Festival d'Angoulême - Catherine Meurisse : "'Delacroix' est vraiment un album post-attentat à Charlie"
Par Anne Douhaire-KerdoncuffCatherine Meurisse publie une ode à Delacroix : elle a agrémenté le texte original d'Alexandre Dumas de saynètes dessinées, de commentaires facétieux et de peintures. En 2020, une rétrospective de son œuvre aura lieu lors du FIBD, et elle sera également la marraine de "2020, année de la BD". L’occasion d'une rencontre.
Catherine Meurisse n’en n’a vraiment pas fini avec l’art. Dans l'album La légèreté paru en 2016, elle décrivait comment les peintures et les sculptures l’avaient sauvée de son chagrin immense d’avoir perdu ses compagnons de Charlie Hebdo. Les Grands Espaces avait suivi : une BD autobiographique vue sous l’angle de la nature, elle aussi consolatrice.
Aujourd’hui, son Delacroix est un hommage à l’immense artiste dont la fougue et l’obsession de la peinture impressionnent la dessinatrice. C’est beau, instructif et nous éclaire à la fois sur l’auteur de La Liberté menant le peuple et sur celle qui lui voue une admiration sans borne.
Entretien avec Catherine Meurisse
FRANCE INTER : Quel est le message principal que vous retenez de l'œuvre de Delacroix et qui pourrait inspirer votre travail ?
CATHERINE MEURISSE : Delacroix était connu pour être le peintre de la couleur à l’opposé d’Ingres, qui était « le » dessinateur.
Je dirais que je retiens la fougue, la fièvre dans son travail, le mouvement, mais surtout une liberté absolue.
Et de son enfance accidentée ?
Alexandre Dumas raconte avec beaucoup d'humour l’enfance dangereuse de Delacroix. Il a manqué de s'empoisonner, de se noyer, et a vraiment failli ne pas être le grand peintre qu'on connaît.
Ce que je retiens du jeune Delacroix, c'est que c’est un enfant du Louvre. Le Musée est alors tout nouveau (Il a été fondé en 1775). C’est amusant, pour nous, le Louvre renferme des trésors antiques. Pour Delacroix, c'est un musée moderne et beaucoup fréquenté. C’est là qu’il a aiguisé son regard et qu’il se choisit ses maîtres. Je crois que c’est mon seul point commun avec lui.
Delacroix marque son passage à la peinture
Ce livre est paru en partie une première fois en 2005. Pourquoi le reprendre aujourd’hui ?
J’avais fait une première version il y a quinze ans alors que j’étais étudiante aux Arts déco. J'avais illustré ce texte d’Alexandre Dumas de manière assez radicale, tout en noir et blanc. D'une certaine manière, c'était mon diplôme de fin d'année. J'avais été primée et le livre avait été publié dans la foulée. Puis cette première version de 2005 s'est évanouie dans la nature. Quinze ans après, alors que j’étais en train de « rassembler mes petits » ou de « ranger ma chambre », bref, de faire un peu de tri dans mes BD, j’ai décidé de ne pas abandonner ce livre.
Quel rapport a-t-il avec vos autres livres ?
Aujourd’hui, ce Delacroix arrive alors que j'ai déjà des livres sur les arts, à la fois en mettant en scène les peintres et les écrivains, soit en traversant moi-même les tableaux comme dans La Légèreté soit en me dessinant, enfant, devant les tableaux comme dans Les grands espaces.
Là, je reprends le texte de Dumas et m’engouffre dans la peinture de Delacroix.
Cette fois-ci, j'ose vraiment la couleur, et je réinterprète les tableaux. Non seulement il m'invite à être libre, mais en plus en faisant cela je continue d'apprendre.
Je continue à faire évoluer mon dessin en regardant les classiques. C'est ma petite gymnastique pour ne pas qu’il s'endorme ou se fige. J'ai vraiment besoin de regarder les artistes beaucoup plus grands que moi pour enrichir mon dessin.
Aviez-vous déjà fait un travail aussi "peint" ?
"C'est la première fois. La légèreté (2016) avait été dessiné à l'instinct. Il est sorti rapidement, après l'attentat contre Charlie alors que j’étais dans un état critique. A l’intérieur, je me dessine traversant les œuvres de Rothko.
Beaucoup de lecteurs m’ont parlé de ces pages de peinture. Or moi, je n’osais même pas qualifier ce travail de "peinture". Mais cela a fait écho à ce que je voulais faire au fond de moi. Et c’est ce que j’avais en tête ici en reprenant le texte de Dumas.
J’avais ce désir de couleur, de faire quelque chose de flamboyant, d'extrêmement vivant.
En dessinant cet album de Delacroix, je ne me suis pas mise dans la posture de l’auteur de BD qui dessine penché sur sa table à dessin. J'ai dessiné pratiquement tout debout. Je ne suis pas peintre, je n'ai pas peint devant mon chevalet et fait des grands gestes, mais il y avait une attitude nouvelle.
J’avais besoin de retrouver la matière, de toucher le papier, de maîtriser les tâches, d’utiliser la gouache, les encres. J’avais besoin d'éprouver une sensualité que l’on retrouve dans les œuvres de Delacroix, dans ses sujets comme dans son geste".
Cela fait plusieurs albums que vous tournez autour de la définition de la notion d'art. Que représente-t-il pour vous ? L’excellence humaine ? Un antidépresseur ? Une façon de s'élever, de s'oublier ?
