"Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier salué presque à l'unanimité par "Le Masque & la Plume"
Une fois n'est pas coutume, Laurent Mauvignier transporte son lecteur dans un thriller inédit. Vous voici plongés dans un huis clos, une machine infernale longue de 600 pages. Un livre noir dont le style littéraire singulier a presque été unanimement salué par les critiques du "Masque & la Plume".
Le livre présenté par Jérôme Garcin
Voici un gros roman de 640 pages que je qualifierais volontiers de "thriller", une de mes grandes lectures de l'été. C'est dans une gendarmerie que ça commence, à La Bassée, un bourg du centre de la France où Christine est une artiste-peintre. Autrefois parisienne, elle vient montrer les lettres anonymes fielleuses qu'elle reçoit régulièrement. Christine habite un hameau au nom étrange "L'écart des trois filles seules". Et elle a pour voisin infirmier, Patrice, sa femme, Marion, qui travaille dans une imprimerie, et une fille de dix ans, cette dernière s'appelle Ida.
Ce jour-là, on doit fêter les 40 ans de Marion. Au fur à mesure que la journée avance, le ciel se charge, l'angoisse monte, il y a des ombres qui rôdent autour du hameau, le chien de Christine ne répond plus à l'appel puisqu'il a été tué au couteau dans la grange et que des hommes armés finissent par apparaître. Ce sont trois frères qui s'invitent à la fête. Ils viennent du passé de Marion, dont on comprend qu'elle a beaucoup à cacher.
On se souvient des romans de Mauvignier, notamment celui sur la tragédie du Heysel "Dans la foule" ou sur les revenants de la guerre d'Algérie, "Des hommes". Là, c'est la première fois qu'il plonge ses héros, ces laissés-pour-compte quels que soient les livres, dans un livre noir que, selon moi, il aurait pu, si le titre n'avait pas été pris, intituler "De sang froid". Comme toujours chez Mauvignier, ce sont des gens de peu qui n'ont pas forcément la parole, que ce soit les victimes ou ceux qui attaquent. Et, justement, ces phrases longues correspondent à cette volonté de chercher le mot en permanence.
Ce livre m'a bouleversé et effrayé. Je suis un fidèle de Mauvignier depuis son premier livre
Arnaud Viviant déplore une violence esthétique qu'on a déjà vue mille fois
AV : "Quelqu'un a écrit que c'était du Stephen King réécrit par Claude Simon. Pourquoi pas ? Ce n'est pas faux, c'est un bon résumé de l'affaire. Cela dit, ce n'est pas parce qu'on écrit des longues phrases qu'on écrit comme Claude Simon… Claude Simon ne mettait pas des "putains" tous les deux mots, comme dans les dialogues pour faire à l'américaine des "fucking"…
Il y a un problème et ça se voit à travers les dialogues
Et si Claude Simon n'a pas écrit des histoires à la Stephen King, c'est qu'il doit y avoir une raison. De même que si Stephen King n'a pas écrit comme Claude Simon, c'est qu'il doit y avoir aussi une raison ! C'est que, là, encore une fois, on est dans ce problème du fond et de la forme. Si vous êtes un lecteur de Claude Simon, vous n'avez absolument pas envie de lire une histoire à la Stephen King. Si vous êtes un lecteur de Stephen King, vous n'avez absolument pas envie de lire quelqu'un qui écrit comme Claude Simon sans en avoir la précision et la poésie dans le langage.
L'idée du livre repose sur une espèce de violence esthétique qu'on a déjà vue mille fois, qui est d'ailleurs plutôt proche de Sergio Leone.
C'est la violence esthétique des western spaghetti !
C'est une espèce de jeu de thriller-spaghetti. Vous bouffez de la phrase, tout est lent, ça n'a strictement aucun intérêt".
On l'a déjà lu mille fois cette histoire
Olivia de Lamberterie a adoré
OL : "Je ne suis pas une grande lectrice de Stephen King, ça m'ennuie souvent beaucoup et je le confesse, je ne suis pas une grande lectrice de Claude Simon non plus et, pourtant j'ai adoré ce livre parce qu'il réconcilie deux sentiments que j’adore lorsque je lis un roman : l'empathie et l'effroi.
