Et si on allait trop vite dans la communication de résultats soit disant prometteurs pour les traitements du Covid ? En pleine pandémie, on peut comprendre que les gens aient envie de bonnes nouvelles, mais à trop se hâter, on risque de négliger la méthode scientifique et de susciter de faux espoirs.
Tous les jours ou presque, alors que le monde entier cherche à comprendre, la presse se fait l'écho de résultats prometteurs sur les traitements du Covid, évoqués par des cliniciens seuls, ou constatés dans telle ou telle étude, venant de Chine, des États-Unis, de France, et publiée ou non dans une revue scientifique.
Des espoirs précipités
Evidemment, dans le contexte, avec une pandémie et un virus dont on découvre jour après jour les caractéristiques, on a envie d'y croire. Il y a eu Didier Raoult et son "intuition" sur la chloroquine, le laboratoire Gilead et les "bons résultats" de son traitement anti viral Remdesivir, plus récemment l'hôpital Foch de Suresnes et l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris ont communiqué des "résultats prometteurs" sur le Tocilizumab, un immunomodulateur censé limiter "l'orage immunitaire" qui caractérise certains cas graves de Covid. Chaque fois, ces informations suscitent l'espoir dans la population, on l'a vu notamment avec l'engouement créé par la chloroquine, mais à trop se hâter, les scientifiques en oublient parfois l'essentiel : la rigueur.
Après les espoirs sur la chloroquine lancés un peu trop vite par Didier Raoult, au mois de mars, et qui lui ont valu l'opprobre d'une grande partie de la communauté médicale, car ils n'étaient étayés d'aucune preuve scientifique valide, l’APHP s’est elle aussi pris les pieds dans le tapis en communiquant fin avril des résultats trop préliminaires sur le Tocilizumab.
Pas assez de preuves
Le 27 avril dernier, via une conférence de presse téléphonique, l'AP-HP avait communiqué largement pour expliquer que le Tocilizumab avait prouvé son efficacité pour les cas graves. Mais en présentant l'étude, qui s'inscrit dans un programme plus large de recherche baptisé Corimmuno, elle n'avait pas publié de chiffres pour compléter ses affirmations. Pas de détails, pas de données solides. En outre, ces premiers résultats préliminaires n'avaient pas été publiés par la moindre revue scientifique, donc pas évalués par d'autres experts. Certains journalistes et observateurs s'étaient d'ailleurs étonnés d'une communication aussi vide de preuves chiffrées.
Le 30 avril, 3 jours après cette communication, coup de théâtre : le comité de surveillance de l'essai,composé d’experts indépendants chargés de le superviser démissionnait collectivement pour contester cette communication hâtive et prématurée d’après lui. Cela sonne évidemment comme un désaveu pour les investigateurs et promoteurs de l'essai, et nuit, forcément, à sa crédibilité.
Alors pourquoi avoir communiqué si vite et si mal ? L'AP-HP fait valoir des "raisons de santé publique" en raison du contexte pandémique. L'urgence expliquerait donc cette stratégie. Les premiers résultats auraient "fuité" aussi, ce qui aurait encouragé la direction des Hôpitaux de Paris à prendre les devants.
On peut imaginer aussi, alors que des équipes du monde entier travaillent sur les traitements possibles du Covid et cherchent la parade, que l'AP-HP ait voulu "tirer" la première, en diffusant des résultats mêmes partiels. "Une course vaine" estime l’épidémiologiste Dominique Costagliola, qui "entretient de faux espoirs et qui piétine la méthode scientifique". "Ce qui accentue les choses, c'est cette situation d'urgence : ils n'ont pas voulu attendre d'avoir des données solides, de monitorer l'étude en respectant les échéances classiques, à J14, puis J28, ils ont voulu aller plus vite que la musique. Ce qui est éthique c'est de faire vite et bien, pas de faire vite et mal. C'est dommage, car ça fait perdre de la crédibilité aux équipes, et de la confiance aux gens qui ne vont plus croire à la recherche. C'est dommage, car l'étude était intéressante, constructive, on la gâche, c'est idiot, à vouloir maladroitement dégainer les premiers".
D’autant que finalement, que ce soit la chloroquine, le Remdesivir, ou le Tocilizumab, tous ces médicaments ont d’autres indications initiales et rien ne dit qu’ils marcheront, et que les intuitions sur le terrain seront finalement validées. Pour beaucoup de spécialistes d’ailleurs, il est possible qu’ils marchent un peu, et améliorent sensiblement les pronostics, mais peu probable qu’ils aient des effets spectaculaires. Car ils n’ont pas été développés spécifiquement pour combattre ce virus, comme les traitements anti-VIH par exemple. "Mais ces traitements là, explique Dominique Costagliola, il faut rappeler aussi qu'on a mis des années à les trouver."