"Et puis j'ai découvert la machine à café" : ils ont commencé un nouveau job en faisant du télétravail
Par Elodie VilfriteAprès un printemps critique marqué par le confinement, le marché de l'emploi redémarre peu à peu. Le recours au télétravail reste massif, une nouvelle méthode de travail en forme de défi pour ceux qui intègrent une entreprise aujourd'hui. Témoignages.
Qu'est-ce que ça fait de commencer dans une entreprise sans mettre un pied dans l'entreprise ? De découvrir ses collègues à travers la lucarne d'un onglet Zoom ? Commencer un nouveau travail relève toujours du challenge. Dans un contexte de crise du coronavirus et de télétravail encouragé, ça l'est encore davantage. Le télétravail explose et devient la norme pour de nombreuses entreprises. Fin mai, ils étaient encore un quart des salariés du privé à y recourir selon la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Pour les nouveaux arrivants, pas facile de démarrer sans voir en chair et en os ses collègues ou ses clients. Quatre salariés fraîchement embauchés racontent leurs débuts à distance.
Damien, 41 ans : "Le télétravail, c'est une phase d'apprentissage accélérée"
En plein confinement, Damien a quitté un grand groupe du secteur de l'énergie pour prendre en charge la communication d'une entreprise plus petite du secteur du numérique.
Depuis le début de son contrat, il n'est allé qu'à deux reprises dans les bureaux de son employeur. La première, c'était pour récupérer un ordinateur fin avril. Ce jour-là, le protocole sanitaire dans l'entreprise était très strict, pas le temps de s'éterniser dans les locaux, de toute façon vides, ou avec la personne missionnée pour lui remettre le matériel. "Ça m'a quand même permis de voir un visage humain avant de commencer, une bonne chose", tempère Damien. La deuxième, c'était le 8 juillet, son premier jour de travail en présentiel. "J'ai pu découvrir l'une des conditions d'un travail heureux et réussi : la machine à café !", s'amuse Damien. "C'est là que j'ai découvert les humains qui se cachent derrière les collègues. J'avais hâte de prendre la température de l'entreprise, de connaître les caractères et les humeurs de ceux que j'ai vu derrière mon écran", précise-t-il.
Lorsqu'il a signé son contrat en février, le cadre était bien loin de s'imaginer que le télétravail allait devenir son quotidien. Usager très occasionnel de ce mode de fonctionnement avant la crise, il s'y est néanmoins rapidement adapté : "Il y avait déjà une culture du télétravail et des outils numériques dans cette entreprise, qui est assez jeune, alors elle avait tout bien mis en place pour faciliter les contacts et m'accueillir. Au-delà de ça, j'ai commencé alors que nous étions confinés depuis déjà un mois, la structure était rodée", explique-t-il. Malgré cela, il y a toujours "une part d'improvisation", nuance-t-il.
Damien estime en tous cas être plus productif ainsi, en télétravail : "Bizarrement, ça fait deux mois que j'ai commencé et j'ai l'impression que ça en fait six. Je trouve qu'en télétravail, on se concentre beaucoup plus vite sur l'essentiel, c'est une phase d'apprentissage véritablement accélérée."
Malgré cela, Damien regrette un peu de ne pas avoir eu le temps de "savourer paisiblement l'onboarding, ces premières semaines que l'on consacre à comprendre, à tête reposée, l'entreprise, le secteur, à faire un point sur les dossiers et l'état des lieux. J'ai été plongé dans le bain tout de suite !"
Julie, 25 ans : "J'appréhende la communication à distance"
Depuis la fin de son contrat en alternance dans une banque en septembre 2019, Julie Naulin peine à trouver un emploi. Après une succession d'envois de CV, d'entretiens infructueux et un projet de départ pour tenter sa chance à Berlin abandonné à cause du confinement, le monde du travail lui a enfin souri en juin.
Elle ne s'attendait pas à décrocher son premier CDI maintenant, à l'aube d'une crise économique de grande ampleur, et pourtant. "J'ai été contactée au début du confinement par un cabinet de conseil mais à cause du Covid, les managers m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas me recruter tout de suite. Nous sommes restés en contact régulier et puis miracle, une mission est tombée, et j'ai été embauchée. Je suis soulagée d'avoir réussi à tirer mon épingle du jeu, surtout en ce moment", explique-t-elle.
Tout s'est fait en moins d'une semaine : "J'ai passé l'intégralité de mes entretiens à distance, en trois jours, et signé mon contrat dans la foulée. Même si on était déjà déconfinés, les bureaux n'étaient pas encore ouverts à ce moment et à l'heure actuelle la visio reste la règle dans l'entreprise", précise la jeune femme. Une règle qui risque de demeurer valable à moyen terme pour Julie.
Dès le début de sa mission en juillet et jusqu'en septembre "au moins", la consultante sera en télétravail à 100%. Si un espace de coworking - qui ne peut pas accueillir tous les employés en même temps - est à sa disposition chez son employeur, il n'est pour l'instant pas question de se rendre auprès de ses clients; d'ailleurs elle ne rencontrera sans doute jamais réellement ses clients. Julie officiera surtout depuis son petit deux-pièces du XXe arrondissement de Paris. Elle avait d'abord improvisé un bureau sur le rebord de sa cheminée avant de se raviser et d'installer une petite table et une grande chaise dans sa chambre, à quelques centimètres de son lit. "On fait avec les moyens du bord."