J'ai eu très très peur. C'est une vraie réminiscence des lectures d'enfant quand on a peur, quand je lisais par exemple "Le Petit Poucet" ou "Barbe bleue". C'est exactement la même angoisse. D'ailleurs, le titre vient d'un gros volume que l'un des personnages, Marion, lit à sa petite fille, ce sont des histoires qui font atrocement peur, des histoires d'assassins horribles. Mais la petite fille remarque une chose, c'est qu'elle aime autant l'histoire que lui raconte sa mère, que la voix de sa mère. L'énergie, les pulsations qu'elle entend et qui emplissent la pièce, la chambre à coucher, c'est exactement la même chose.
On est autant pris par l'histoire que par la voix de Mauvignier
Avec ces phrases qui n'en finissent pas, mais que j'adore, ces précisions qu'il donne qui fait qu'on a l'impression que pour chaque sentiment, chaque nanoparticule est exploré !
Ce qui est important et qui compte, c'est autant ce qu'il dit que ce qu'il ne dit pas
Dans les 200 premières pages, vous avez vraiment des silences ou des trous qui sont correspondent aux fêlures des personnages qu'on va explorer. On est vraiment dans un trou perdu avec des perdants où il n'y a pas de grandes différences entre les agressés et les agressants.
C'est vraiment très, très beau.
Jean-Claude Raspiengeas salue un travail littéraire admirable en mesure d'être le candidat idéal au Goncourt
JCR : "J'adhère totalement. C'est un très grand livre, passionnant, impressionnant, fascinant par le travail littéraire. Je trouve qu'il y a une mécanique qui monte crescendo et, précisément, le travail littéraire sur ces phrases est formidable. J'ai été totalement happé par ces phrases qui contribuent au plaisir, à l'effroi et l'angoisse.
Ce rythme long et lent des phrases qui crée la dynamique et la tension tout autant que la situation elle-même. C'est ce travail-là, littéraire, qui est absolument admirable. Il y a aussi une très belle description de cette France abandonnée, oubliée. La campagne n'existe pas. Rien n'existe.
Il décrit très bien en clairs obscurs ces vies d'humiliations, ces blessures secrètes, cet ennui conjugal entre ces deux personnages, c'est très bien expliqué. J'aime beaucoup la façon dont il monte son affaire, les scènes qui sont produites à différentes vitesses en fonction de la violence présumée, celle qui va venir, celle qui advient. Je trouve absolument magnifique les changements de focale qu'il a par rapport aux différents personnages pour les mettre dans l'action. L'abîme entre les personnages s'élargit au moment où l'action se resserre. Il y a un travail absolument admirable.
Je l'ai lu d'une traite. C'est un suspense qui dure 600 pages
Je me demande ce qu'attendent les Goncourt en 2020 pour reconnaître Laurent Mauvignier. C'est le candidat idéal au Goncourt en cette rentrée".
Patricia Martin impressionnée par le sens du détail littéraire de Laurent Mauvignier
PM : "C'est une pyramide. Ce livre est savamment construit. Il y a du style. La première phrase fait 30 lignes. Il a vraiment le sens du récit, de part son approche des personnages, dans leur façon de vivre, les petits rituels, leurs gestes, la répétition de tout cela dans leur vie quotidienne.
La distance entre la campagne et la ville vous colle comme une seconde peau
Cette vie très âpre où le silence règne parce qu'on n'a même pas le temps de se parler tellement on travaille, la peur au ventre qu'il a, cet homme, de voir disparaître sa ferme après l'avoir reprise à la mort de ses parents. Ce lieu, aussi, inexistant, avec simplement une petite pancarte et ces trois maisons dont une inhabitée.
Il a le sens du moindre détail et offre des scènes magnifiques
Ce n'est pas un livre dont on peut dire qu'il est militant ou qui a un point de vue apparent. Évidemment, il a des intentions, mais tout cela est vraiment englobé par de la littérature, de la vraie littérature".
Aller plus loin
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"Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier
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📖 LIRE - "Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier (Éditions Minuit)
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