"Et Alain a appelé"... Quand Delon et une piscine relancèrent la carrière de Romy Schneider
Par Anne AudigierRomy Schneider a belle allure au bord de cette piscine et sans doute consciente que si elle est là c'est grâce à la ténacité d'Alain Delon et de Jacques Deray. Le choix du casting n'a cependant été qu'une des nombreuses péripéties qui jalonnent l'histoire de ce huis clos solaire.
La Piscine sort sur les écrans le 31 janvier 1969 et on peut dire que la presse est assez unanime :
"Le talent de Delon, la beauté de Romy" - Robert Chazal (France Soir)
"En renonçant aux facilités du pur film d'action, Jacques Deray a trouvé sa voie" - Jean de Baroncelli (Le Monde)
"Un beau morceau de cinéma classique, où l'artisan s'efface devant le mythe de l'auteur" - Henry Chapier (Combat)
"Bien joué. La forme ne laisse pas insensible" - Louis Chauvet (Le Figaro)
Le Masque et la Plume, est un peu plus mitigé, même si Georges Charensol, Jean-Louis Bory et Michel Aubriant saluent le travail de Jacques Deray.
Le masque et la plume a aimé La Piscine
7 min
Mais avant d'en arriver là, le chemin fut long et sinueux.
L'histoire de La Piscine débute très précisément le 6 mars 1967, lorsque Jacques Deray prend une option sur un scénario de trente pages écrit par un de ses amis, Alain Page (qui écrit aussi sous le nom de Jean-Emmanuel Conil).
Je suis dans le métier reconnu comme un professionnel. J’ai envie d’être, moi aussi, un auteur de film
Deray confie à Jean-Claude Carrière la mission d’écrire le script et se met en quête d’un producteur. Le seul qui "semble témoigner quelque intérêt à l’histoire" raconte-t-il dans J'ai connu une belle époque (Editions Christian Pirot, 2003) est Gérard Beytout.
Le choix des comédiens est également un parcours du combattant. Et pourtant, il semble si évident, ce casting, aujourd’hui.
Quinté gagnant
On a souvent raconté la difficulté pour Deray de trouver son interprète féminine. Mais le choix du rôle masculin ne fut pas plus simple se souvient-il : "De James Fox à Claude Rich, qui refuse le rôle de Jean-Paul, la liste des acteurs pressentis est pourtant longue. Jusqu’au jour où Alain Delon lit le sujet et donne aussitôt son accord. D’un seul coup le paysage s’éclaircit."
Pour le rôle de Marianne, plusieurs comédiennes sont envisagées : Leslie Caron, Natalie Wood, Angie Dickinson.
Delphine Seyrig et Monica Vitti sont approchées. Les deux hésitent, bien qu'aimant le scénario, à faire un film en maillot de bain. Et puis Delon propose le nom de Romy Schneider. Mais pour le coup, c’est le producteur qui a du mal à imaginer Sissi en bikini. Alain Delon doit mettre tout son poids dans la balance.
Si ce n'est pas Romy, je ne fais pas le film
Romy Schneider vit alors à Berlin où elle s’est installée avec son mari, Harry Meyen pour se consacrer à son fils, David. La Piscine arrive après deux ans de "flottement". Quelques années plus tard lors d’une interview avec Michel Drucker elle confie avoir traversé une période de doute quant à la suite de sa carrière.
Jacques Deray se souvient : “Romy nous rejoint à Paris. Dès la première minute, je suis conquis. Je la trouve rayonnante, avec pourtant, dans le regard une lointaine expression de tristesse. Alain est là pour l’accueillir. Je les observe tous les deux et je sais que la chance vient de me sourire. Un magicien, en la personne de Delon, vient de frapper à ma porte après des mois de lutte, d’incertitude et d’angoisse."
Pour Maurice Ronet, le réalisateur, très impressionné par le duo de Plein soleil, a très envie de le reconstituer huit ans plus tard.
Chaque fois que je tourne avec Delon, il me tue
Quant à Jane Birkin, après l’avoir croisée par hasard lors d’un dîner, il sait qu’il a trouvé la jeune fille qui incarnera Pénélope : "parce qu’elle avait un accent pas comme les autres, une façon de sourire, de rire, de marcher, de s’étonner, parce qu’elle avait un grand sac de paille…"
Le cinquième personnage du film, c’est la voiture : La Maserati Ghibli
C‘est l’importateur officiel de Maserati en France, Jean Thépenier qui propose à la production d’utiliser un coupé Ghibli. Thépenier doit ensuite convaincre le propriétaire de la marque de faire un geste. Il ira jusqu’à laisser entendre qu’Alain Delon pourrait l’acheter après le tournage. Ce qui ne sera finalement pas le cas.
La voiture fait son apparition à la 9ème minute, filmée au ras du sol tel un animal prêt à bondir. Et elle est rapidement au centre du dialogue entre Maurice Ronet et Romy Schneider
- Marianne : « C’est ton dernier monstre, ça ? »
- Harry : « Oui, Paris – Saint Tropez en 7h15, avant-hier. Elle te plaît ? »
- Marianne : « Je serais difficile ! »
Et elle fait le tour de la carrosserie en la caressant. La voiture devient immédiatement un personnage, le symbole de la réussite de Harry qui va cristalliser la haine de Jean-Paul.
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Voilà déjà plus d’un an que Jacques Deray travaille sur son projet lorsque la préparation est brusquement interrompue par un événement qu’il ne pouvait pas prévoir : Mai 68
Tout comme ses collègues Truffaut, Godard, Malle, Polanski… Deray participe à cette révolution. Le mouvement aboutira le 14 juin à la naissance de la Société des Réalisateurs de Films qui se donnent pour mission de défendre les libertés morales, professionnelles et économiques de la création.
