"Harlem Shuffle" de Colson Whitehead : une série B un peu too much selon Le Masque

Publicité

"Harlem Shuffle" de Colson Whitehead : une série B un peu too much selon Le Masque

Par
L'écrivain américain Colson Whitehead à la 21e édition du Festival International de littérature de Rome, juillet 2022
L'écrivain américain Colson Whitehead à la 21e édition du Festival International de littérature de Rome, juillet 2022
© Getty - Mondadori Portfolio / Contributeur

Après ses deux romans à succès "Underground Railroad" et "Nickel Boys" qui lui avaient valu de remporter deux fois le Pulitzer de la fiction, l'auteur américain signe cette fois-ci un polar dans le Manhattan des années 1960. Un pas de côté romanesque que Frédéric Beigbeder a été le seul à défendre.

Le livre résumé par Jérôme Garcin

L'auteur de "Nickel Boys" a reçu deux fois le prestigieux prix Pulitzer. Ici, nous sommes à Harlem, dans les années 60. Ray Carney est marié, il a deux enfants et une boutique sur la 125ᵉ rue, dans laquelle il vend du mobilier et de l'électroménager. C'est l'époque où les vieux postes de TSF sont remplacés par de gros téléviseurs et les meubles qui vont avec. La vie de Ray serait presque pépère (puisqu'il s'est fait une spécialité de vider les appartements des morts) s'il ne frayait pas via son cousin Freddie avec la pègre et ne se laissait pas embringuer dans des affaires louches. Pas voyou, juste un peu filou, il s'est lancé dans le projet de cambrioler l'Hôtel Theresa surnommé le Waldorf de Harlem. C'est un polar, mais c'est surtout un portrait de Harlem, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, où le meurtre d'un adolescent noir qui a été tué par balle par un policier blanc a déclenché pendant l'été 1964 des émeutes historiques qui allaient en annoncer beaucoup d'autres.

Patricia Martin l'a trouvé "un peu too much" cette fois-ci

Si elle a aimé la façon dont l'auteur décrit le quartier de Harlem, elle regrette une écriture un peu moins intelligente que son précédent ouvrage : "Le portrait de Harlem sauve un peu le reste puisqu'il travaille comme un archéologue et, plus il fouille, plus il trouve des choses déconcertantes. Harlem, c'est un sujet romanesque en soi, c'est une ville dans une ville, incandescente. Il peut y avoir toutes les émeutes et tous les morts qu'on veut, où les vies partent en fumée et qui pourtant renaît toujours de ses cendres tel un phénix.

Publicité

Par ailleurs, autant, j'avais beaucoup aimé "Nickel Boys", mais là, je trouve qu'à certains moments, c'est un peu too much dans la façon dont il raconte cette histoire, somme toute assez sombre. À force d'être branque, à certains moments, ça en devient drôle alors que ça ne devrait pas l'être. Les blessures des êtres, certes, l'intéressent, mais c'est bourré d'archétypes, notamment sur le vieux vétéran de la Seconde Guerre mondiale, sur lequel le trait est un peu forcé, et fait que ce n'est pas très recherché.

Il y aurait peut-être des choses un peu plus finaudes à dire sur les êtres, me semble-t-il. Plus ça va crescendo et moins j'y ai cru".

Frédéric Beigbeder reconnaît que c'est "une série B, mais écrite par un grand écrivain" qui s'est fait plaisir !

Le critique littéraire du Figaro-magazine salue ce qui lui apparaît comme le pas de côté d'un brillant écrivain doublement récompensé, qui peut se permettre de faire quelque chose de plus léger après ses deux derniers grands succès littéraires : "Colson Whitehead a cette fois-ci voulu penser son ouvrage comme une parodie. C'est écrit comme un pastiche de Chester Himes. Je crois que ça vient du fait qu'après avoir reçu deux fois le Prix Pulitzer, l'auteur a tout simplement eu envie de réaliser peut-être un pas de côté. Les deux romans pour lesquels il a eu ses prix, "Underground Railroad" et "Nickel Boys" étaient deux livres très durs, qui ont été des monuments mondialement reconnus.

Là, il s'est dit qu'il allait faire quelque chose d'un peu plus facile, d'un peu plus frivole et amusant. Il s'est fait plaisir. Au début, je me disais que c'était peut-être un peu "blaxploitation" mais c'est finalement plus proche du film de Quentin Tarantino sur Los Angeles. C'est une sorte de "Once upon a time in Los Angeles" ce livre. Mais on est bien, c'est agréable. C'est un grand écrivain qui choisit de faire un livre un peu plus léger. Une sorte de série B, mais écrite par un grand écrivain".

Olivia de Lamberterie s'est donnée énormément de mal

Si la journaliste pour Elle avait été sensible à la dureté du sujet du livre précédent, et bien qu'elle reconnaît avoir été passionnée par le récit que l'auteur dresse de l'Amérique de l'époque, elle n'a pas réussi à s'intéresser aux personnages. Selon elle, c'est une sorte de série B, mais dont l'écriture n'est pas très intéressante : "J'avoue que je n'ai pas été jusqu'au bout parce que la vie est courte et le roman très long… Tout ce qui est intéressant, c'est ce qui est derrière, le tableau d'une certaine Amérique et les détails véridiques qu'il donne. La femme du personnage, qui travaille dans une agence de voyages, son rôle dans une Amérique de la fin des années 50-60 encore pourrie par la violence raciale et la ségrégation. Tout ce qu'il raconte sur l'Amérique et la violence raciale est passionnant, mais l'intrigue elle-même et les personnages sont complètement ratés".

Arnaud Viviant s'est une nouvelle fois "emmerdé"

Arnaud avait déjà dit le plus grand mal du précédent et ce n'est pas mieux pour celui-ci : "Celui-là est un peu meilleur, mais quand je vois qu'il a voulu faire un pastiche de Chester Himes ou de Donald E. Westlake, eh bien, je crois que si ces deux-là lisaient cela, ils seraient morts de rire…

Premier chapitre, il ne se passe absolument rien, ça n'a aucun intérêt. Il ne se passe rien du tout. On s'emmerde. C'est raconté avec les pieds. Ça ne fonctionne pas dramatiquement et, surtout, il n'y a aucun humour. C'est l'embourgeoisement de la pulp fiction qui devient obèse et triste".

Le livre

Écoutez l'intégralité des critiques échangées sur le livre :

"Harlem Shuffle" de Colson Whitehead

8 min

📖 LIRE -  "Harlem Shuffle" de Colson Whitehead (Albin Michel)

🎧 LIVRE OUVERT |  Toutes les autres œuvres passées au crible des critiques du Masque et de la Plume à retrouver sur le site et l'app Radio France.