
"Alain Rey lance un hameçon qu’il faut laisser flotter et ne jamais perdre de vue : il faut s’amuser des mots, les regarder de face et de profil, les renverser pour ne jamais être dupe de ce qu’ils nous racontent." Eric Libiot a salué la mémoire du linguiste disparu dans l'émission Grand bien vous fasse d'Ali Rebeihi.
"Longtemps je me suis couché tard dans les bras de Morphée et dans les rets d’Alain.
Certains rêvent des images, moi je rêve aussi de mots sans aucun mal.
Grâce à lui, grâce à Alain Rey, mon linguiste préféré, père de Robert, les grands et les petits, décédé il y a quelques jours, le 28 octobre.
Alain Rey avait des mots dans la peau et je veux rendre ici hommage à cet homme de bien, homme gourmand et de belle pâte, qui, toute sa vie, a cuisiné les mots de la langue française.
Et quand je dis de la langue française, je pourrais même dire les mots du vaste monde tant ces petits morceaux de vie passent les frontières, se nourrissent les uns les autres, et se déclinent à volonté.
Le sens du mot, dit en substance Alain Rey, n’est jamais unique et surtout pas interdit ; il serait plutôt giratoire.
Un mot est comme un rond-point et selon la route qu’on prend, on visite des paysages différents.
C’est ce que m’a appris Alain Rey notamment quand je l’écoutais sur cette même antenne, France Inter, à la fin de la matinale dans sa chronique Le Mot de la fin.
Mais ce n’était qu’un début.
Le Mot de la fin apportait les nourritures nécessaires à la journée. Parce qu’Alain Rey savait être érudit sans être pédant, malin sans être retords, amusant sans être futile.
J’ai souvent ici déclaré ma flamme à Pierre Dac, à Raymond Devos, à la troupe des Monty Python, à Georges Perec et Raymond Queneau qui, chacun dans leur domaine, ont fait des mots, des clés pour des mondes imaginaires merveilleux. Alain Rey fait partie de cette classe de grande classe
Linguiste émérite, Alain Rey est surtout un conteur éclectique.
Il faut lire son Dictionnaire historique de la langue française qui s’apparente en fait au grand roman des mots. Il faut le grignoter, le picorer, s’y plonger sans bouée
Car entre les lignes, Alain Rey lance un hameçon qu’il faut laisser flotter et ne jamais perdre de vue : il faut s’amuser des mots, les regarder de face et de profil, les renverser pour ne jamais être dupe de ce qu’ils nous racontent.
Il regarde les mots à la racine et observe comment ils poussent, taillés à la baguette ou en broussaille et huile d’olive.
Alors je m’y plonge aujourd’hui comme régulièrement avec un peu plus d’émotion pour observer d’où vient ce Rey d’Alain.
Alain Rey en connaît un rayon sur les mots à tel point que le mot 'rayon' a remplacé au XIIIe siècle le mot 'rais'. 'R a i s' – rayon lumineux que le poète Ronsard emploiera au sens figuré pour désigner 'ce qui éclaire, apporte le bonheur et la connaissance' ce que fait très bien Alain Rey.
Le préfixe 'Ré', lui, antéposé à un verbe peut être une façon de marquer un retour en arrière, ce qui n’est pas forcément péjoratif, ni conservateur mais pour à aller à la racine des choses ou du mot comme le fait Alain Rey.
Mais de toutes ces homophonies ou occurrences, je préfère évidemment celle qui désigne le 'Roi' – mot qui vient de 'Rex' puis de 'rei', 'R E I' vers l’an 980 ce qui ne nous rajeunit pas.
Alors vous me demanderez, Ali, comment on passe de 'Rei' - 'R E I' - à 'Rey' - 'R E Y' – eh bien encore une fois grâce à ce Dictionnaire historique de langue française où j’apprends que ce Y latin s’écrivait V en Grèce continentale.
Ainsi Alain Rey aurait pu s’appeler Alain Rêve…
Le boucle est bouclée : à force de chemins empruntés et de sens giratoire, je comprends mieux pourquoi je rêve de mots et de merveilles.
Merci Monsieur".