Pour la première fois, un ancien haut cadre d’Alstom témoigne sur le système de corruption mis en place au sein de l’entreprise.
En 2014, Alstom a été condamné à une amende record de 772 millions de dollars par la justice américaine, pour des faits de corruption. Dans le même temps, la branche énergie du groupe est rachetée par l’américain General Electric.
Pierre Laporte a travaillé trois ans chez Alstom (de 2012 à 2015) comme directeur juridique d’Alstom Grid, la branche du groupe spécialisée dans le transport d’électricité. Il témoigne pour France Inter.
Un système de corruption généralisé
"Ce qu’a identifié la justice américaine, avec l’assistance du FBI, c’est un système de corruption généralisé au sein du groupe Alstom, explique Pierre Laporte. En dépit des prétentions des dirigeants du groupe d’avoir mis en place un système de "compliance" [conformité] qui était en fait de pure façade, il existait un système corruptif consistant à utiliser des consultants dans de nombreux pays, via des sociétés de paiements installées en Suisse ou en Angleterre."
Pierre Laporte : "Les pratiques de corruption au sein d'Alstom étaient généralisées"
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L'ancien cadre l'affirme : "Il s’agissait de verser des pots de vins pour remporter des affaires commerciales. C’est la raison pour laquelle la sanction américaine a été si sévère."
"Les mêmes méthodes que contre la mafia"
Pierre Laporte décrit les méthodes de la justice américaine pour lutter contre la corruption, qui ressemblent à celles utilisées contre la mafia : "Ce sont des méthodes agressives et, finalement, assez violentes. L’idée, c’est d’arriver à casser la logique de bande organisée. Pour la justice américaine, la meilleure façon est d’avertir qu’on va sanctionner."
C'est ce qui est arrivé à Alstom qui a été averti plusieurs fois. "Ses dirigeants sont même allés aux Etats-Unis pour rencontrer le département de la justice, qui les a mis en demeure, poursuit Pierre Laporte_. Mais comme la direction d’Alstom a d’abord refusé de coopérer, la traque a été menée au niveau mondial."_
Les Américains ont fini par arrêter l’un des membres de la direction : "lls l'ont emprisonné et mis sous pression pour obtenir des informations. C’est uniquement à partir de ce moment-là que la direction d’Alstom a commencé à coopérer." La méthode est claire : "Après l’avertissement, on attrape l’un des membres du groupe qui connait le système pour terroriser les autres."
General Electric avait Alstom dans son viseur
De 1998 à 2005, Pierre Laporte a travaillé chez General Electric comme directeur juridique de la division médicale pour l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie. Régulièrement en contact avec ses dirigeants, il affirme que General Electric avait dans son viseur les pratiques de corruption d’Alstom : "Je me rappelle de réunions de plusieurs dizaines de juristes, qui commentaient la décision du tribunal italien sanctionnant un certain nombre d’entreprises, dont Alstom, dans une affaire de corruption. C’étaient des cas pratiques pour former les juristes chez General Electric !"
Les pratiques corruptives des différents concurrents du géant américain étaient évidemment bien connues. Alstom avait d’ailleurs fait l’objet d’une sanction par la Banque mondiale suite à son comportement en Zambie. "Tout était fait pour informer les autorités américaines de ces comportements et, le cas échéant, pouvoir racheter certaines divisions si l’opportunité se présentait" ajoute Pierre Laporte.
Pierre Laporte : "Nos dirigeants politiques, n’ont pas pris la mesure de ce risque"
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"Les Américains ont une politique de lutte contre la corruption qui est publique, systématique et extrêmement sévère. Le problème est que les dirigeants des grands groupes européens, et de certaines sociétés françaises en particulier, comme Alstom, ainsi que nos dirigeants politiques, n’ont pas pris la mesure de ce risque. Ils sont dans l’ignorance des méthodes américaines. Or aujourd’hui, quand vous faites des affaires sur les marchés internationaux, il faut s’en prémunir."
"Les dirigeants d’Alstom ont négocié leur liberté"
Le 13 avril 2013, Frédéric Pierucci, vice-président monde de la division chaudière chez Alstom, est arrêté à l’aéroport de New-York. Il passe 14 mois dans une prison de haute-sécurité, puis plaide coupable, sans mettre en cause ses responsables. Il est licencié par la direction d’Alstom pour "abandon de poste". Puis Alstom décide, à son tour, de plaider coupable et accepte de négocier une amende avec la justice américaine.
Mais Frédéric Pierucci reste le seul haut cadre incarcéré dans cette affaire. Libéré sous caution en juin 2014, il a de nouveau été emprisonné en septembre 2017, dans un établissement de Pennsylvanie, pour une période de 12 mois. Le député Les Républicains Olivier Marleix, président de la commission d’enquête sur la politique industrielle de l’Etat, vient d’écrire au président de la République Emmanuel Macron pour lui demander le transfèrement de Frédéric Pierucci sur le sol français.
Pierre Laporte : "Il paye pour les autres"
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"Frédéric Pierucci paye pour des pratiques qui ont été favorisées, connues et généralisées au sein de l’entreprise, dénonce Pierre Laporte. Il a été sacrifié par ses patrons pour qu’ils puissent, eux, rester en liberté. Il paye pour les autres. Les dirigeants d’Alstom ont négocié leur liberté contre celle de l’un des leurs. C’est une situation inadmissible et choquante." Selon lui_, "l’immunité des dirigeants d’Alstom_ [dont le PDG du groupe Patrick Kron et le directeur financier] a été négociée avec la justice américaine. Tout comme l’interdiction d’aider ou de coopérer avec ceux qui faisaient déjà l’objet des sanctions. Le prix humain est extrêmement élevé."
Pierre Laporte souhaite l’intervention des pouvoirs publics français, au plus haut niveau, pour aider à ce que le transfèrement de Frédéric Pierucci en France "puisse avoir lieu le plus rapidement possible, pour qu’il purge sa peine dans des conditions acceptables, proche de sa famille."
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