Notre mémoire ne conserve pas tous nos souvenirs. Elle en élague certains, d’autres deviennent flous au fil du temps, d’autres encore nous échappent, à cause d’une maladie ou d'un traumatisme.
Comment notre mémoire fait-elle face aux souvenirs ? Faut-il vraiment se souvenir de tout ? Ou oublier ? C’est ce dont sont venus parler le neuropsychologue Francis Eustache, l’historienne spécialiste de la Shoah Annette Wieviorka et l’écrivain Philippe Forest au micro d’Eva Roque dans l’émission " L’été comme jamais".
Il y a l’oubli pathologique lié à des troubles de la mémoire tels que l’Alzheimer, cette maladie neurodégénérative qui s’attaque autant à la mémoire immédiate qu’aux souvenirs plus lointains.
Et puis il y a l’oubli qui, comme l’explique Francis Eustache, "nous aide à supprimer des choses qui nous sont pénibles, désagréables. On met ces souvenirs douloureux à distance, en silence."
Philippe Forest reconnaît pour sa part que l’oubli "joue un rôle très positif, parfois très libérateur. Mais il concède aussi "qu'il y a des choses dont il faut conserver la mémoire. Et c'est là une des missions de l'historien, de l’écrivain."
L’historienne spécialiste de la Shoah Annette Wieviorka affirm, elle aussi, que l’oubli est nécessaire, et que les personnes hypermnésiques sont "encombrées par leur mémoire".
Nous avons besoin pour penser d'avoir un peu de vide.
La force salvatrice de la mémoire collective
F.L : "L'individu qui souffre ou blessé psychique va être secouru par une mémoire collective qui s'écrit autour de lui. Et c'est important que l'on ait conscience dans la société de cette aide très importante qu'on peut apporter à ces personnes dans nos comportements, dans nos actes, dans nos paroles. Ce qui va conduire à cette résilience, c'est le fait que la personne se sente reconnue par cette mémoire collective."
Philippe Forest : "Se rappeler quelque chose, c'est toujours le réinventer. C'est ce qui fait que la mémoire a quelque chose de libérateur. Elle nous oblige à ne pas nous laisser enchaînés à notre passé, mais à toujours lui donner des formes nouvelles."
La mémoire a quelque chose de libérateur.
Eva Roque : Les grands procès permettent-ils de lutter contre l’oubli ?
A.W : La fin de l'Apartheid ne se marque pas par un bain de sang. Alors comment faire pour vivre ensemble après des événements aussi violents où une minorité a opprimé et maltraité la majorité ? C'est un peu la même question au Rwanda ou pour la justice d'après-guerre, avec les procès de Nuremberg et les différentes procédures de l'épuration en France. On a affaire à une justice ou à des processus transitionnels qui ne sont pas liés à la mémoire mais à la nécessité d'une transition. Et cette transition peut être fondée sur l’oubli comme en Espagne après le franquisme.
Depuis quand l'expression "devoir de mémoire" existe-t-elle ?
A.W : "Elle existe depuis l’après-guerre mais sa vraie diffusion date du procès de Klaus Barbie, en 1987, qui a popularisé cette expression que tous les historiens récusent.
Les mécanismes de la mémoire, que ce soit la mémoire individuelle ou la mémoire collective (qui n'est pas la somme des mémoires individuelles), obéissent à d'autres choses.
Chacun d'entre nous peut, s'il est attentif, voir ce qui fait qu'il va se souvenir de telle ou telle chose par une odeur, une couleur, une sensation ou par une évocation. Ce n'est jamais un devoir."
Il y a un devoir d’éducation, d’enseignement de l’histoire, mais certainement pas de mémoire.
P.F : "L'historien et le romancier doivent bien sûr être soucieux du souvenir dont ils sont les dépositaires, mais toujours dans la volonté de projeter ses souvenirs vers l'avant, de le réinventer parce que le passé ne vaut que pour le présent qui est le nôtre."
Le reste à écouter
Aller plus loin
🎧 RÉÉCOUTER - L'été comme jamais : Se souvenir des belles choses
🎧 RÉÉCOUTER - Boomerang : Les années d'Annette Wieviorka
🎧 RÉÉCOUTER - Intelligence Service : Paul Ricoeur, la mémoire, l’histoire, l’oubli
📖 LIRE - Annette Wieviorka : Mes années chinoises (Éditions Stock, 2021)
📖 LIRE - Philippe Forest, L'oubli (Gallimard, 2018).