Histoire des langues : depuis Guillaume le conquérant, le français et l'anglais ne font qu'un !

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Histoire des langues : depuis Guillaume le conquérant, le français et l'anglais ne font qu'un !

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Pourquoi l'anglais et le français sont-elles deux langues qui n'ont jamais cessé d'évoluer l'une sans l'autre ? Un peu d'histoire linguistique
Pourquoi l'anglais et le français sont-elles deux langues qui n'ont jamais cessé d'évoluer l'une sans l'autre ? Un peu d'histoire linguistique
© Getty - simon2579

Si l'anglais est d'abord une langue germanique, il doit une bonne partie de son lexique et de sa syntaxe grammaticale au français, depuis que le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, est monté sur le trône d'Angleterre, en 1066, après sa victoire à Hastings, exportant avec lui des milliers de mots français.

Une composition primitive entre langues latines et germaniques 

Invité de l'émission "Grand bien vous fasse" aux côtés de la linguiste Julie Neveux et l'écrivain Jean-Loup Chiflet, le lexicologue Jean Pruvost revient sur l'histoire de la formation et de l'évolution de la langue anglaise puis française, soulignant au passage ce qui fait la grande perméabilité linguistique entre les deux langages. C'est le fruit d'une histoire assez longue qui aura établi un même socle linguistique sur lequel elles reposent toutes les deux même si elles répondent à deux aires de civilisations différentes : 

Jean Pruvost nous rappelle que les deux langues appartiennent toutes les deux aux langues indo-européennes et que si elles finissent par acquérir leur propre spécificité, elles se sont construites ensemble depuis les bases du langage celte. En France, l'ensemble des tribus celtes (dont descendent les gaulois) se sont retrouvées nez à nez avec la vague des peuples Germains dont font partie les Francs, important leur langue germanique. En France, la langue latine reste prédominante du fait de l'expansion romaine. Toutefois les langues romanes (latines) ont davantage marqué le français, plus que l'anglais. Durant l'Antiquité, l'envahisseur romain n'est pas parvenu à imposer le latin en Bretagne et les insulaires bretons n'accueillent pas très bien Rome. 

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Les bretons insulaires finissent par être envahis par le peuple germanique des angles et des saxons. Les langues romanes laissent seulement quelques traces dans les noms propres anglais, les noms de villes, les noms des personnes (tous les mots en "caster" font référence au "castrat romain" ce qui en français donne "le fort", "la place forte"). Viennent aussi se mêler les vikings, le scandinave, plus précisément le vieux norrois (qui a apporté autant à l'anglais qu'au français) au Xe siècle. C'est tout cet héritage linguistique déjà multilingue que Guillaume le Conquérant finit par emporter avec lui lorsqu'il remporte la fameuse bataille d'Hasting face au dernier roi anglo-saxon Harold Godwinson d'Angleterre, en octobre 1066. Une combinaison latino-germanique commune au français et à l'anglais. 

Avec Guillaume le Conquérant, le début du franglais 

Jean Pruvost : "En effet, le célèbre duc de Normandie contribue à embarquer, avec lui et ses nombreux hommes, énormément de mots français en Angleterre. Beaucoup de gens de l'Eglise, de savants, de clercs le suivront, en même temps que des artisans, des guerriers, toute une population franco-normande qui part avec lui et emporte avec elle son ancien français". 

