États-Unis : le vote par correspondance est-il aussi risqué que Trump l'affirme ?
Par Chadi RomanosLes citoyens de Caroline du Nord reçoivent aujourd'hui le matériel électoral qui leur permettra de choisir le prochain président des États-Unis. À eux, dans les prochaines semaines, d'exprimer leur vote, par la poste pour certains, comme cela se fait outre-Atlantique depuis le milieu du XIXe siècle.
Le 3 novembre prochain, lorsque seront décomptées les voix des Américains en faveur de Donald Trump et de Joe Biden, peut-être certains bulletins seront-ils entachés de soupçon, comme aime à le laisser penser le président en exercice. Dans un tweet du 22 juin 2020, alors que semblait s'imposer, pandémie oblige, un recours massif au vote par correspondance, il déclarait, dans la droite ligne de propos tenus par le procureur général William Barr :
"L'élection 2020 frauduleuse : des millions de bulletins envoyés par la poste seront imprimés dans des pays étrangers, et autres. Ce sera le scandale de notre époque."
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De passage en Caroline du Nord, premier État à expédier à ses administrés le matériel de vote par correspondance, le président américain a enfoncé le clou jeudi, incitant les électeurs à doubler leur vote par correspondance d'un bulletin dans l'urne : "Si les systèmes sont si bons qu'ils le disent, alors ils ne seront évidemment pas capables de voter" une seconde fois, a-t-il déclaré ( les incitant au passage à commettre un délit, comme le signale le procureur général de Caroline du Nord).
Depuis quand vote-t-on à distance ?
Une sortie tout à fait discutable, tant le vote par correspondance est inscrit dans l'Histoire des États-Unis (et pratiqué par Donald Trump et les siens). La pratique relève de ce que les codes électoraux des États qualifient d'"absentee voting", de situations dans lesquelles les électeurs ne sont pas en mesure de se déplacer physiquement pour exprimer leur voix. Et elles ne sont pas rares, dans un pays dont la majeure partie s'étend sur trois fuseaux horaires et où la densité moyenne avoisine les 34 habitants par kilomètre carré (105 en France métropolitaine).
Mais avant la géographie, c'est un événement historique qui a précipité l'usage des bulletins postaux ("mail-in ballots") : la guerre de sécession, qui tenait les jeunes électeurs mobilisés éloignés de leurs bureaux de vote. Critiquée – comment garantir le secret du vote ? – la pratique ne s'imposera pas tout de suite. Il faudra attendre le début du XXe siècle et une accélération des déplacements dans un pays-continent pour que soient levés les réserves relatives au vote par correspondance.
Au point que, à partir des années 1960, tous les États américains en ont autorisé l'usage, dans des conditions parfois très étendues. En 1978, par exemple, la Californie a dispensé les électeurs de justification pour voter à distance, et depuis 2000, quatre États – l'Oregon, l'Utah, l'État de Washington et le Colorado – ont mis un terme au vote physique dans des urnes.
Laisser penser, dès lors, que l'élection 2020 présenterait davantage de risques que les précédentes n'est pas fondé. Les règles qui s'imposent aux électeurs, éprouvées dans le temps, restent strictes. Et si ceux-ci peuvent se trouver sous influence lorsqu'ils votent à distance, cela n'est en soi ni nouveau, ni problématique au regard de la loi : le secret du vote relève toujours du choix individuel, et pas d'une condition que le législateur devrait garantir.
Comment ça marche ?
Aux États-Unis, le code électoral est l'affaire des États (articles I et II de la Constitution). Chacun a la charge de veiller à la bonne tenue des listes électorales et de définir les modalités du vote. Et en particulier du vote à distance, qui repose sur un principe simple : l'inscription sur les listes électorales, contrôlées par les autorités, qui peuvent croiser les informations avec un numéro de permis de conduire, de sécurité sociale… Des tentatives de fraude ont parfois été détectées – souvent pour pointer les failles du système, en inscrivant un chien par exemple –, mais aucun mouvement de masse n'a jamais été à déplorer.
Aucune procédure de vote électronique à distance n'ayant été adoptée, ce sont des bulletins papier qui sont envoyés aux électeurs. Le matériel électoral serait susceptible d'être détourné ?
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"Des boîtes aux lettres seront forcées, des bulletins seront contrefaits, même imprimés illégalement au frauduleusement signés", avertit le président des États-Unis. Difficile, en 2020, d'imaginer un tel scénario. Dans 29 États, les bulletins expédiés sont dotés de codes uniques, liés à un électeur en particulier et traçables (à l'instar d'un courrier suivi, ils peuvent voir si leur vote a bien été pris en compte – et le contester s'ils ne sont pas à l'origine de l'envoi), ce qui limite le potentiel de fraude. Cela rend plus difficile encore la fabrication de faux, par les puissances étrangères dont Donald Trump fait état.
Autre difficulté pour les fraudeurs potentiels : les électeurs peuvent être appelés, lors de la même opération de vote, à désigner des membres d'un conseil municipal ou du conseil d'administration d'une école à l'échelle de chacun des 3 000 comtés américains. Avec, à chaque fois, du matériel électoral spécifique.
Enfin, l'enveloppe contenant le bulletin de vote doit, notamment dans l'État de Washington, qui est passé au vote postal à 100 %, être accompagnée d'une signature, vérifiable par les agents qui la recevront. Lesquels se réservent le droit de contacter l'électeur en cas de doute. Quant à ceux qui dépouilleront les bulletins – ce ne sont pas les mêmes –, ils sont souvent placés sous l'œil de scrutateurs extérieurs, mais aussi, parfois, de caméras accessibles au public, par souci de transparence.
Entre la fraude et la participation, qui gagne ?
Donald Trump n'est pas le premier à pointer les risques du vote par correspondance, comme le rappellent volontiers ses partisans. Il y a quinze ans, une commission bipartisane sur la réforme du processus électoral fédéral présidée par l'ancien président Jimmy Carter avertissait :
"Les votes à distance demeurent une des sources principales de fraude électorale potentielle."
Mais il est difficile de chiffrer la fraude. Les cas recensés par la conservatrice Heritage Foundation n'étayent pas l'idée d'un risque majeur ( quoiqu'elle dise le contraire dans ses conclusions).
Restent les faits, sur lesquels les opposants au vote à distance surfent volontiers : dans un article intitulé « Les risques du vote par correspondance », l'Heritage Foundation rappelle que 1 bulletin sur 5 a été invalidé dans le cadre des opérations de vote par correspondance les plus récentes, pour des raisons très diverses : problème de signature, non conformité du document…
Au delà, l'institution, qui rappelle que lors de la dernière présidentielle américaine, 130 millions de personnes ont voté, émet un doute sur les capacités des services postaux, réformés récemment : "Peut-on réellement penser que la poste sera soudainement capable de traiter 260 millions de courriers supplémentaires [ceux qui sont envoyés aux électeurs et ceux que les électeurs envoient en retour] ?"
Ce serait, toutefois, un bon test. D'autant que dans une très grande majorité d'États, le vote anticipé est possible (voir carte ci-dessus). Une étude de l'université de Stanford, mentionnée par Reuters, fait état d'une progression sensible de la participation électorale dans les États qui sont passés au vote par correspondance intégral. Dans le Colorado, 77 % des citoyens en âge de voter ont envoyé un bulletin en 2016. Dans l'Oregon, ils étaient 72 %, et dans l'État de Washington, 68 %. Soit un engagement citoyen supérieur à la moyenne nationale, établie à 63 %.