Facebook : ce qu'a dit la lanceuse d'alerte Frances Haugen aux parlementaires français

Publicité

Facebook : ce qu'a dit la lanceuse d'alerte Frances Haugen aux parlementaires français

Par
Frances Haugen, ce mercredi, à l'Assemblée nationale
Frances Haugen, ce mercredi, à l'Assemblée nationale
© AFP - Christophe Archambault

Ce mardi, la lanceuse d'alerte Frances Haugen, ex-employée de Facebook, s'est exprimée face aux députés, avant de se rendre au Sénat en fin de journée. La lanceuse d'alerte assure que Facebook "affaiblit les démocraties", et dénonce son opacité et son manque de modération des contenus en français.

Après des auditions par le Sénat américain le mois dernier et par le Parlement européen lundi, la lanceuse d'alerte Frances Haugen était très attendue, ce mercredi, par les parlementaires français. Alors que Facebook et sa maison-mère Meta sont de plus en plus fragilisés par les révélations des médias qui ont eu accès aux documents fournis par l'ancienne employée du réseau social, Frances Haugen s'exprimait dans un contexte français et européen de tentatives de régulation, avec deux règlements (le "Digital markets act" et le "Digital services act") actuellement étudiés par le Parlement européen, visant à encadrer le rôle des GAFA, et une proposition de loi en France sur la protection des lanceurs d'alerte. Voici ce qu'il fallait retenir de l'intervention de Frances Haugen devant les députés.

Facebook "place ses profits colossaux avant la sécurité"

Dès son propos liminaire, la lanceuse d'alerte, ingénieure informaticienne qui a quitté Facebook en début d'année, a répété ce qui, pour elle, constitue le danger et la raison de l'opération qu'elle a mené contre son ex-employeur : "Facebook a le potentiel de faire ressortir ce qu'il y a de meilleur en nous, mais actuellement, les produits de Facebook nuisent aux enfants, attisent les divisions et affaiblissent les démocraties. L'entreprise sait comment rendre ces activités plus sûres, mais elle ne le fera pas, parce qu'elle met toujours ses profits colossaux devant la sécurité de ses usagers"

Publicité

Pour elle, Facebook est en position de quasi-intouchabilité en raison de deux facteurs : en tête, un manque de transparence. "Personne en dehors de Facebook ne sait ce qu'il se passe à l'intérieur (...). Quand Facebook nous assure de sa bonne foi, on est obligé de croire Facebook", dit-elle. 

"Comment le public peut croire Facebook s'il n'a pas de visibilité sur la façon dont l'entreprise fonctionne réellement ?"

Frances Haugen a donc développé devant les députés un plan en trois étapes, qui conduirait chaque entreprise à rendre des comptes sur les risques, les dangers, de ses produits ; puis à faire une évaluation de ces risques sur l'ensemble de la société civile – et pas seulement sur une seule zone géographique – et enfin, à fournir au public les données nécessaires pour être en connaissance des enjeux et des potentiels dangers. 

"La colère, c'est ce qui engrange le plus de clics"

Frances Haugen n'a jamais cité le nom de Mark Zuckerberg au cours de son audition à l'Assemblée nationale - alors que les députés l'ont parfois interrogée sur le patron de l'entreprise. "J'essaie de ne pas cibler d'individus en particulier", dit-elle, ajoutant : "Le problème, ce ne sont pas des individus, c'est le système Facebook". Et ce système repose sur une forme de déresponsabilisation des employés : "Les porte-paroles refusent de donner des noms quand on leur demande qui est responsable des décisions qui portent, par exemple, sur les contenus pour enfants sur Instagram. A chaque fois, Facebook répond que ce ne sont pas des individus, mais des communautés, qui décident", dit celle qui appelle de ses vœux le fait que chaque décision soit associée au nom de celui ou celle qui la prend. 

La lanceuse d'alerte explique que selon elle, Facebook n'a pas eu l'intention de "mettre au point un système qui sème la colère", mais qu'ils ont bâti leur système "en sachant quels étaient les risques". "Ils ont tout fait pour que les gens créent, produisent davantage de contenu, pour donner des petits shots de dopamine à chaque like, à chaque commentaire". 

"La colère, c'est ce qui engrange le plus grand nombre de clics. Facebook connaît les solutions, mais ces solutions enlèvent, ici ou là, un peu de profit".

"Il n'y a pas assez de modérateurs francophones"

L'un des principaux enseignements des révélations liées aux documents sortis par Frances Haugen, c'est le grand nombre de dysfonctionnements dans le système de modération. Le public a notamment appris l'existence d'un système de modération à deux vitesses pour les personnalités publiques, ou de sérieuses lacunes dans certaines langues. 

