais répondu sur ce point crucial. Donc je ne sais pas.”
Franck, lui, est parvenu jusqu’à la cour intérieure : “On a vu des voisins aux fenêtres qui appelaient à l’aide, d’autre sur des parapets, pris entre les flammes et le vide.” Certains resteront piégés par les flammes. C’est le cas d’Adèle : “Elle me décrit la progression du feu chez elle : le faux plafond de l’entrée qui s’écroule", poursuit encore Pascale, sa maman. "Elle est acculée au fond de son appartement. Elle reste sur son balcon. Jusqu’au bout, il lui demande de rester chez elle. Jusqu’à la fin, elle croit qu’ils vont venir la chercher. Elle se rend compte qu’à la fin qu’ils ne viendront pas la chercher. Mais c’est trop tard. Elle hurle qu’elle a les flammes sur elle. Elle hurle. C’est intenable.” Dix personnes meurent ce soir-là. La plus jeune était un adolescent de 16 ans, sa mère non plus n’a pas survécu.
La santé mentale de l’accusée en question
Très rapidement, Essia B. est interpellée. Entendue le lendemain matin par les enquêteurs, elle déclare : “Je ne m’en souviens pas, je n’ai pas la force de me souvenir. C’est pas que je ne veux pas coopérer. On me dit qu’il y a eu des morts. Là je ne sais plus où j’habite, là je suis en train de crever à petit feu et vous vous perdez juste votre temps.” Son état de santé n’étant pas compatible avec une garde à vue, elle sera ensuite hospitalisée en psychiatrie.
Au delà des conditions de sa garde à vue, la question de la santé mentale d’Essia B. sera au cœur des débats de la cour d’assises. Car depuis l’âge de 17 ans, la jeune femme multiplie les séjours en psychiatrie, sur fonds d’addiction à l’alcool et aux stupéfiants. Le dernier, à l’hôpital Saint-Anne, s’est d’ailleurs achevé six jours avant le drame. “Elle essaie de prendre la mesure de ses actes, elle est effondrée par leurs conséquences”, explique Me Sébastien Schapira, avocat de l’accusée. “Elle veut participer à la manifestation de la vérité”. Plusieurs expertises psychiatriques ont conclu à une altération du discernement d’Essia B. au moment des faits. Mais l’ont également déclarée accessible à une sanction pénale. La quadragénaire encourt la réclusion criminelle à perpétuité.