Grièvement blessée le 13 novembre 2015 au Bataclan : Laura Croix, un si long chemin

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Grièvement blessée le 13 novembre 2015 au Bataclan : Laura Croix, un si long chemin

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Laura Croix a été blessée par six tirs de kalashnikov au Bataclan
Laura Croix a été blessée par six tirs de kalashnikov au Bataclan
© Radio France - Victor Vasseur

Laura Croix, 36 ans aujourd’hui, a été blessée par six tirs de kalachnikov au Bataclan. Peut-être plus : même les médecins ne le savent pas exactement. Hospitalisée pendant plus d’un an, elle a dû tout réapprendre. À commencer par respirer.

Il y a deux Laura Croix. Celle d’avant novembre 2015 : “un lointain souvenir, maintenant que j’y pense”, sourit-elle doucement. Cette jeune femme, assistante de direction, est venue du Nord pour s’installer près de Paris en 2009. “J’habitais Issy-les-Moulineaux et je savais que je pouvais sauter dans un métro, arriver dans Paris, faire ce que je voulais, où je voulais. Un sentiment de liberté, en fait, c’est ce que je recherchais le plus."

La vie de la Laura d’avant est aussi emplie de musique, sa "passion”. Avec trois autres musiciennes, elle monte un groupe de rock, The Traps, dont elle est la chanteuse. “Au fil des années, on est devenues amies. On composait ensemble”, se souvient Laura Croix. Toutes les quatre, elles donnent régulièrement des concerts dans des bars, de petites salles. Elles vont aussi en voir beaucoup, “des petits comme des grands”.

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C’est d’ailleurs la batteuse du groupe qui lui fait découvrir les Eagles of Death Metal. Et achète leurs deux tickets pour le 13 novembre. “Et puis, elle a eu une indisponibilité mais moi j’ai décidé d’y aller. J’allais parfois aux concerts seule et je pensais peut-être retrouver des gens que je connaissais.” Dans la salle, elle ne repère cependant aucun visage connu. Alors elle commande un verre au bar. Et s’installe non loin de là, “proche de la barrière surélevée de la fosse, près d’un pilier.” Et profite du concert.

“Entendre les gens mourir”

La première alerte, ce sont des cris. "Pas des cris de joie, mais des cris étranges". Puis des coups secs. "Et très vite les revendications des terroristes qui crient Allah Akbar". La musique s’arrête. Et une vague la submerge : “une vague de gens qui cherchaient à aller dans ma direction”. Laura est atteinte d’une première balle, “à l’arrière de la cuisse". 

"Ça m’a complètement scotchée au sol. Je n’ai plus pu bouger à partir de ce moment-là. Et au sol, j’ai été touchée à nouveau.” Au moins cinq fois, peut-être plus. Elle ne sait pas exactement. “J’avais l'impression que ça me traversait dans tous les sens. Ça me transperçait de toutes parts.” Pour Laura Croix, les deux heures qui suivent sont “un enfer, j’imagine que ça doit ressembler à ça”. Elle tente de bouger. En vain. 

Alors j’essaie d’évaluer les dégâts sur moi”. Découvre sa main gauche, celle avec laquelle elle écrit : “Je vois mes deux doigts, l’index et le majeur complètement délabrés, encore attachés à ma main. Cette vision, je l’ai toujours.” Puis, dans sa tête, alors qu’elle simule la mort, tentant de respirer sans mouvement de ventre, apparaissent d’autres “visions d’horreur". "Je savais par l’actualité ce qu’ils étaient capables de faire. Donc dans ma tête, se mettaient en place des scénarios horribles. Je me disais : pourvu qu’ils ne me tirent pas une balle dans la tête, qu’ils ne m’égorgent pas.

Mais le pire, s’il existe encore, ce sont “les appels à l’aide, les cris de désespoir et d’entendre les gens agoniser en fait. C’était horrible.” Six ans après, lorsqu’elle évoque "ces râles", la voix de Laura se brise.

"Si je m'assoupis, je ne reviendrai peut-être pas"

Elle-même se bat d’ailleurs contre la mort. “J’ai commencé à refroidir”. L’adrénaline laisse place à la douleur et l’engourdissement.Je ne sentais plus mes membres, j’ai commencé à m’endormir. Je me suis dit : c’est comme ça que je vais mourir en fait, il faut s’endormir.” Mais elle pense à son copain, qui n’a pas répondu au téléphone, à son chat, “_tout seul à l’appartemen_t”, au boulot et à ce qui l’attend le lundi  : “Ma vie finalement." "Et j’ai tenu à rester éveillée parce que je me suis dit : si je m’assoupis, je ne reviendrai peut-être pas."