La lanceuse d'alerte est revenue sur cet aspect ce mercredi : "Il y a beaucoup de langues qu'on ne comprend pas, chez Facebook, et qui sont dans des zones très fragiles (...). Aujourd'hui par exemple, l'arabe est considéré comme une seule langue, alors que c'est une famille de langues très différentes", note-t-elle. Et c'est d'autant plus préjudiciable que lorsque c'est une intelligence artificielle qui procède à une modération, celle-ci est incapable de saisir les nuances, l'ironie ou le contexte – c'est aussi pour cela que la modération des contenus "nuisibles mais légaux" doit être réalisée "à échelle humaine", a-t-elle notamment répondu à la députée Emmanuelle Ménard.

"Je pense que Facebook doit vraiment publier le nombre de modérateurs employés pour chaque langue", appelle-t-elle. "C'est une façon de les forcer à souvenir un ensemble plus diversifié de langues : les pousser à dire quels contenus ont éliminés, dans quelle langue, et pourquoi. On se rendrait compte par exemple que le français ne dispose pas de tous les systèmes de sécurité dont dispose l'anglais", assure-t-elle. Elle revient sur ce même argument un peu plus tard, soulignant que la France n'est pas à l'écart de ces manquements : 

"Je peux vous garantir qu'il n'y a pas suffisamment de modérateurs francophones chez Facebook"

"25% des enfants ont des problèmes d'addiction à Facebook"

Face aux députés, Frances Haugen a été soumise à de très nombreuses questions. Répondant à la députée PS Cécile Untermaier sur la question de l'anonymat sur Facebook, elle a notamment affirmé que la fin de l'anonymat ne serait qu'une façade, car "Facebook a énormément de données sur vous" même si vous ne donnez pas votre vrai nom : "Facebook sait où vous êtes, ils font des choses étranges avec les réseaux de wifi qui pourraient vous étonner", a-t-elle déclaré, sans en dire plus. 

Dénonçant l'addiction que peut susciter Facebook chez les plus jeunes, elle la compare à l'addiction à la cigarette orchestrée par les fabricants de tabac, mais estime que les conséquences sont encore plus fortes : elle déclare que 25% des enfants ont des problèmes d'addiction à Facebook.

Enfin, elle déclare au sujet du fameux "métavers" que Facebook, devenu Meta, veut développer, elle le juge "très préoccupant" car il abat les frontières de la vie privée : "Leur vision d'être au sein de l'environnement de travail est très préoccupante. Ils veulent des capteurs, des micros, des systèmes de surveillance. Imaginez que vous travaillez chez vous et que votre employeur décide de devenir une entreprise dans le métavers : il faudra poser des micros, des capteurs, dans votre cadre personnel."

Le téléphone sonne
36 min

"Les lanceurs d'alerte n'ont pas toujours la possibilité de s'exprimer"

L'audition à l'Assemblée nationale était menée à la fois par la commission des affaires économiques, mais aussi par la commission des lois, qui étudie en ce moment une proposition de loi sur le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte. Mercredi matin, les députés ont donc aussi beaucoup interrogé Frances Haugen sur son statut de lanceuse d'alerte. Si elle assure ne pas avoir été rémunérée pour ses révélations, elle concède que "les lanceurs d'alerte n'ont pas toujours la possibilité de s'exprimer, parce qu'ils n'ont pas d'argent pour cela". Elle dit avoir un peu plus d'argent que la plupart des lanceurs d'alerte, qui n'ont pas forcément le confort de pouvoir quitter leur entreprise, et se dit donc "privilégiée". 

"Des lanceurs d'alerte ressentent parfois des syndromes proches du syndrome post traumatique."

A l'ancien ministre Mounir Mahjoubi qui demande pourquoi, au vu de l'ampleur des révélations, "des milliers d'autres collaborateurs restent à Facebook", Frances Haugen répond que selon elle, beaucoup de lanceurs d'alerte ne savent pas quelles peuvent être les suites d'une alerte, ou craignent des représailles. "En interne, quand des gens tiraient la sonnette d'alarme, _ils étaient virés, ils n'avaient plus accès à rien du jour au lendemain__. Facebook sait que les lanceurs d'alerte sont des menaces_", ajoute-t-elle.

Saluant le texte de la proposition de loi française, elle dit souhaiter que les lanceurs d'alerte bénéficient d'une protection y compris quand ils ont quitté leur entreprise au préalable, et souhaite que les "facilitateurs", ceux et celles qui aident au processus de signalement, soient aussi inclus à ce dispositif.