Pour la jeune active, le télétravail comporte autant d'aspects positifs que négatifs : "Après huit mois sans activité professionnelle, c'est une reprise en douceur avec des journées que j'organiserai moi-même, débarrassée du stress des transports. Mais j'appréhende un peu ; je me dis que la communication risque d'être moins fluide. Mon métier c'est beaucoup d'intelligence collective donc exercer à distance, c'est inhabituel et compliqué."
Flavie, 24 ans : "En Belgique, on a moins la culture du présentiel"
Elle devait commencer son VIE d'un an à Bruxelles - volontariat international en entreprise, un dispositif pour l'emploi des jeunes Français à l'étranger - en avril, puis en mai, et c'est finalement en juin que Flavie Jeuffroy Palluel a pris son poste dans une société de conseil en ingénierie. "Business France, l'organisme qui gère les VIE, ne voulait pas nous faire prendre le risque de commencer en plein milieu de l'épidémie", précise Flavie, qui trouve la décision justifiée ... Mais pas facile financièrement ; deux mois de salaires décalés, ce n'est pas rien. D'autant plus quand on sort tout juste d'école de commerce.
Si elle avait déjà fait un stage dans cette même entreprise en 2018, à Aix-en-Provence à l'époque, Flavie ne connaissait pas ses nouveaux collègues qui officient en Belgique. Elle a fait ses premiers pas parmi eux en télétravail, depuis la France, sans difficultés particulières. Une réussite que l'ingénieure d'affaires explique ainsi : "En Belgique, il y a moins la culture du présentiel qu'en France. On n'a pas besoin d'être derrière son bureau sur site pour prouver qu'on est actifs. Puisque mon entreprise avait déjà régulièrement recours au télétravail avant le confinement, elle était bien organisée."
Le plus difficile et le plus stressant pour elle, ce n'était finalement pas de commencer à distance mais que la situation s'éternise. Selon elle, le télétravail c'est bien mais avec parcimonie. Pour celle qui n'avait jamais mis les pieds en Belgique, la réouverture de la frontière franco-belge le 15 juin a été vécue comme un soulagement.
Car aujourd'hui, Flavie a pu déménager en Belgique et passe le plus clair de son temps de travail dans les locaux de l'agence, une situation qu'elle affectionne davantage : "Même si j'étais assez efficace à distance, le lien social m'avait manqué. Nous ne sommes qu'une dizaine dans l'agence, on a une vraie vie d'équipe. Je n'aurais pas pu rester en télétravail intégral, j'aurais manqué quelque chose, principalement au niveau humain."
Pierre, 56 ans : "Maintenant que je suis allé au bureau, j'apprécie les journées en télétravail"
Il était anti-télétravail avant d'y avoir goûté, contraint et forcé par le confinement. Pierre Massebeuf a vécu la fin de son ancien emploi à ce moment-là ; la transmission dématérialisée et en vitesse des dossiers, les au-revoir avortés. Sept années qu'il occupait son poste, alors forcément, Pierre a un goût d'inachevé. "J'avais commencé à réfléchir à qui j'allais convier à mon pot de départ, au petit discours que j'allais faire", précise-t-il, un peu frustré.
Sa prise de fonctions à son nouveau poste, dans le secteur de l'assurance comme auparavant, a aussi eu lieu pendant le confinement. "Le télétravail, ça ne m'intéressait pas, je n'avais jamais éprouvé le désir d'en faire avant le Covid. Je préfère la relation en face à face", explique cet amateur de bonnes blagues, le genre d'élément qui met l'ambiance dans une équipe. La communication à distance ne l'a cependant pas bridé dans son naturel, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, tient-il à préciser. En revanche, sur le plan purement professionnel, quand Pierre a commencé à travailler à distance, cela ne lui convenait pas, il jugeait son travail "dégradé".
Depuis juin, il va au bureau presque tous les jours. Un open space intégré dans un autre open space car son équipe - sept personnes en tout mais rarement présentes en même temps - traite de sujets soumis au secret médical. Il pratique le télétravail une à deux fois par semaine, et pour lui, ça change tout. Il n'avait vu physiquement que son chef le jour de son entretien d'embauche, en février dernier. Aujourd'hui, il est plus épanoui : "J'avais besoin de revoir mon responsable et de rencontrer mes collègues, humainement et professionnellement. Maintenant que c'est fait, quand on me propose un jour de télétravail, je n'hésite pas. J'y ai trouvé des avantages quand c'est ponctuel."
La liberté dans l'aménagement des horaires, le travail sur la terrasse de son jardin en proche banlieue parisienne, la sérénité d'être seul chez soi en sont les principales raisons. "Paradoxalement, même si le lien social est essentiel pour être productif, il y a des jours où la solitude rend plus efficace, des jours où on ne perd pas de temps à être sollicités par les autres en permanence", développe-t-il.
Comme Pierre, une majorité de salariés plébiscite cette nouvelle méthode. Selon une étude Deskeo publiée le 7 juillet 2020, 73% des Français aimeraient télétravailler deux jours par semaine même après l’épisode de coronavirus.