L’intégralité des terres anglaises sont transmises à des seigneurs qui parlent le français en même temps que le nouveau roi normand d'Angleterre impose le français comme langue officielle. Ce sera le cas du moins jusqu’à la fin du XIVe siècle qui marquera bien sûr le début de la terrible guerre dite de Cent ans entre l'Angleterre et la France

"Conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 : les flottes normandes font route vers l'Angleterre" Détail de la Tapisserie de Bayeux ou Broderie de la Reine Mathilde, 1077. Bibliothèque de Bayeux
"Conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 : les flottes normandes font route vers l'Angleterre" Détail de la Tapisserie de Bayeux ou Broderie de la Reine Mathilde, 1077. Bibliothèque de Bayeux
© AFP - Photo Josse / Leemage

"D'ailleurs, ajoute-t-il, les mariages mixtes franco-anglais ont été nombreux avant que celle-ci n'éclate et ont fait la part belle à la porosité linguistique entre les deux langues. Ce processus de fusion linguistique va se poursuivre jusqu'à Jeanne d'Arc. Notons le mariage entre Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenet ; Marguerite de France et Edouard Ier d'Angleterre ; Isabelle d'Angoulême avec le roi Jean sans Terre, Isabelle de France et Edouard II d'Angleterre"… Toute une série de reines françaises à la cour d'Angleterre qui contribueront à normaliser l'usage du français. 

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Ce qui fait qu'aujourd'hui, dans la langue anglaise, on considère que sur 60 000 mots, 60 % sont d'origine française, et non des moindres comme "Sir", "Prince", "duke", des mots disparus aussi comme "Very", mais aussi "âge", "art", "dialogue", "miracle", "prison", "silence" pour ne citer qu'eux"…

C'est quelque chose qui perdurera encore jusqu'après la Renaissance, des milliers de mots anglais et français continuent à s'épouser et ce jusqu'à aujourd'hui. La langue française est celle qui aura le plus touché la langue anglaise. 

Les mots français et anglais : fruit d'un va-et-vient historique permanent entre l'Angleterre et la France

C'est une histoire linguistique qui montre le voyage de mots tout à faits différents qui se forment progressivement à mesure qu'ils passent, repassent, traversent et retraversent la Manche. 

Le lexicographe prend quelques exemples : "Si on prend le mot "budget", qui est au départ un mot gaulois "bouge" qui voulait dire "sac", il devient alors "bougette" soit "petit sac" (dans lequel on met souvent de l'argent), ensuite il passe en Angleterre, et devient enfin "budget". En 1743, on dit que le chancelier ouvre "le budget" pour les séances du Parlement et formule "to open the budget". C'est ainsi qu'on lui donne la prononciation de "budget" qu'on lui connait aujourd'hui. Ce mot est un des nombreux exemples qui montre que la création de mots anglais s'appuie pour beaucoup sur une racine lexicale française (latine). Un échange linguistique permanent jusqu’à aujourd'hui. Rappelons que les Français sont eux aussi d'autant plus attirés par l'anglais qu'ils nourrissent, au XVIIIe siècle, une vraie anglomanie et contribuent à intensifier et pérenniser les échanges de nombreux mots franglais.

De même que le mot "tunnel" qui provient du mot français "tonnelle". La racine elle-même passe en Angleterre à une époque où ils connaissent la révolution industrielle à la mi-XIXe siècle qui brasse ainsi beaucoup de mots en liens avec les chemins de fer et qui vont venir ensuite en France comme "rail" et d'autres mots. "Corner" aussi vient au départ du mot français "cornière" passé en Angleterre avant de revenir finalement en France". 

En somme, les deux langues sont restées cousines. Elles présentent une base commune qui a reposé sur une espèce de fusion entre le germanique anglo-saxon et le latin. Elles sont beaucoup plus proches qu'on ne l'imagine, et sont restées l'une et l'autre très perméables. Une combinaison historique qui a contribué à les mettre en perpétuel contact, continuant aujourd'hui à se séduire l'une et l'autre. On peut considérer que si l'anglais est la principale langue de communication internationale aujourd'hui, c'est aussi grâce au français

S'il y a un peuple sur Terre pour qui apprendre l'anglais, devrait être facile, c'est le peuple français. Parce que le monde francophone, les règles grammaticales anglaises ce sont les mêmes mots. La moitié du vocabulaire est le même…

- Anthony Lacoudre (auteur de L'incroyable histoire des mots français en anglais)

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