En Allemagne, un hôtel imaginaire où ne viennent que des autrices

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En Allemagne, un hôtel imaginaire où ne viennent que des autrices

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La franco-suisse Delphine de Stoutz est à l’origine de l’Hôtel des Autrices
La franco-suisse Delphine de Stoutz est à l’origine de l’Hôtel des Autrices
© Radio France - Ludovic Piedtenu

"L’Hôtel des Autrices" est un hôtel imaginaire sur internet, une résidence d’écriture réservée aux femmes créée par des francophones de Berlin. Il est lancé ce vendredi à l’occasion de la journée franco-allemande, qui célèbre l'amitié entre les deux pays. Ce projet est une tentative de littérature transnationale.

De quoi une femme qui écrit a-t-elle besoin ? L’autrice franco-suisse Delphine de Stoutz, qui, après Paris, Nanterre et Genève entre autres, vit et travaille depuis 2008 à Berlin. Longtemps, elle a réfléchi à la question en l’ayant elle-même expérimentée en tant que femme qui, après une carrière de dramaturge au théâtre, a attendu vingt-cinq ans avant de publier son premier roman écrit en 3 mois. Elle a aussi interrogé d’autres femmes autrices ou désireuses d’écrire dont certaines qu’elle a depuis rassemblées au sein du jeune " Réseau des Autrices francophones de Berlin", riche de 35 membres actifs qui représentent les intérêts d’une centaine de membres, preuve de la vitalité de la scène littéraire francophone dans la capitale allemande. La réponse a pris la forme d’un "hôtel" pour offrir aux femmes francophones et germanophones un espace littéraire rien qu’à elles : l’Hôtel des Autrices.

"On parle toujours de Virginia Woolf et de son ouvrage 'Une chambre à soi' parce qu'elle n'est toujours pas advenue en 2021. La littérature, quand on est une femme, c’est très difficile d'avoir l'espace, le temps, la disposition mentale, financière et physique pour mener à bien des projets d'écriture", explique Delphine de Stoutz_._

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Une réponse politique et artistique

Ne cherchez pas l’adresse de cet hôtel à Berlin, il n’a pas d’existence physique, seulement sur internet : c’est un lieu imaginaire, une plateforme numérique lancée officiellement ( évènement à suivre en ligne ici), ce vendredi 22 janvier à 20h en direct du Centre français à l’occasion de la journée franco-allemande.

Pour sa fondatrice Delphine de Stoutz, il constitue à la fois une réponse politique et artistique aux obstacles systémiques et structurels que rencontrent les femmes qui veulent écrire. "Comment, quand on est une femme avec deux enfants en bas âge qui vont à l’école, peut-on partir deux mois en résidence d’écriture ? En France, c’est la seule solution. Mais je n’ai pas ce temps-là, c’est aussi bête que ça !". 

Delphine de Stoutz pointe l’inégalité des femmes en littérature à au moins trois niveaux : la création, la professionnalisation et la diffusion. Elle donne un exemple qu’elle dit tirer des chiffres des inscrits au Centre National du Livre ( CNL). Il y a environ autant de femmes que d’hommes, mais l’égalité n’est pas là : les hommes représentent 70% des publications. Et pour les prix, c’est pareil. Seule amélioration, nuance-t-elle, la présence dans les médias : "Ça change depuis deux ans, radicalement".

"L’hôtel des autrices est une réponse innovante, pertinente, jouissive et ludique à ces inégalités."

Acte fort : les autrices qui entrent en résidence sont rémunérées, là où souvent l’acte d’écriture est considéré comme un acte gratuit. "Cela offre une légitimation quand on reste à la maison et qu’on dit qu’on est en train de travailler sur un roman, on le finit et on est payé."

À l’hôtel, les autrices sont relues, aidées, accompagnées tout au long du processus d’écriture. Des ateliers sont proposés par d’autres autrices et couvrent tous les genres littéraires.

Choisissez votre propre numéro de chambre !

Pour Marie-Pierre Bonniol, curatrice de l'Hôtel, parle parle "d’empouvoirement" des femmes : "Le gros souci quand on écrit, c’est de savoir à partir de quel lieu on parle, qu’est-ce qui m’autorise à parler, qu’est-ce qui m’autorise à avoir une parole publique et, par l’hôtel, ça permet des émergences de parole qui aussi, je pense, ont aidé à la santé mentale de plusieurs autrices qui ont testé la plateforme en 2020 à travers les différentes vagues de confinement."

La française Marie-Pierre Bonniol est la curatrice de l’Hôtel des Autrices
La française Marie-Pierre Bonniol est la curatrice de l’Hôtel des Autrices
© Radio France - Ludovic Piedtenu

"Quand les hommes sont présents, on s’est rendu compte que nous, femmes, nous changions notre manière de parler, notre manière d’être ensemble. La nature de notre discours était modifiée par leur présence", souligne la curatrice.

Ici le personnel est 100% féminin. Des réceptionnistes vous accueillent à votre arrivée à l’hôtel. Sur le site web, un plan interactif permet de se promener dans cet "espace mental" et de naviguer et lire des textes dans les différentes pièces, les différents lieux mis à disposition et créés par les autrices. "C’est un hôtel un petit peu particulier", reconnaît amusée Delphine de Stoutz. "On a trois océans, un trou noir. Des gens se sont mis à camper devant les portes de l'hôtel, la piscine est éclairée par les gyrophares des voitures de police. Un bassin se retrouve au milieu du jardin, les poissons ont disparu. Des chambres sont inversées."

Et ceci n’est que le fruit du travail d’écriture de douze autrices francophones installées à Berlin qui ont, à titre expérimental, investi l’hôtel quelques mois avant son ouverture. "Bientôt d'autres autrices, dont certaines sélectionnées via des partenaires à Québec, en France et en Belgique, produiront encore plus de contenus, leurs textes se nourriront du point de vue et de la langue de l’autre grâce à la présence dans l’hôtel de traductrices qui sont mises au même niveau que les autrices", précise Delphine de Stoutz, à l’aise dans les deux langues.

"On n’a pas voulu faire une plateforme avec tout en allemand d’un côté et tout en français de l’autre. Quand on vit en Allemagne, on lie les deux langues, elles se lient tout le temps. Et qu’est-ce que la littérature, sinon l'endroit des mots, l’endroit du langage et l'endroit du partage ?"

Ce projet n’est pas seulement politique parce qu’il est féministe, résume sa fondatrice, mais aussi parce qu’il est une tentative de littérature transnationale. Sa dimension franco-allemande, qui s’étend au-delà des frontières des deux pays, est un formidable outil de communication entre les femmes de l’ensemble des pays francophones et germanophones.

Très chères lectrices qui avez pris la peine d’aller jusqu’au bout de cet article, vos textes figureront peut-être demain ou dans quelques années au sein de la bibliothèque de l’Hôtel des Autrices. Une rencontre ou une lecture vous auront inspirées, un texte découvert au bar ou au bord de la piscine, ou dans des endroits beaucoup plus loufoques. Il n’y a qu’à cliquer sur le plan pour découvrir l’imaginaire de ces femmes puissantes.

L'Heure bleue
54 min