Entre utopie et dystopie : des idées lectures pour penser un monde idéal (ou pas)

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Entre utopie et dystopie : des idées lectures pour penser un monde idéal (ou pas)

Utopie et dystopie : des idées lectures pour penser le monde (idéal) de demain
Utopie et dystopie : des idées lectures pour penser le monde (idéal) de demain
© Getty - Cyndi Monaghan

Guénaelle Le Solleu, rédactrice en chef de "L'Elephant", Michel Porret, historien et François Angelier, producteur de "Mauvais genre" sur France Culture, proposent une sélection d'ouvrages où utopies et dystopies se rencontrent pour penser un monde meilleur, ses espérances tout comme ses contradictions. À découvrir.

Un autre monde est-il possible avec l'utopie et la dystopie ? C'est souvent lorsque la société est en pleine désillusion, en situation de crise quelle qu'elle soit que nous nous interrogeons sur notre avenir et tentons de penser un monde meilleur pour demain. L'utopie et la dystopie prennent en compte ce qu'on appelle "un horizon d'attente", en fonction de l'époque dans laquelle on se situe, c'est-à-dire que chaque époque pense son idéal en fonction des enjeux sociétaux qui la préoccupent.

Quand le genre utopique essaie de mettre en fiction ce projet d'un monde idéal (qui n'existe pas mais vers lequel nous nous efforçons de tendre), la dystopie, elle, va, au contraire, donner à penser les limites de l'utopie, en contredisant les trop grandes espérances qu'elle suscite et les limites qu'un monde trop parfait pourrait impliquer. 

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L'été comme jamais
53 min

"Utopies réalistes" de Rutger Bregman (2014)

▶︎ Editions du Seuil

L'historien Michel Porret évoque un ouvrage de l'historien et journaliste Rutger Bregman, écrivain et historien néerlandais auteur d'un best-seller il y a quelques années qui s'appelle " Utopies réalistes" : "C'est véritablement une réflexion de type Thomas More sur l'utopie, avec un horizon d'attente absolument extraordinaire qui était celui d'une société qui vivait à l'heure de l'Etat providence. Un système qui est en train d'être détruit partout en Europe, partout dans les sociétés démocratiques. Il se demande pourquoi on n'a pas pu en finir avec la pauvreté et quels seraient les remèdes pour essayer d'en finir avec ce fléau social. 

Ce livre articule l'utopie dans une réflexion politique, mais reflète aussi ce qui anime la société sur ce mot compliqué de "l'horizon d'attente". Très longtemps, il a été question de bonheur social, désormais, on se place peut-être dans quelque chose qui est du bonheur dans le sécuritaire absolu". 

De quoi ça parle ? Utopies réalistes explique comment construire un monde idéal aujourd’hui et ne pas désespérer. D'une ville canadienne qui a totalement éradiqué la pauvreté à l’histoire d'un revenu de base pour des millions d'Américains sous Richard Nixon, voici un voyage à travers l'histoire des idées. Tout progrès de la civilisation, des débuts de la démocratie à la fin de l'esclavage, fut d’abord considéré comme un fantasme de doux rêveur. Appuyé sur les travaux d'économistes, cet essai rouvre plusieurs perspectives : la réduction du temps de travail, le revenu universel, plus largement la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités, l'ouverture des frontières… 

Jules Verne  

François Angelier conseille la lecture de Jules Verne qui, selon lui, était bien plus pessimiste qu'on ne le pense : "C'est quelqu'un qui avait une confiance extrêmement limitée dans le modernisme, son œuvre fait souvent référence à une sorte d'utopie industrielle et technologique. Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas le prophète des sciences ; c'est quelqu'un qui avait une vision assez sombre et assez angoissée de tout cela :

Chaque fois qu'il a inventé une utopie, celle-ci a mal tourné ou prenait des allures extrêmement singulières 

  • "Vingt Mille Lieues sous les mers" (1869-1870)

▶︎ Chez livre de poche

La mer était une passion pour Jules Verne et c’est elle qui est au centre de l’un de ses meilleurs et plus célèbres romans : "Une utopie qui repose sur la conception technologiquement aboutie d'un homme qui voulait créer un lieu autre, où renaître et créer un monde qui serait pour lui l'idéal et, évidemment, un monde sous-marin. Quand on connait le dénouement, on sait aussi à quoi le Nautilus de Jules Verne peut servir sur le plan de la destruction et de l'agression". 