Ce n’est qu’une fois secourue, extraite du Bataclan, allongée sur une barrière de protection - faute de brancard encore disponible - qu’elle s’autorise à “lâcher prise”. “Une secouriste est venue vers moi, je l’ai attrapée et je lui ai dit : ne me laissez pas mourir. Et j’ai perdu connaissance.”

Laura Croix ne se réveille qu’après plusieurs semaines de coma artificiel et de multiples opérations pour tenter de la maintenir en vie, “parfois plusieurs en même temps, sur différentes parties du corps. Parce qu’il y avait des fractures, des ruptures d’artères et puis ces balles ont provoqué énormément d’infections, notamment parce que j’étais touchée aux viscères.

La jeune femme ne reprend véritablement connaissance qu’à la mi-décembre. Et doit alors redécouvrir ce corps si irrémédiablement endommagé. Ses deux doigts blessés ont dû être amputés, “car impossible de faire quoi que ce soit”. Pour le reste, “je faisais l’état des lieux de ce que j’avais, allongée sur mon lit de réa. C’était un état des lieux compliqué."

Aujourd'hui, Laura marche à l'aide d'une canne
Aujourd'hui, Laura marche à l'aide d'une canne
© Radio France - Victor Vasseur

“Mon corps est devenu une carcasse amochée”

La suite l’est tout autant. De longs, très longs mois de rééducation. Car une fois passé le “soulagement d’être encore en vie”, il lui faut tout réapprendre. “Même à respirer”. Après des semaines sous respirateur artificiel, ce réflexe n’en est plus un. “La nuit j’étais sous oxygène parce que parfois j’oubliais de respirer.” Réapprendre à tenir sa tête aussi. À avaler, “d’abord simplement de l’eau”. À tenir une fourchette dans sa main abîmée. À s'asseoir dans un fauteuil : “C’était très, très compliqué”. Et, “objectif ultime”, à remarcher. Ce qu’elle fait aujourd’hui avec l’aide d’une canne.

Laura Croix reste ainsi hospitalisée 13 mois. Sans aucune sortie. “C’est très long mais finalement là, je me sentais en sécurité. Parce que j’avais très peur qu’on me retrouve et qu’on me tue.” Outre la peur, il y a aussi l’ascenseur émotionnel à gérer. La volonté de s’en sortir. La compréhension “que je ne retrouverai pas l’état dans lequel j’étais avant. Et ça, c’est très douloureux.” L’abattement quand elle apprend qu’une nouvelle greffe est nécessaire et qu’il faut “rester trois mois dans un fauteuil”.

Heureusement, il y a ses proches. Son compagnon surtout, devenu depuis son mari. Il vient la voir chaque jour, en réanimation, puis en rééducation. À sa sortie, ils emménagent ensemble. Laura, de toute façon, n’aurait pas pu retourner vivre dans son ancien studio, devenu inadapté à ses handicaps. ”Ce studio c’était celui de la Laura qui va au concert, fait de la musique, qui saute dans le métro et va boire un verre en terrasse. Ce n’était plus moi.”

Et même dans leur nouveau logement, plus adéquat, le quotidien est loin d’être aisé. “En fait, mon compagnon s’est transformé rapidement en accompagnant. Sur le coup, je ne m’en suis pas rendue compte mais avec le recul, je me dis que ça a fortement dégradé notre vie. C’est bienveillant, mais ce n’est pas normal. Pas à nos âges en tout cas.” Outre les difficultés pratiques, “faire mes lacets, cuisiner”, il y a la très difficile reconnexion avec son corps. Ce corps qu’elle a l’impression “d'avoir cédé”. Aux médecins, aux rééducateurs.

Je l’ai remis entre leurs mains. Et le reste, j’ai mis tout sur off.” Non sans peine. “Je crois avoir fait un trait sur mon image d’avant. Pour moi, mon corps est devenu une enveloppe, une carcasse amochée.” Qu’elle habille sans coquetterie désormais : “Toujours les mêmes tenues, simples, pratiques pour mes mains”. De toute façon, “mon corps n’est plus. Et je ne sais pas si je pourrai un jour retrouver la bonne harmonie entre mon corps et mon esprit.

Le zoom de la rédaction
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