Enki Bilal : "C’est en bande dessinée que j’ai poussé ma démarche artistique le plus loin"

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Enki Bilal : "C’est en bande dessinée que j’ai poussé ma démarche artistique le plus loin"

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L'artiste Enki Bilal au Festival de Cannes en mai 2019
L'artiste Enki Bilal au Festival de Cannes en mai 2019
© Getty - Stephane Cardinale - Corbis

BD, peinture, cinéma, mise en scène… L’œuvre du dessinateur se déploie cet été à Landerneau (Finistère) en Bretagne au Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour une importante rétrospective thématique. Retour sur un parcours artistique débuté dans les années 1970.

Des cheveux souvent rouges ou bleus, des visages fermés aux traits marqués, des corps en souffrance, des villes brumeuses… Le style graphique, si expressif, d’Enki Bilal, immédiatement reconnaissable, a traversé quasiment 50 années. On a demandé au dessinateur quel était son rapport à l’art.

La science-fiction

Enki Bilal : "Comme c’est de l’imaginaire, l’anticipation était souvent mal vue. Les gens comprennent enfin que la science-fiction est une manière de s’engager artistiquement beaucoup plus forte qu’on ne le pense. Le public a saisi que la science-fiction d’hier, c’est le monde d’aujourd’hui.

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Dans mes livres, j’aime analyser le présent avec des éléments du passé pour imaginer le futur. Par exemple, les nanotechnologies, la conquête de l’espace… L’envie d’innover est très humaine. Mais, souvent, les plus belles inventions ont leur part d’ombre, de catastrophe. 

« La ligne de crête » dont parlait le penseur des nouvelles technologies, Paul Virilio, permet à l’artiste de s’infiltrer. 

Travailler sur les trois éléments du temps (passé, présent, futur), donne une véritable matière à l’artiste."

Détail de l'affiche de l'exposition Enki Bilal à Landerneau au Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture. Case extraite du "Sommeil du monstre" chez Casterman
Détail de l'affiche de l'exposition Enki Bilal à Landerneau au Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture. Case extraite du "Sommeil du monstre" chez Casterman
- Bilal/Casterman

L’art tout azimuts

EB : "Le réel est important, c’est ce que l’on vit, mais l’artiste doit avoir un regard qui le tord, comme l’a fait Francis Bacon avec les visages. On est dans une démarche de liberté. C’est la définition de l’art aujourd’hui.

Le monde de l’art est moins cadenassé. Être artiste, c’est avoir une démarche globale qui permet les rencontres : il n’était pas prévu que je fasse de la scénographie, de la mise en scène…

Le cinéma est plus dans mes gènes. Enfant, j’ai joué dans un film muet « à la Tati »… Je faisais partie d’enfants qui dessinaient sur des trottoirs de Belgrade. J’ai vu beaucoup de westerns. Le cinéma c’était le rêve. Hollywood vu de Belgrade, c’était magique."

Enki Bilal et Picasso

EB : "Je suis heureux de l’accueil du livre Nu avec Picasso (ma nuit au musée). J’aime beaucoup les musées. J’ai déjà eu une expérience très belle au Louvre avec les Fantômes du Louvre. Là, il s’agissait de se confronter à des œuvres de Pablo Picasso dans le musée. Cette perspective est déjà magique mais, en plus, se retrouver seul la nuit… 

C’était magnifique, rien que par la lumière tamisée… Il y avait une forme de mystère qui s’ajoutait au lieu.

Pendant cette nuit, j’avais beau m’allonger sur le lit de camp mis à disposition, je n’ai pas dormi du tout. J’ai emmagasiné. Le matin après être rentré chez moi, je n’avais aucune idée de ce que j’en ferais. Mais, un mois après, les choses sont venues…

C’est très agréable de travailler sur des choses que l’on n’attend pas. 

En BD ou au cinéma, tout est écrit, prévu, organisé… Là, quelque chose s’est imposé. J’ai trouvé les mots et j'ai su, très vite, que ce serait compact dans l’écriture… J’avais envie de rentrer dans l’intimité d’un très grand artiste, l’un des plus grands du XXe siècle. J’ai conservé ma liberté : je n’ai rien lu sur lui, il ne s’agissait pas de se prosterner. 