Le temps d'un bivouac
53 min
  • "L'Île à hélice" (1895)

▶︎ Chez Éditions du Rocher

"Une autre utopie de Jules Verne qui est tout à fait caractéristique. Il imagine que quelques milliardaires ont créé une île artificielle qui, avec deux moteurs, se déplace à la surface des mers en étant toujours baignée par le soleil. Il n'y a plus de mauvais temps, plus de tempête, plus d'ouragan. On est toujours dans une sorte d'utopie météorologique. On retrouve une sorte de paradis qui finit très mal puisque suite à des dissensions religieuses, l'île à hélice explose.

  • "Les Cinq Cents Millions de la Bégum" (1879)

▶︎ Chez livre de poche 

Le Dr Sarrasin, paisible savant français, se trouve soudain à la tête d'un fabuleux héritage : les cinq cents millions de la Bégum Gokool. Mais le Pr Schultze revendique vigoureusement sa part. Les deux hommes finissent par s'entendre et partagent cette fortune. Tandis que le Français emploie son argent à l'édification d'une cité modèle, France-Ville, l'Allemand élève la Cité de l'Acier et entend construire un canon pour détruire France-Ville et soumettre le monde. 

"Les précisions que donne Jules Verne avec une malice totale pour la construction de ce bonheur urbain sont telles que, évidemment, peu à peu, on a le sentiment d'un univers disciplinaire et concentrationnaire qui n'a d'équivalent que son envers allemand, cette cité prussienne militarisée et industrielle. 

On se rend compte que les deux cités offrent un enfer terrestre à peu près équivalent, même si le roman est pétri d'idéaux tout à fait contradictoires.

"L'utopie" de Thomas More (1516)

▶︎ Chez Flammarion

C’est l'humaniste Thomas More (1478-1535) qui a inventé le mot "utopie" et lui donne ici sa pleine définition en y défendant l’ouverture d’esprit et la discussion pour améliorer le plus possible la société. L'historien Michel Porret rappelle que Thomas More écrit cette œuvre au moment où l'Europe vit le plus grand choc culturel de l'histoire de l'humanité : l'époque des grandes explorations et de la découverte de l'Amérique (l'Europe estime avoir découvert une autre partie de l'humanité aux Amériques).  Il s'agit aussi d'essayer, dans cette œuvre, de rattacher cette découverte à la même histoire de l'humanité. 

C'est avec lui que le genre utopique va inonder la culture occidentale et devenir une façon de penser le monde

La marche de l'histoire
27 min

De quoi ça parle ? Chancelier du roi Henri VIII, Thomas More se désole des mœurs de son temps où corruption, abus, racket sont monnaie courante dans une société féodale sur le déclin. Il rêve d’un autre monde, d'une république exemplaire où la propriété individuelle et l’argent seraient abolis et les citoyens gouvernés par la raison et la vertu. Ce texte aux accents résolument modernes brosse le tableau d’une société anglaise décadente pour mieux introduire le lecteur à un univers débarrassé des faux-semblants et de l’injustice. Thomas More y conçoit son rêve humaniste : l'île d'Utopie, une communauté civile régie par "la meilleure forme de gouvernement". Éducation du peuple, entraide, tolérance religieuse... Il formule avec méthode les principes et les lois de cette cité nouvelle. Mais, loin de constituer une évasion vers un ailleurs idéal, cette Utopie est avant tout une réflexion sur les fondements éthiques et politiques d'une société juste et heureuse.

"L'An 2440, rêve s'il en fut jamais" de Louis-Sébastien Mercier (1771)

▶︎ Edition La Découverte

Michel Porret salue "le véritable coup de génie de Louis-Sébastien Mercier, écrivain français du mouvement des Lumières qui casse le paradigme utopique, le monde idéal ailleurs sur la terre, dans une île parfaite ou quelque part dans les cieux parfaits, et déplace le réformisme par "l'utopie dans le temps". 

Résumé : Louis-Sébastien Mercier, l’auteur du célèbre Tableau de Paris (entre 1781 et 1788) s’endort un soir à minuit et se réveille quelque 700 ans plus tard, dans un Paris totalement nouveau. Il s’étonne de tout, est lui-même objet de curiosité et tire de sa vision de profondes réflexions tant politiques que sociales et économiques. Le Paris de 2440, « auguste et respectable année », apparaît au lecteur à la fois comme un songe merveilleux et la description d’une société idéale. Louis-Sébastien Mercier, nourri des Lumières, croit en effet en la mission prophétique des philosophes et écrivains et délivre ici  sa vision d’un monde meilleur.

