Depuis fin 2018, le Qatar livre des valises de dollars pour payer les employés du Hamas pourtant considéré comme un groupe terroriste. Un moyen de maintenir l’enclave hors de l’eau, qui permet à Israël de s’assurer une relative tranquillité mais qui renforce l’emprise du Hamas et n'offre pas de solution à long terme.
Dans un décor de sable près de la frontière israélienne, au milieu d’une foule, cerné par les smartphones, le porteur de valise qatari scelle un pacte avec le n°2 du Hamas. Nous sommes début décembre 2018, des valises de dollars sont arrivées dans l’enclave. La distribution se fait dans les bureaux de poste, pour les employés du Hamas.
C’est une bulle d’air. Les fonctionnaires sont payés au lance-pierre depuis des années. "C’était désespérant raconte Abu Assem, fonctionnaire au sein d’un ministère. Oui nous avons la responsabilité de servir les gens et c’est notre devoir ! Mais en même temps, le fait de ne pas avoir de salaire c’est un vrai problème et c’est compliqué de vivre comme cela. Ce que fait le Qatar pour nous c’est très bien, mais ça n’est pas suffisant."
L’idée est d’éviter une explosion à Gaza. Peu avant, l’ONU avait embarqué le Qatar dans un premier projet qui devait remettre notamment un peu plus d’électricité dans l’enclave. L’émirat a élargi son soutien financier aux petites mains du Hamas. Chaque mois, un émissaire passe donc la frontière israélienne avec des valises de billets qui renferment au total 15 millions de dollars.
Le pacte est scellé afin que le Hamas maintienne le calme à Gaza. Trois acteurs principaux sont concernés : le Qatar, le Hamas, et Israël.
"L’intervention qatari dans la bande de Gaza satisfait toutes les parties estime le politologue Mukhemar Abu Saada, enseignant à l’université Al Azhar de Gaza. La frontière entre Gaza et Israël est plutôt calme. Cela satisfait les besoins d’Israël particulièrement au moment où le pays se rapproche des élections anticipées du 9 avril. Cela rempli aussi les demandes du Hamas qui peut payer les salaires de ses employés et faire venir du carburant pour produire de l’électricité dans la bande de Gaza. Au fond cela maintient le Hamas et son gouvernement en vie en attendant un nouveau miracle. Et cela satisfait aussi les ambitions des Qataris qui veulent tenir un rôle régional."
Un soutien qui n'empêche pas le naufrage
Depuis la vie n’a pas été transformée à Gaza. L’enclave continue son naufrage. Le soutien est purement humanitaire. Mais grâce à l’ONU la quantité d’électricité fournie chaque jour a plus que doublé. Grâce à ces valises de billets, un calme relatif et précaire a tenu pendant plusieurs semaines avec Israël. Le Hamas a respecté la part de son contrat. C’est aussi un ballon d’essai pour mesurer sa capacité à tenir l’enclave dans le cas d’éventuelles négociations sur un véritable développement.
Mais l’horizon s’arrête là. L’étape suivante, comme souvent à Gaza, est l’inconnu. Ghazi Ahmad, ancien ministre Hamas des Affaires étrangères le déplore : "Jusqu’à présent on ne sait pas ce que sera la suite. Mais on discute avec des acteurs internationaux comme le coordinateur spécial de l’ONU, les Qataris et les Égyptiens, pour essayer de faire en sorte que l’assistance continue. Parce que si les soutiens internationaux s’arrêtent à Gaza, la situation va s’aggraver. C’est difficile de penser que les gens vont pouvoir survivre sans l’aide internationale."
Les premiers gros investissements financiers du Qatar pour Gaza remontent à sept ans maintenant. L’émirat a notamment construit une route et des quartiers d’habitations. Il fournit aujourd’hui un carburant nécessaire à la survie de l’enclave, depuis qu’elle est sous le coup de sanctions financières décidées début 2018 par le président Palestinien.
C’est de l’argent pour le Hamas pas pour la population
Atef Abu Saif, écrivain gazaoui
L’ONU et le Qatar offrent un goutte-à-goutte humanitaire, sur une période de six mois, sans horizon politique, qui coupe encore un peu plus ce qui restait de lien avec l’autorité Palestinienne de Ramallah selon Atef Abu Saif, écrivain farouche et courageux porte-voix du parti présidentiel à Gaza. "V_erser de l’argent à Gaza sans consulter le gouvernement légitime des Palestiniens, c’est une façon de pousser Gaza vers l’indépendance. Mais c’est de l’argent pour le Hamas pas pour la population. Ceux qui versent cet argent veulent que la bureaucratie du Hamas et ses structures continuent de fonctionner. Ils veulent que le Hamas reste au pouvoir. Et c ‘est ce qu’Israël souhaite."_
Le levier sur lequel le Hamas s’est appuyé pour court-circuiter le pouvoir palestinien, et obtenir l’agent des fonctionnaires, c’est la Marche du Retour. Un mouvement d’abord populaire puis instrumentalisé. Avec des manifestations à la frontière qui ont empoisonné l’été des israéliens et écorné l’image de Benyamin Netanyahu.
Cette Marche du Retour a été très violemment réprimée par les soldats Israéliens. Plus de 250 palestiniens ont perdus la vie et plus de 6000 ont été grièvement blessés par balle.
D’où la grande fragilité du pacte passé avec le Qatar. Il met le Hamas dans une position intenable à la longue. Soupçonné d’avoir bradé les victimes de la Marche et d’entretenir un statu quo qui profite au premier ministre israélien.
C’est pour un horizon politique qu’on devrait se battre pas pour les 15 millions de dollars du Qatar
Omar Chaaban, membre de la société civile gazaouie
"Il y a beaucoup de colère dans la société palestinienne à cause de cela, explique Omar Chaaban représentant de la société civile à Gaza et dirigeant de Pal Think, un centre de réflexion. Ils ont le sentiment qu’on a été vendus à bas prix. C’est pour un horizon politique qu’on devrait se battre pas pour les 15 millions de dollars du Qatar. Même si on a besoin de cet argent, c’est un soutien très faible, une intervention partielle qui ne tient pas sur la durée. On doit faire autre chose. Pour aider les entreprises, les agriculteurs. Et créer des emplois pour les jeunes qui deviennent radicaux."
Le processus a d’ailleurs déraillé mi-janvier. Le Hamas a refusé la troisième livraison d’argent apportée par l’émissaire qatari. Officiellement afin de protester contre des freins mis sur son chemin par le gouvernement israélien. Le pacte aura tenu deux mois. L’argent a été basculé sur le programme humanitaire de l’ONU.