C’est comme cela qu’apparaît Dora Maar… À travers elle, je prends la défense des femmes que Picasso maltraite parfois : La Dame aux Vases s’estimait trahie dans ses proportions. Je fais intervenir Goya… Il n’est pas très tendre avec Picasso. Je joue des correspondances entre Goya et Picasso, avec l’assassinat de Marat par exemple… Je fais dire à Goya ce que je pense. 

Chessboxer Oxymore (2012) peinture d'Enki Bilal/Mel Publisher/FHEL
Chessboxer Oxymore (2012) peinture d'Enki Bilal/Mel Publisher/FHEL
- Exposition Bilal à Landerneau au FHEL

Enki Bilal et la peinture

EB : "La peinture, c’est une urgence. Vous pouvez dire rapidement ce que vous avez à dire. Entre Bug et l’écriture de mon projet de série à partir de cette BD, j'ai « perdu » beaucoup de temps. 

La peinture me repose. 

Je vais y revenir. Là, je viens de peindre trois toiles autour de Guernica, qui sont dans l’exposition dans une petite installation avec des textes lus par des comédiens. J’ai été heureux d’être reconnu pour ma peinture dans le marché de l’art. Cela m’a rassuré. Comme l’accueil du livre sur Picasso."

Enki Bilal, artiste contemporain de BD

EB : "Je suis fier de la cohérence de mon travail et heureux de ce lien avec le monde passé, actuel et futur qui transparaît. C’est d’ailleurs une attitude qui m’a poussé vers des choix radicaux. En BD, à partir du Sommeil du Monstre, et tout ce qui a suivi jusqu’à Bug, j’ai eu une période où j’ai été ignoré par la critique, qui reste assez conservatrice. 

Avec l’exposition, je me suis rendu compte que la partie « art contemporain » de mon travail n’est pas seulement dans mes peintures, mais davantage dans certaines de mes BD qui n’ont peut-être pas été comprises comme elles auraient dû l’être - je pense à 31 décembre, Anima’z Julia et Roem… 

On parle, en art contemporain, du discours de l’artiste. Ces BD sont chargées de tout ce que je trimballe depuis que je suis né, depuis que je travaille, que je pense et que je dessine. Pour moi, mon œuvre d’art contemporain, elle est là."

"Les Phalanges de l'Ordre noir" (1979) par Enki Bilal
"Les Phalanges de l'Ordre noir" (1979) par Enki Bilal
- Mel Publisher/Exposition Bilal à Landerneau au FHEL

Quatre bonnes raisons d’aller voir l’exposition à Landerneau 

  • Confinement oblige, de nombreuses expositions de BD ont été annulées, mais celle du dessinateur de La femme piège est maintenue.
  • L’exposition est l’occasion de voir, en 250 œuvres et documents, l’évolution de l’artiste et de son travail. Une évolution vers plus de liberté graphique et vers plus de littérature, selon le commissaire de l’exposition, Serge Lemoine.
  • Bug informatique, dépendance aux nouvelles technologies, nano-technologies, attentats islamistes… Aller à Landerneau, c’est la possibilité de découvrir la vision du monde d’Enki Bilal, une pensée évolutive et prédictive.
  • Voir un artiste protéiforme complet. BD, peinture, cinéma, confection de décors, mise en scène… On ne peut plus ranger Enki Bilal dans une seule catégorie, mais son style est immédiatement reconnaissable. 

Découvrez des images :

=>>> Plus d'informations sur l'exposition Bilal à Landerneau à partir du 18 juillet 2020 jusqu'au 4 janvier 2021

Imbroglio,1990, dessin pour la serie Transit par Enki Bilal/Atelier de l'artiste
Imbroglio,1990, dessin pour la serie Transit par Enki Bilal/Atelier de l'artiste
- Exposition Enki Bilal au FHEL à Landerneau

Enki Bilal : comment dessiner une révolutionnaire russe ? 

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À savoir aussi : Enki Bilal prépare, avec Dan Franck, une série TV à partir de Bug, une BD qui à terme fera cinq tomes.

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