Le tournage
Jacques Deray a décidé de situer l’action dans le sud de la France. Le choix de la villa L'Oumède à Ramatuelle revient au producteur, Gérard Beytout, qui l’avait louée pour ses propres vacances.
Le tournage ayant été décalé de quelques semaines, le réalisateur décide de filmer en respectant l’ordre chronologique des faits : "Ainsi au début, le paysage est souriant, enchanteur, on sent les vacances, les fleurs, le soleil, l’oisiveté, puis au fur et à mesure que le drame se noue, la nature même évolue jusqu’à devenir triste et agressive."
Ce choix se ressent également dans l’évolution des relations entre les personnages : "Alain et Romy, follement heureux de se retrouver au début du tournage, ont au bout de quelques semaines, épuisé les émotions des souvenirs de leur cher et tumultueux passé."
Plus tard, Alain Delon confiera : "Il n'y avait plus de passion entre Romy et moi. C'était autre chose, plus fort, plus puissant, plus que les mots ne peuvent le dire."
Le tournage débute par une scène dénudée, sans dialogue, qui deviendra mythique. Romy Schneider le raconte dans une lettre adressée à son amie scénariste Christiane Höllger
On a commencé le tournage par une séance de pelotage - sans dialogue - et ça a l'air bien "excitant", pas gratuit, ni bon marché
A la demande de Jacques Deray, Jean-Claude Carrière a écrit très peu de dialogue. Deray sortait d’un film dialogué par Audiard : "Avec son texte je suis obligé de filmer celui qui parle. Je suis complètement esclave des mots."
Moins tu mets de dialogues, plus tu m'obliges à avoir de l'imagination
Carrière s’exécute : "Il n’y a que huit pages de dialogues en tout. C’est presque un film muet ! L’autre film français où il y a très peu de dialogues c’est Casque d’or de Jacques Becker." et il ajoute, "J'avais écrit le scénario en dialogues indirects. Je sentais qu'il y avait là un enjeu mélodramatique et je voulais que les dialogues parlent de tout sauf des conflits qui opposaient directement les personnages."
Ce sont les dialogues de Carrière, traduits, qui sont également utilisés dans la version anglaise. Jacques Deray a en effet tourné deux versions de son film. C'était à la mode de faire deux versions simultanément. Les quatre acteurs étant parfaitement bilingues, le réalisateur a tourné successivement chaque prise en français puis en anglais.
Le 3 octobre, comme si le réel rattrapait la fiction, l’équipe voit débarquer deux inspecteurs. Ils veulent interroger Alain Delon.
C’est le début de ce que l’on a appelé l’Affaire Markovic qui touchera les plus hautes sphères de l’Etat. Le corps de Stevan Markovic a été retrouvé deux jours plus tôt. Ce jeune Yougoslave était "l’homme à tout faire" d’Alain et Nathalie Delon. Peu de temps avant le meurtre, l’acteur s’est séparé de lui en raison de diverses indélicatesses et d'une aventure qu’il a eu avec son épouse Nathalie. Alain et Nathalie Delon sont longuement interrogés par les enquêteurs. Aucune charge n'est retenue contre eux.
Autre élément qui aurait pu être perturbateur : Serge Gainsbourg. Lui et Jane se sont rencontrés peu de temps auparavant. Il est très amoureux et la perspective de laisser la jeune femme avec le duo Delon/Ronet le rend fou :
Si l'un des deux touche à Jane, je le descends (...) Ce n'est pas tellement Delon qui me fait peur, mais Ronet... Celui-là, avec son air de ne pas y toucher!
Gainsbourg va suivre Birkin à Saint-Tropez, promettant de dégainer le revolver qu'il s'est procuré s'il voit l'un des deux lui faire des avances.
La musique
C’est la première collaboration entre Michel Legrand et Jacques Deray. Il y en aura deux autres : pour l’adaptation du roman de Françoise Sagan, Un peu de soleil dans l’eau froide, en 1971, puis pour Un homme est mort, en 1972.
L’intrigue de La piscine a inspiré au compositeur une partition pour chœurs, voix et orchestre. La première séance d’enregistrement sera cocasse, Jacques Deray étant loin d’avoir imaginé des chœurs au bord de la piscine. Legrand modifie donc sa partition et retire les chœurs, au moins du générique.
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La Piscine est importante à plus d’un titre pour la suite de la carrière de ses protagonistes. Alors qu’il travaille sur le montage du film au studio de Boulogne Jacques Deray reçoit la visite de Claude Sautet. Il souhaite voir quelques images du film car on lui a beaucoup vanté le travail de Romy Schneider. On connaît la suite : ce sera Les Choses de la Vie.
Romy qui écrira plus tard à Deray : "Tu m’as confié un rôle merveilleux, j’espère en avoir tiré le mieux, même plus, puisque pendant ce travail avec toi, mon ambition, je l’ai retrouvée, ah oui ! …
Si je t’ai emmerdé quelques fois, dis-toi qu’au moins, je suis une « emmerdeuse professionnelle » !
Ne m’oublie pas. Je t’embrasse. Ta Marianne + ta Romy. "
Dans son livre de souvenirs, Jacques Deray évoque son "extraordinaire rencontre" avec Alain Delon. Ils tourneront neuf films ensemble. C’est au bord de la piscine de la villa L'Oumède qu’est né l’un de leur projet : "Je me souviens de ce soir-là, dans ce lieu abandonné, de notre conversation à une voix, qui allait donner naissance à une autre formidable aventure : Borsalino"
La Piscine est sortie au cinéma le 31 janvier 1969 et a attiré plus de 3 millions de spectateurs
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