"Effacer l’historique" de Gustave Kervern et Benoît Delépine : qu'en a pensé Le Masque & la Plume ?

Gustave Kervern et Benoît Delépine signent une nouvelle comédie cinglante sur les enjeux de l’ère numérique aujourd'hui. Trois voisins, trois "gilets jaunes" qui décident de partir en guerre contre les géants d’Internet. Le film a obtenu l'Ours d'argent au dernier Festival de Berlin. Seule Sophie Avon n'a pas aimé.
Le film présenté par Jérôme Garcin
Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero sont tous les trois réunis pour interpréter trois personnages qui habitent le même lotissement et se retrouvent parfois en gilet jaune sur les ronds-points et peinent avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Il y a Marie (Blanche Gardin), alcoolo-dépressive qui est victime d'un chantage à la sextape pour une nuit passée avec Vincent Lacoste. Bertrand (Denis Podalydès), veuf consolé sur la toile par une prétendue Mauricienne qui découvre que son ado de fille est harcelée au lycée et sur les réseaux sociaux. Christine (Corinne Masiero), qui conduit un VTC, se fait appeler Farida et ne décolère pas en découvrant que ses clients s'obstinent à mal la noter. Elle se met en tête d'acheter des bons points numériques en Inde. Tous les trois vont décider de partir en guerre contre les géants d'Internet. On croise notamment Michel Houellebecq. Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Jackie Berroyer.
J'ai beaucoup aimé ce film.
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Un film dont France Inter est partenaire.
Sophie Avon regrette de ne pas avoir aimé le film
SA : "J'ai quelques remords à ne pas l'aimer ce film, parce qu'en plus, il marche bien. C'est un film qui redonne un peu d'espoir au cinéma. J'ai beaucoup de sympathie pour les deux cinéastes. J'aime leur cinéma. Mais là, j'avoue que je n'ai pas aimé…
Je trouve que c'est très difficile de parler de personnages comme ça. D'habitude, ils s'en sortent très bien. Ici, ce sont des "gilets jaunes", des gens qui sont à la fois pathétiques et dignes, à la fois fantaisistes, parfois un peu pitoyables, qui se débattent comme ils peuvent et qui ont du mal. Et puis, en même temps, ils ne veulent pas donner l'impression de les prendre de haut, ils ne veulent pas non plus en faire des personnages pittoresques.
C'est difficile de faire un triple portrait de tels personnages-là qui ne sont pas, je trouve, dessinés correctement.
Je trouve qu'ils ne vivent pas et je me demande si ça ne vient pas du fait qu'ils ont réécrit le scénario puisque, au départ, il ne devait s'agir que d'un seul personnage. Finalement, ils en ont fait trois.
Quant aux comédiens, en revanche, autant je trouve que Denis Podalydès arrive à inventer quelque chose qui donne de la vie à son personnage. Il n'a pas été aussi bon depuis très longtemps. Mais en revanche, Blanche Gardin, je trouve qu'elle n'a pas l'étoffe du personnage et elle n'arrive pas à en faire quelque chose d'autre. Corinne Masiero est bien, mais elle verse toujours dans le même genre.
Je trouve que le film échoue un peu.
On est d'accord sur le fond, sur cette société déshumanisée dévorée par Internet. On a envie que ça réussisse mais franchement, moi, le sperme sur le portable qui colle à l'oreille, ça ne me fait pas rire…"
Je trouve que leur humour est quand même, par moments, très lourd, très douteux.
Nicolas Schaller salue un film qui est assez pertinent dans ce qu'il raconte de notre époque
NS : "Moi, c'est tout l'inverse. Je trouvais justement qu'il tournait un peu en rond depuis un petit moment. Ses films s'épuisaient assez vite. Mais là, avec leur comique stoïque, dépressif des ronds-point, ils trouvent vraiment une colère profonde très inspirée.
C'est un film qui va vraiment crescendo où on sent ce ras le bol, cet épuisement de cette vie où on est esclave des algorithmes.
Le film est assez pertinent et arrive à cristalliser quelque chose de notre époque qui est quand même très fort.
Il y a énormément d'idées qui sont très, très justes : ce côté minimaliste qu'on leur connait bien contraste vraiment bien avec ce monde de l'intelligence artificielle. On se retrouve croqué par ces trois personnages que je trouve vraiment émouvants".
Michel Ciment y a pris beaucoup de plaisir
MC : "C'est presque une série de sketchs.
Alors qu'on a souvent dit du mal de nombreuses comédies très populaires qui font 4 à 5 millions d'entrées tellement certaines sont consternantes, là on a vraiment un film populaire qui est intelligent, qui n'est pas seulement une comédie mais qui reste un film en même temps assez mélancolique.
C'est très émouvant et j'ai pris beaucoup de plaisir. Ce film est particulièrement réussi.
On pense aussi au style de Jacques Tati bien que ce soit totalement différent comme type de cinéma qui est ici une résistance contre les GAFA qui dominent le monde.
Je trouve qu'en vieillissant, les deux cinéastes atteignent une certaine maturité : l'image est beaucoup plus soignée. J'ai beaucoup aimé leurs films depuis le début, il y avait ce côté un peu pataphysicien, chez eux, un côté un peu dadaïste. Le film dit beaucoup de choses sur notre époque. Ce n'est pas du tout un comique séparé de la vie qu'on mène. D'autant que les comédiens sont très bons".
Jean-Marc Lalanne a trouvé le film très beau et touchant dans l'expression d'une certaine désillusion humaine
J-M L : "Moi aussi, j'ai pensé à Jacques Tati. Je trouve qu'ils ont tous les deux ce talent pour croquer l'époque avec quelques traits significatifs et les points d'absurdité de cette déshumanisation en marche, associés à un vrai talent pour y opposer des formes de solidarité.
Le film est vraiment beau et touchant sur l'amitié comme puissance insurrectionnelle.
La scène où ils passent en voiture devant un rond-point en exprimant de la nostalgie, et en même temps un effet de désillusion sur les "gilets jaunes", sans pour autant être du côté du renoncement, est très belle. Le film confère une vraie grandeur à des personnages qui sont quand même en proie à cette situation de malheur.
Le film est assez fort pour pointer tout ce qui ne va pas et tout ce qui pourrait aller mieux.
C'est vrai qu'il y a un côté un peu suite de sketches, un côté parfois inégal, que l'humour est parfois lourd, mais je trouve que tout ce qui est très humain fonctionne et réussit à donner quelque chose de galvanisant".
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Le film
► Au cinéma depuis le 26 août
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"Effacer l’historique" de Gustave Kervern et Benoît Delépine
6 min
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