Guerre en Ukraine : "Le monde entier court un danger terrible", selon le politologue russe Greg Yudin

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Guerre en Ukraine : "Le monde entier court un danger terrible", selon le politologue russe Greg Yudin

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Greg Yurin est politologue et sociologue à Moscou
Greg Yurin est politologue et sociologue à Moscou
© Radio France - Marie-Pierre Vérot

Les négociations entre l'Ukraine et la Russie sont restées vaines. Les Russes continuent de bombarder des villes ukrainiennes. Greg Yudin est politologue, sociologue et professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et économiques à Moscou. Selon lui, Vladimir Poutine menace l'Europe, voire le monde.

A ce jour, toutes les séances de négociations entre Ukraine et Russie sont restées vaines, tout comme les tentatives de médiation de nombreux pays occidentaux. Les forces russes continuent de bombarder plusieurs villes d'Ukraine, où la guerre en est à son 26e jour. Greg Yudin est sociologue et professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et économiques (HSE) à Moscou. Il observe avec inquiétude la dérive de la Russie et les intentions de Vladimir Poutine. Marie-Pierre Vérot l'a rencontré à Moscou.

FRANCE INTER : Comment analysez-vous la situation aujourd'hui ? 

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GREG YUDIN : "Le monde entier court actuellement un danger terrible. J’avais prédit cette guerre il y a deux ans. C'était pour moi une évidence. Et maintenant, il est tout aussi évident que ça ne va pas s'arrêter en Ukraine. C'est un premier pas : l'Ukraine, puis, peut-être, la Pologne, puis les autres pays européens. Je crois que le danger est imminent et qu’il faut résister maintenant. Il faut sauver le monde. Les citoyens des autres pays doivent comprendre que la situation est très sérieuse. Pas pour les Ukrainiens, mais pour l'Europe, pour le monde. C'est très, très grave et on doit faire tout ce qu'on peut pour le comprendre maintenant. Demain, il sera trop tard".  

Que peut-on faire selon vous?  

"D’abord ne pas fermer les yeux et comprendre que le danger est imminent. Il ne faut pas défendre les Ukrainiens parce qu’ils sont des victimes, il faut se défendre maintenant. Je ne suis pas un expert militaire mais je suis sûr que l'idée de ne pas provoquer Poutine et d’éviter l'escalade est une erreur. Le gouvernement russe est déjà en guerre contre l’OTAN, contre les Américains. On ne peut l’éviter. Il faut comprendre Poutine. L'Ukraine n'existe pas pour lui. Les Ukrainiens n'existent pas. La seule chose qui existe, c'est l'OTAN, et c'est pourquoi cette guerre en Ukraine est seulement le premier pas."  

Vous avez l'impression que l'Occident est en train de s'aveugler en pensant que l'on peut contenir Poutine?  

"Absolument ! Certes la situation a changé ces dernières semaines. Plus personne ne dit qu'il faut continuer "business as usual" avec Poutine et ses élites. Les Allemands ont compris quelque chose et j'espère que les Français ont compris quelque chose. Mais c'est toujours un peu trop tard. Ce que je vois, c'est que les Européens de l'Ouest pensent que cette guerre est limitée à l'espace post-soviétique. Et donc que tout va se résoudre avec la conquête du territoire ukrainien. Mais ils se trompent. Ils se trompent toujours. Encore une fois, il n'y a pas d'Ukraine pour le gouvernement russe, cela n'existe pas. Ce n'est donc pas la guerre de la Russie contre l'Ukraine, de la Russie contre les Ukrainiens. C'est la guerre qu'ils mènent contre l'Occident et c'est le premier pas pour eux. Il faut le comprendre."  

Donc, vous dites : "ensuite il y aura la Pologne"?  

"La Pologne, ce serait un test pour l’OTAN, parce qu’ici, en Russie, on croit que l’OTAN est faible et que s'il y a un danger de guerre nucléaire, on ne va pas mourir pour Dantzig (Ndlr : aujourd'hui Gdànsk, sixième ville polonise). Je ne sais pas si c’est vrai mais c'est un danger. Je crois que les Polonais le comprennent maintenant. Mais je ne sais pas si les Français le comprennent. Ou peut être les Pays Baltes, je ne sais pas. Mais cette opération militaire va continuer en Transnistrie, ce qui va impliquer la Roumanie. Et j’ignore s’il limitera cette opération-là. Il peut faire une pause pour deux ou trois ans pour reprendre des forces ou redresser l'économie, c'est possible. Mais dans deux ou trois ans, il sera sur les frontières de l'OTAN. Il a déjà demandé à l'OTAN de se retirer de Pologne, de Roumanie, de tous les pays du Pacte de Varsovie."  

Mais ne pensez-vous pas que la réponse de l'OTAN, de la communauté internationale a pu surprendre Vladimir Poutine et peut changer la donne ? 

"Poutine n’avait pas anticipé la résistance des Ukrainiens. Il n’imaginait pas les sanctions économiques de l'Occident et de la communauté internationale. Mais il faut comprendre aussi que ces sanctions sont incluses dans le calcul qu'il a fait. Il ne va pas arrêter. Parce qu'il croit qu'il y a un danger pour lui-même. Il lui faut donc continuer. C’est pour lui une guerre défensive."

Est-ce que cette période vous en rappelle d’autres dans l’histoire de la Russie ?  

"Je dirais plutôt dans l'histoire allemande. 

Ce que l'on observe ici en Russie maintenant depuis trois semaines ressemble à ce que ce que l'on a vu en Allemagne dans les années 30. 

La Russie n'était pas un État totalitaire il y a trois semaines. C'était un régime autoritaire, assez brutal, mais aujourd'hui, on voit qu'il se transforme en régime totalitaire. On voit ces signes avec la lettre Z sur les portes des gens qui protestent. On voit les rassemblements de gens qui forment la lettre Z avec leur corps. On voit les leçons dans les écoles et dans les universités où les étudiants doivent apprendre les paroles de Poutine sur l'histoire de l'Ukraine et l’on voit la violence de la police, y compris la violence sexuelle. 

La Russie est au bord de se transformer en un État totalitaire. 

Il faut comprendre ce changement. C'est pourquoi je ne crois pas que cela va s’arrêter en Ukraine. C'est un État totalitaire qui est en guerre avec l'extérieur. Peut-être y a-t-il toujours le moyen de l'éviter. Mais je crois que presque tout est prêt pour cette transformation dans ce pays. Parce que, comme en Allemagne dans les années 30, les gens sont résignés. Ils n'ont pas de volonté pour prendre la responsabilité politique.  

Il y a toujours les 20 ou 25% qui sont contre la guerre et c'est un chiffre qui mérite l'attention. Mais on voit ce qui se passe avec ces citoyens et c'est pourquoi certains quittent le pays. Les autres, ceux qui décident de rester, choisissent le silence. C'est pourquoi je crois que c'est un moment très dangereux pour les Russes. La Russie peut se transformer en un État totalitaire très rapidement, en quelques jours."