Harcèlement sexuel : 10 ans après la loi, "le chemin à parcourir est encore immense" dans le monde du travail

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Harcèlement sexuel : 10 ans après la loi, "le chemin à parcourir est encore immense" dans le monde du travail

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Une affiche de prévention contre le harcèlement sexuel au travail à Collioure.
Une affiche de prévention contre le harcèlement sexuel au travail à Collioure.
© Maxppp - Clementz Michel

Le 31 juillet 2012, le Parlement adoptait la loi sur le harcèlement sexuel, délit punissable de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Dans le monde du travail, la loi a permis la libération de la parole, mais les condamnations sont encore trop peu nombreuses.

Le 31 juillet 2012, l'Assemblée nationale votait définitivement la loi relative au harcèlement sexuel, à la demande notamment de plusieurs collectifs et associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Désormais, le harcèlement sexuel, défini comme le fait d'"imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante", est considéré comme un délit punissable de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Dans le monde du travail, cette loi a permis de libérer la parole et de protéger en partie les victimes, même si les condamnations sont encore trop peu nombreuses. C'est le constat que fait Marilyn Baldeck, déléguée générale de l 'association AFVT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail). Elle y travaille depuis 18 ans.

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FRANCE INTER : Il y a dix ans, la nouvelle loi relative au harcèlement sexuel entrait en vigueur. Quelles avancées a-t-elle permis dans le monde du travail ?

MARILYN BALDECK : "Avant cette nouvelle loi de 2012, la définition du harcèlement sexuel était très restrictive et problématique, puisque pour que le harcèlement sexuel soit caractérisé, il fallait prouver que l'auteur avait eu l'intention des faveurs de nature sexuelle. On regardait donc uniquement la volonté du harceleur. Depuis dix ans, la nouvelle loi permet de se placer d'avantage du point de vue de la victime, puisqu'aujourd'hui on définit le harcèlement sexuel comme un ensemble de propos à connotation sexuelle répétés et qui portent atteinte à la dignité de la personne, notamment au travail. Au quotidien, c'est devenu plus facile de caractériser une situation de harcèlement sexuel en droit du travail.

Ce qui a également changé en dix ans, c'est la mobilisation du monde du travail sur la question du harcèlement sexuel. C'est le jour et la nuit ! Il y a de plus en plus d'entreprises qui font de la prévention des violences sexistes et sexuelles au travail, c'est un sujet dont on parle, et plus on en parle plus les victimes en parlent, et plus au final les harceleurs sexuels sont mis en minorité dans leur groupe de travail."

Est-ce que cette loi a facilité la prise de parole des femmes ou hommes victimes de harcèlement sexuel au travail ?

"On sait que le nombre de révélations de violences sexuelles, et notamment de harcèlement sexuel au travail, a augmenté. Il y a eu une explosion du nombre de plaintes pénales déposées. Il est en revanche plus difficile de savoir combien de salariés arrivent à se plaindre d'une situation dans leur travail, puisque c'est beaucoup moins documenté. À l'AVFT, le nombre de femmes qui nous saisissent a doublé, puis triplé, puis quadruplé. On voit bien qu'il y a un mouvement collectif qui a permis l'émergence de prises de paroles individuelles au sein des entreprises avec aussi une plus grande mobilisation des organisations syndicales et des représentants du personnel, même si cela reste largement perfectible. Aujourd'hui, on considère de moins en moins que le harcèlement sexuel au travail est un non-sujet et de plus en plus de personnes cherchent à se former.

Évidemment, le chemin à parcourir est encore immense, mais ça n'a quand même plus rien n'à voir par rapport à 2012 et l'ancienne loi, et même par rapport à l'époque avant #metoo. À noter en revanche que si la parole se libère, à l'AVFT nous sommes de plus en plus saisis par des femmes, et parfois des hommes, qui ont cherché à se solidariser avec les victimes et qui le paient en terme de conditions de travail. On défend de plus souvent ces victimes indirectes qui subissent des représailles professionnelles pour s'être placées dans le camp de la victime. Le harcèlement sexuel au travail s'inscrit dans des relations de pouvoir et des abus de pouvoir, donc il est toujours plus facile de se placer dans le camp de l'agresseur que celui de la victime."

Concrètement, est-ce que les harceleurs mis en cause sont condamnés pénalement, comme la loi le permet ?

"Non, en réalité il y a depuis dix ans beaucoup plus de procès contre les personnes morales, les entreprises, que contre les harceleurs eux-mêmes. C'est sans comparaison puisqu'en fait, la grande différence est que quand vous attaquez votre employeur, c'est devant le conseil des prud'hommes donc il y aura forcément un procès (sauf si une transaction entre l'employeur et la victime intervient entre temps). En revanche quand vous attaquez le harceleur, c'est une procédure pénale où le classement sans suite est possible. Et puis, oui, la loi prévoit une condamnation, mais comme pour les violeurs et les agresseurs sexuels, alors que dans les faits, on constate que très peu son condamnés. Les politiques pénales en matière de violences faites au femmes ne sont pas à la hauteur du besoin de justice qui existe. La liste des raisons pour lesquelles ça ne fonctionne pas est longue, à commencer par le manque de moyens de l'institution judiciaire.

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On a beau avoir une loi pénale qui s'est considérablement perfectionnée, le fait qu'il y ait si peu de condamnations pénales pour harcèlement sexuel fait qu'il n'y a pas de véritable crainte des harceleurs de se retrouver devant un tribunal correctionnel et de risquer une condamnation. Les chefs d'entreprises eux, qui sont les personnes morales, ont aujourd'hui beaucoup plus conscience des risques qu'ils encourent, rien qu'en terme de réputation, que les harceleurs eux-mêmes.