Extractions judiciaires, les couacs d'une réforme sensible
Par Corinne Audouin
À partir du 1er novembre, les transferts de détenus entre prison et tribunal sont entièrement assurés par l'administration pénitentiaire, au lieu des gendarmes et policiers. Les départements du sud de la France sont les derniers à basculer. Un changement qui ne s'est pas fait sans heurts.
La décision avait été prise en 2010, et le chantier lancé dès 2013 : gendarmes et policiers demandaient à être déchargés des transferts judiciaires. Ce travail d'escorte des détenus, entre les prisons et les tribunaux, était considéré comme une "tâche indue" chronophage, les empêchant de se concentrer sur leurs missions. Il y a eu 64 000 extractions judiciaires en 2017.
Aujourd'hui, la réforme se termine, avec le basculement des derniers départements dans le nouveau système : la Corse, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes. Mais le changement ne s'est pas vraiment fait en douceur. En 2016, 21% des extractions judiciaires demandées n'ont tout simplement pas pu avoir lieu. En 2019, sur les huit premiers mois de l'année, on en est encore à 10% d'"impossibilité de faire".
Procès renvoyés, instructions retardées
Concrètement, cela signifie des procès renvoyés, des auditions chez le juge retardées faute d'escorte pour les détenus, souvent au dernier moment. Dans une affaire de stupéfiants à Rouen, l'été dernier, cette carence a même entraîné la libération d'un prévenu : il n'avait toujours pas été entendu après 6 mois de détention. Un juge d'instruction de Marseille, lassé d'attendre, s'est déplacé en prison à Lyon pour faire son audition au parloir, plutôt que dans son cabinet.
La question est devenue un motif d'exaspération chez les magistrats, déjà confrontés quotidiennement au manque de moyens de la justice. "Cela donne une image assez terrible, parce que cela entraîne des retards, des délais encore plus longs, alors qu'on sait que la justice est déjà très lente", regrette Céline Parisot, présidente de l'Union syndicale des magistrats, qui a publié le 1er octobre un Livre blanc sur la question.
Tout le monde perd du temps
Certes, la situation est très variable selon les régions : Rennes et Lyon sont particulièrement touchés, avec 24% et 23% d'impossibilités depuis le début de l'année ; mais le taux est seulement de 1% en Île-de-France. "Mais là où ça bloque, localement, ça peut être une extraction sur deux qui est refusée" explique la magistrate. Elle cite cas d'une confrontation organisée par un juge, entre deux détenus, où seul l'un des deux est finalement extrait : "Tout le monde perd du temps, de l'argent... Cela complique considérablement le travail des juges" déplore-t-elle.
Avec aussi, parfois, des situations absurdes : selon l'USM, à Mende, alors que le tribunal ne se trouve qu'à une centaine de mètres de la maison d'arrêt, les extractions sont confiées à des agents spécialisés venus de Béziers ou Nîmes, à plus de 2 heures de route.
Des gendarmes réservistes à la rescousse
Le syndicat réclame une vraie remise à plat des moyens pour que l'administration pénitentiaire puisse assurer convenablement cette mission. Le nombre d'emplois nécessaires à ces transferts avait, initialement, été sous-évalué, à 800 équivalents temps plein... L'administration pénitentiaire y consacre désormais 1 800 postes.
La Chancellerie souligne que la situation s'améliore, et assure chercher des solutions, comme l'utilisation de gendarmes réservistes pour résoudre les derniers blocages. Un petit coup de pouce - une trentaine de gendarmes vont y participer, dans 13 départements - pour permettre de réduire le taux des “impossibilités de faire", notamment à Lyon et Rennes.