"C’est tout ça à la fois, je ne peux même pas faire la liste. C'est quelque chose qui fait vibrer le cœur, l'esprit, et c'est mon âme, mon carburant".
2020, année de la BD
L’année 2020 sera année de la bande dessinée ( BD 2020), vous serez marraine de l’évènement. Quel message porterez-vous ?
"La comparaison est peut-être maladroite et un peu douloureuse, mais je sais qu'en 2015, après l'attentat contre Charlie, tout le monde s'intéressait au dessin de presse.
Mais aujourd’hui la situation des dessinateurs de presse est toujours aussi précaire.
J'espère que l'année de la BD ne sera pas ça, que l’on prendra conscience que le 9e art est un peu une locomotive de l'édition. Et que derrière, ce n'est pas toujours simple pour les auteurs".
Charlie Hebdo, toujours présent
Où en êtes-vous par rapport aux attentats contre Charlie Hebdo ?
"C'est en faisant des livres que je vais mieux. Et j'ai l'impression que tous mes livres m'éloignent non pas de mes amis de Charlie, surtout pas, parce que je continue à les avoir en tête au quotidien, mais du traumatisme.
Par exemple, publier un livre sur Delacroix m'a fait du bien. J'ai fait une pause dans l'autobiographie. Après Charlie, il fallait que je parle de ce qui m'était arrivé et après, comment on essaie de se remettre sur pied après tout ça. Là, je fais une pause, je laisse Dumas parler.
J'espère que si plus tard, je refais d'autres récits autobiographiques, il n'y aura plus derrière ce poids du traumatisme de Charlie.
Delacroix est vraiment un album post-attentats. D’abord je reprends un texte de 2005, l'année où j'étais embauchée à Charlie, et je sais que ce texte a été lu par Honoré et par Charb. J’ai eu le désir de le mettre en couleur et de l’étoffer en ayant cela en tête.
Charlie est toujours dans ma tête, bien sûr, et se glisse dans mes livres de manière très discrète. Je n'ai pas besoin de klaxonner, surtout pas. Mais j'en fais ma petite affaire discrètement.
Le traumatisme se balade à l’intérieur de soi et est assez sournois. On ne le voit pas, mais il se manifeste dans n'importe quel endroit, ou à n'importe quel moment. Mais aujourd’hui je sais le mater un peu ou parfois même l'accueillir comme ça.
C’est évident que ça va être très long. Tous mes amis de Charlie ou des proches le savent et on vit avec ça. C'est comme ça".
En 2020, au Festival de la bande dessinée d'Angoulême
A Angoulême aura lieu une exposition rétrospective de votre œuvre…
"Oui, j'ai pris un sacré coup de vieux quand on m'a proposé ça [rire], mais ça m'enchante parce que l'équipe d'Angoulême va exposer des dessins d'enfance jusqu'à aujourd'hui. Donc, ça fera un sacré paquet de dessins : j'ai commencé à dessiner et à être publiée tôt et j’ai passé une douzaine d'années à Charlie. Voire plus, si je compte mes premiers pas là-bas quand j'avais 21 ans.
Redécouvrir toutes ces archives est troublant et joyeux en même temps.
Quand je revois les dessins que j'ai faits pour Charlie, je trouve que c'est très gonflé. Je me demande comment j’ai pu oser certains dessins. Il y avait évidemment le groupe, les copains autour de moi et l’effet d'entraînement jouait".
Avec ce bilan, vous pouvez mesurer votre évolution. Vos premiers dessins étaient-ils déjà piquants et drôles ?
"Je suis née dans une famille qui aime rire. Donc, il y a déjà de l'humour dans les dessins de jeunesse. Je dessinais beaucoup d'animaux, mais ils étaient habillés comme comme des hommes. Je faisais du "(Jean-Jacques Grandville, illustrateur français du début du XIXe siècle) avant l'heure. Il y a des choses que je dessine d'après ce que j'ai observé, sans imagination… Mais oui, c'est toujours facétieux".
Enfant, vous pensiez devenir dessinatrice ?
"Pas du tout. Je n'avais jamais imaginé que je serais dessinatrice ni que j'en ferais mon métier.
Je suis plutôt d'un tempérament inquiet, du genre première de la classe. C'est pour ça d'ailleurs que j'ai fait des études littéraires avant de me lancer, et d'entrer dans une école d'art parce que je ne savais pas du tout ce que je voulais faire.
Et ce n’est qu’en 2005, quand j'ai été embauchée à Charlie Hebdo à 25 ans que je me suis dit que j’avais un métier. Aujourd'hui, je suis beaucoup plus sale gosse qu'avant".
Qu’auriez-vous fait si vous n'aviez pas été dessinatrice ?
"J’aime beaucoup la littérature mais j'appréciais aussi l'allemand et à l'époque, j'aurais bien aimé être professeur.
J’aurais pu être tentée par les documentaires écrits. J'aimais les livres qui racontaient les choses de manière didactique. J'aimais le livre.
Maintenant je suis dessinatrice, mais pendant longtemps je n'y ai pas cru.
Comment dessiner Delacroix ? La leçon de dessin de Catherine Meurisse
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Delacroix d'Alexandre Dumas et Catherine Meurisse chez Dargaud