Ground Zero, 20 ans plus tard : 'Il faut que ce que l'on édifie provoque une énergie nouvelle"
Par Christine SiméoneVingt ans après la chute des Twin Towers à New York, lors des attentats du 11 septembre 2001, architectes et artistes y ont recréé des lieux de vie et un mémorial à Ground Zero. Comment s'y prennent-ils pour rendre visibles les architectures détruites à travers leurs œuvres ? Entretien avec l'artiste Juan Garaizabal.
Comment reconstruire un site que des évènements tragiques ont détruit ? Comment évoquer son passé, alors qu'on y reconstruit pour des vies et des activités nouvelles ? Cette question s'est posée dans le passé et se reposera encore. Une fois les nouveaux bâtiments en place, il n'est finalement pas si fréquent qu'un musée vienne rassembler des éléments de mémoire du lieu. Sauf pour de très grands ensembles, ou des évènements historiques.
C'est autour de ces questions de mémoire que tourne le travail du sculpteur espagnol Juan Garaizabal, qui dispose de plusieurs ateliers à Madrid, Berlin et Miami. Il est connu pour ses Urban Memories, installations artistiques de grande taille, qui reposent dans l'espace public des fragments de l'histoire des lieux. En juillet 2021, il a recrée pour le centre de Paris l'ancien palais des Tuileries, avec des fragments de grands vases porteurs de plantes en référence aux jardins, le cadran d’une horloge, en mémoire du pavillon de l’Horloge. A Berlin, il a conçu une immense carcasse d'une chapelle du XVIIIe détruite pendant les bombardements de 1944. Il y a érigé un squelette d'acier qui figure les principales lignes de force de l'édifice et sa silhouette. Ces sculptures apparaissent dans l'espace public comme des réminiscences.
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A Ground Zero, à New York, la reconstruction du site a débuté en 2004, avec les choix des projets architecturaux, pour "remplacer" les tours disparues depuis les attentats du 11 septembre 2001. Ainsi a été construite la One World Trade Center ou Freedom Tower, ouverte depuis 2015 - c'est l'une des six plus hautes tours du monde actuellement.
A coté, un mémorial appelé Reflecting Absence a été érigé_._ Une cascade d'eau se déverse dans deux bassins, situés à 9 m sous le niveau du sol, remplacent les tours jumelles. L'un des bassins est inaccessible, pour signifier le sentiment de perte. Tout autour du grand bassin sont gravés les noms des 2752 victimes de l'attentat. Lorsque les visiteurs viennent se promener dans ce mémorial, ils font l'expérience d'une descente dans l'obscurité et d'une remontée vers la lumière. Sa réalisation avait été confiée à l'architecte Michael Arad, et au paysagiste Peter Walker.
"Le mémorial "Reflecting Absence" n'est pas ce que j'aurais conçu moi-même, je sais que certains spécialistes ont pu le critiquer parfois, mais je pense qu'il est absolument magistral et je comprends l'importance d'avoir créé un certain degré d'émotion" explique Juan Garaizabal.
Le piège à éviter dans ces situations, "c'est celui du pastiche" estime-t-il. "Les bâtiments comme les personnes ont leur propre intégrité, les bâtiments extraordinaires sont tout aussi rares que les personnes extraordinaires". Ce qui vaut pour l'architecture vaut aussi pour les installations artistiques.
Donc quand il s'agit de faire face à ce genre de défis, l'artiste estime _"qu'il faut que ce que l'on édifie provoque une énergie nouvelle entre ce que l'on érige et les habitants, comme les anciennes constructions l'avaient fait". _C'est l'idée de cette énergie nouvelle, d'un nouveau rapport du public à un bâtiment déchu, disparu, qu'il recherche.
Quand il se lance dans un projet monumental, il cherche à recréer des éléments architecturaux et les choisit en fonction de l'intérêt sculptural qu'il auront, mais aussi en considérant le lien et les interactions qu'il créera avec les gens.
L'église Saint-Nicolas au pied des Twin Towers
Après l'attentat à New York, Juan Garaizabal s'était plutôt intéressé à St Nicolas Church. Cette église orthodoxe grecque se trouvait au pied du World Trade Center, sur Cedar Street depuis le début du XXe siècle. "L'image de cette petite église au pied des gratte-ciels dans lesquels évoluaient les requins de la finance m'a émue. Ce bâtiment insufflait un aspect poétique et spirituel dans le monde capitalistique" explique-t-il. L'artiste a également était sensible au fait que dans le parc qui bordait l'église, "les gens venaient se détendre, les traders l'utilisaient pour venir déconnecter un peu".
Il a donc conçu sa sculpture de métal qui représente la silhouette de l'église telle qu'elle était, avec ses trois rangées de trois fenêtres sur la façade, au-dessus de l'entrée. L'œuvre d'acier et de bois est destinée à pouvoir voyager, elle est donc transportable. Cette œuvre a été présentée à New York pour la première fois lors du Salon international d'art Armory Show en 2011. Elle aurait pu devenir une installation monumentale sur place comme c'est le cas pour la chapelle berlinoise.
Actuellement on finit de reconstruire une nouvelle église Saint-Nicolas, plus grande que la précédente, pour que les rites religieux y reprennent place comme avant.
"Le temps n’existe pas. La seule réalité, ce sont les événements extraordinaires qui se sont produits ou se produiront en un lieu donné." estime-t-il.