"Le monde tel qu'il sera" de Émile Souvestre (1846)

▶︎ Disponible gratuitement sur Google Book (Édition Wilfrid Coquebert)

Jonathan Swift et Voltaire étaient deux penseurs extrêmement sceptiques sur l'utopie , ils ont montré à quel point cet imaginaire chimérique qu'est l'utopie ne menait à rien, tant elle nous invite à vivre hors de l'histoire. Dans leur héritage se met en place toute une série de livres. Le premier d'entre eux est mal connu, c'est l'oeuvre d'un type absolument extravagant, Émile Souvestre. Il a écrit cette dystopie industrialiste extraordinaire, où, par exemple, le sein des nourrices est remplacé par un sein à vapeur. On plonge dans un monde épouvantable qui est réglé par le capitalisme, l'industrialisme. On construit à partir de ce moment-là des modèles alternatifs. 

La dystopie, c'est ici l'anti-utopie : vers quel enfer nous mène le monde idéal ? 

- Michel Perrot

Résumé : Marthe et Maurice, deux jeunes mariés modestes et idéalistes de 1845 curieux d'observer comment leur espoir d’un monde futur meilleur se traduira, visitent le monde de l’an 3000. Mais ils se rendent compte que celui-ci est épouvantable, dénué de toutes les valeurs essentielles de la vie sur lesquelles ils comptent. 

"Sur la route" de Jack Kerouac (1957) et "La route" de Cormac McCarthy (2008)

▶︎ Chez Gallimard 

▶︎ Chez Éditions de l'Olivier

Le passage de l'utopie à la dystopie est, selon François Angelier, véritablement incarné par ces deux romans qui portent à peu près le même titre : "on voit comment un idéal utopique qui est celui de la route, identifiée à l'horizon sans cesse relancé, sans cesse redéfini, où tout est possible et où les espérances sont toujours inscrites dans l'Après : on ne sait pas qui on va rencontrer et quel paysage on va découvrir ! 

Que nous réserve la route de Kerouac ? Le livre est centré sur le personnage obscur et fascinant de Dean Moriarty, considéré comme le chef de file de la Beat Generation. En révolte contre l'hypocrisie morale de l'Amérique bien-pensante, Jack Kerouac parcourt les États-Unis à la recherche d'un nouveau mode de vie. 

Et dans celui de Cormac McCarthy, la route est devenue un espace de survie totalement dystopique où l'on consomme l'effondrement généralisé à la fois des corps, des choses, des sociétés :  l'horreur, le cannibalisme, la mort, la pluie de cendres… 

On a bien, avec ces deux livres, le passage vers le désenchantement total de l'espérance humaine.

"Une machine comme moi" de Ian McEwan (2020)

▶︎ Editions Gallimard 

Michel Porret cite également le dernier livre de l'auteur britannique : "Un roman qui raconte l'irruption de cyborgs absolument parfaits dans la société contemporaine, au point que les femmes peuvent aller faire l'amour avec un cyborg sans se rendre compte que c'est une machine. 

C'est un horizon d'attente extrêmement important sur la post-humanité

L'utopie et la dystopie ont toujours fonctionné sur ce type de paradigme pour essayer non de refléter mais d'être en prise avec quelque chose qui est à l'œuvre très profondément dans une société". 

Résumé : Londres, 1982. Dans un monde qui ressemble à s’y méprendre au nôtre, quelques détails dissonent : les Beatles sont toujours au complet, les Anglais ont perdu la guerre des Malouines et le chercheur Alan Turing est encore en vie. Grâce à lui, les prouesses technologiques sont inouïes et les avancées scientifiques en matière d’intelligence artificielle fulgurantes. C’est ainsi que Charlie fait l’acquisition d’un "Adam", un androïde doté de l’intelligence artificielle la plus perfectionnée qui soit. Adam ressemble beaucoup à un humain. Adam et ses semblables ont été conçus pour respecter les règles et ne parviennent pas à accepter les imperfections du monde. 

Et tant d'autres !

Aller plus loin 

🎧 RÉÉCOUTER - L'été comme jamais, animée par Dorothée Barba : L'utopie est-elle encore possible ?