Election présidentielle sous haute tension au Burundi

Quelque 3,8 millions de Burundais élisent mardi leur président lors d'un scrutin dénoncé par l'opposition et la société civile qui jugent contraire à la Constitution un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, dont la candidature a plongé le pays dans sa pire crise politique depuis dix ans. La police annonce qu'il y a eu deux morts dans la nuit de lundi à mardi à Bujumbura, la capitale.
Manifestations interdites et réprimées, parfois à balles réelles, médias privés réduits au silence, journalistes et opposants cachés ou en exil, atmosphère de peur et d'intimidation généralisée, créé notamment par les Imbonerakure, les jeunes du parti CNDD-FDD au pouvoir, qualifiés de "milice" par l'ONU : avant même que l’élection n’ait lieu plane déjà sur le scrutin la brume d’un rendez-vous raté. Ce mardi, quelque 3,8 millions de Burundais élisent leur président lors d'un scrutin dénoncé par l'opposition et la société civile qui jugent contraire à la Constitution un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, dont la candidature a plongé le pays dans sa pire crise politique depuis dix ans.
► ► ► REPORTAGE | Dans les geôles du pouvoir au Burundi avec Antoine Giniaux
Malgré l’ambiance délétère, le scrutin ne sera pas reporté
Pourtant, malgré cette ambiance délétère, un isolement croissant et des menaces de nombreux bailleurs (et le premier d’entre eux, l'Union européenne, principal partenaire du pays) de geler leur coopération, les autorités burundaises refusent de reporter à nouveau le scrutin, déjà repoussé à deux reprises, arguant d'un risque de vide institutionnel à l'expiration du mandat de Pierre Nkurunziza le 26 août.
Le risque de violences à grande échelle
Sa candidature a plongé depuis fin avril le Burundi dans une grave crise politique émaillée de violences qui ont fait plus de 80 morts. Ce petit pays d'Afrique des Grands Lacs à l'histoire post-coloniale jalonnée de coups d'Etat et de massacres entre Hutu et Tutsi, peinait déjà à se remettre d'une décennie de civile. Faut-il pour autant craindre que le scrutin dégénère en conflit interethnique ? Pour Agathe Plauchut, chercheure associée au GRIP, le risque n’est pas immédiat : "Les accords d’Arusha ont permis dans une certaine mesure de dépasser les clivages communautaires. Le débat n’est pas ethnique mais politique : le danger serait que Nkurunziza règne en omnipotence sur un désert.. . Il n’est pas représentatif et la plupart des opposants politiques sont exilés ou cachés au Burundi. Quant aux anciens poids lourds du régime, ils ont fait défection ces derniers mois."
"Le danger serait que Nkurunziza règne en omnipotence sur un désert..."
55 sec
Un "coup d’état institutionnel"
Après la très large victoire de son parti, le CNDD-FDD, aux législatives et communales du 29 juin, boycottées par l'opposition, la présidentielle est à nouveau vidée de tout enjeu : la victoire du président sortant ne fait aucun doute, car il n'est opposé qu'à quatre candidats issues de formations réputées alliées au pouvoir. Son principal opposant, Agathon Rwasa, n'a certes pas retiré officiellement sa candidature, mais dit n'avoir pas fait campagne et conteste à l'avance la légitimité du scrutin, demandant son report et déniant à Pierre Nkurunziza le droit de se représenter.
L’environnement politique et sécuritaire dans lequel les élections sont organisées n'en garantit pas le caractère pluraliste, inclusif, libre, transparent
Les trois autres candidats enregistrés - Jean Minani, président du parti Frodebu-Nanyuki (opposition), et les deux anciens chefs de l'Etat DomitienNdayizeye et Sylvestre Ntibantunganya, tous trois opposés à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza - ont annoncé leur retrait de la course, estimant que "l'environnement politique et sécuritaire dans lequel les élections sont organisées n'en garantit pas le caractère pluraliste, inclusif, libre, transparent". Léonce Ngendakumana, président de la principale coalition d'opposition, a même qualifié dimanche cette élection de "coup d'Etat constitutionnel".