Fin de cavale pour l’un des plus gros trafiquants de drogue français
Par Emmanuel Leclère
Johan Marie Magdeleine se cachait sur la petite île indépendante de Sainte Lucie aux Antilles, à deux pas de chez lui en Martinique. Il a été expulsé le week-end dernier, l’aboutissement de 10 ans d’enquêtes et de traque pour les enquêteurs des stups de la police judiciaire.
En raison du Covid-19 et des confinements qui s’en sont suivis, les routes de la drogue, notamment de la Colombie et du Maroc vers l’Europe, sont quasiment à l’arrêt depuis trois semaines. Mais pas la coopération policière dans les Caraïbes entre Sainte-Lucie et la Martinique, alors qu’elle était inexistante ou presque il y a peu encore. Avec l’annonce mardi soir de l’arrestation puis de l’expulsion (officiellement pour séjour irrégulier) de Johan Marie Magdeleine, la police et la justice française ont récupéré l’un des plus gros trafiquants "présumés" de la plaque antillaise et de Seine-Saint-Denis.
Il est soupçonné d’avoir organisé depuis au moins deux ans un vaste trafic international de cocaïne entre l’Amérique du sud et l’Europe via Sainte-Lucie et la Martinique. Celui qui a vécu au Lamentin près de Fort-de-France et que l’on surnomme "Cochi" dans le milieu des trafiquants de drogue, est aussi accusé d’avoir monté un "narco-business" de cannabis dans l’autre sens, avec des fournisseurs installés en Seine-Saint-Denis.
Multi condamné par défaut ces dernières années
Les enquêteurs des "stups" aux Antilles et ceux de l’OFAST, l’Office anti-stupéfiants de la police judiciaire à Nanterre le traquaient depuis des années, raconte Christian Nussbaum le patron de la police judiciaire pour la Guyane et les Antilles : "C’était l’un des objectifs historiques du service, plus de 10 ans d’enquêtes au final." Johan Marie Magdeleine a été condamné à treize reprises, avec des peines par défaut allant jusqu’à 20 ans de prison pour meurtre et trafic de drogue.
"Cochi" était recherché également depuis deux ans après la saisie, par la marine nationale, de 80 kg de cocaïne sur une yole, un voilier traditionnel au large de la Martinique. Les investigations ont aussi permis la découverte l’année dernière d’une cache d’armes impressionnante, "une trentaine d’armes dont huit fusils d’assaut", rappelle Renaud Gaudeul, le procureur de la juridiction inter-régionale spécialisée dans les affaires de criminalité organisée aux Antilles françaises.
Une coopération nouvelle avec les Caraïbes
L’expulsion discrète de Johan Marie Magdeleine alias Cochi a eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi dernier, avec une remise du suspect en pleine mer, au beau milieu du canal de Sainte Lucie, sur un navire de la marine nationale.
Pour les chefs de la lutte anti-drogue en France, cette coopération nouvelle avec Sainte-Lucie - et plus généralement avec les îles indépendantes des Antilles - pourrait changer la donne dans les années à venir. Elle est en effet susceptible de perturber les habituels trafics inter-îles qui permettent aux narcotrafiquants colombiens mexicains et vénézuéliens de trouver facilement dans les Caraïbes des portes d’entrée vers l’Europe.
La situation était foncièrement différente il y a deux ans, confie une source proche de ces dossiers de stupéfiants. Les fonds de la Midelca, la mission de lutte contre les addictions, ont permis de mettre en place des outils de coopération afin que les policiers des "stups" basés en zone caribéenne se connaissent et se fassent confiance dans un domaine où la corruption est une entrave majeure, empêchant certains dossiers d’avancer comme ils devraient.
Il y a deux ans, les autorités judiciaires de Sainte-Lucie avaient déjà transféré un premier suspect recherché en France pour trafic de drogue, mais le dossier avait dû patienter durant cinq ans. Cette fois, ça n’a pas traîné : Johan Marie Magdeleine a été arrêté et aussitôt expulsé vers la Martinique où il a été mis en examen et écroué au centre pénitentiaire de Ducos.
Coke en stock
L’arrêt des vols commerciaux et le ralentissement économique brutal ont sérieusement "entamé" les capacités de transport des trafiquants, affirme un connaisseur des plaques régionales de l’arc caribéen.
Il ne peut plus y avoir de transport par des "mules", ces passagers qui moyennant finance ingurgitent des sachets de drogue pour prendre l’avion. Le fret et donc les containers en partance vers l’Europe sont aujourd’hui rares. En revanche, le fret et les transports inter-îles eux sont toujours actifs, ce qui fait dire à un enquêteur des stups que l’on "doit avoir de nouveaux lieux de stockage créés dans les îles de la région".
La priorité de la lutte anti-drogue sera donc bien, dans les semaines à venir, de trouver ces stocks ou de les intercepter quand les vannes vont s’ouvrir à l’occasion du déconfinement en Europe. Objectif : éviter un raz de marée de poudre blanche à bon port.
Le blocage actuel laissera aussi le temps aux lieutenants et concurrents de Johan Marie Magdeleine de se réorganiser, poursuit cet enquêteur de police judiciaire à Fort de France. "Il y aura sans doute rapidement une guerre de succession", comme on l’a vu il y a deux ans après l’arrestation de Kevin Dour, considéré comme l’autre grand narco trafiquant français dans les Caraïbes.