Hyper Cacher : les images cruelles de la prise d'otages projetées au tribunal
Par Sophie ParmentierJour 14, au procès des attentats de janvier 2015 - La cour a commencé à se pencher ce lundi sur l'attentat commis le 9 janvier 2015 à l'Hyper Cacher, à Paris. Le terroriste Amedy Coulibaly a tué quatre personnes dans le magasin. 26 otages sont restés prisonniers pendant quatre heures.
Ce lundi, au premier matin de la quatrième semaine au procès des attentats de janvier 2015, un enquêteur antiterroriste revient à la barre. Il est commissaire divisionnaire. Il est déjà venu il y a deux semaines montrer les images glaçantes de la scène de crime à Charlie Hebdo. Cette scène, telle que les enquêteurs l'ont découverte le 7 janvier 2015 juste après le départ des terroristes, avait alors été projetée sur le grand écran de la cour d'assises spécialement composée, et toute la salle d'audience avait été tétanisée, choquée, sidérée. Même les avocats les plus habitués aux images dures étaient ressortis éprouvés. D'autant que le président de cette cour d'assises, Régis de Jorna, n'avait pas suffisamment expliqué que l'on verrait ces images terrifiantes.
Alors, ce matin, il a très clairement prévenu la salle, juste avant que l'enquêteur ne fasse projeter la scène de crime à l'Hyper Cacher, le 9 janvier 2015. Le président a aussi indiqué qu'aujourd'hui, la cour ne verrait pas toutes les vidéos, et notamment les films extraits de la caméra GoPro que le terroriste portait sur le torse, pour ne pas montrer de propagande terroriste. Mais la cour veut projeter la vidéosurveillance du magasin.
Un sac de sport rempli d'armes et d'explosifs
Et la première image de vidéosurveillance apparaît, sur le grand écran qui se déplie dans le dos des magistrats de la cour d'assises. Il est 13h05 précises à l'horodatage, quand Amedy Coulibaly surgit sur ce trottoir de la porte de Vincennes, devant l'Hyper Cacher. Le terroriste longe les voitures qui sont garées et franchit la porte d'entrée du magasin. Il est habillé d'une doudoune noire à capuche fourrée, la même que celle qu'il portait la veille à Montrouge quand il a tué la policière Clarissa Jean-Philippe. Sur le grand écran, on voit très distinctement le canon d'une arme dans ses mains. Le terroriste tient aussi un sac de sport rempli d'autres armes et d'explosifs.
Dès qu'il entre dans l'Hyper Cacher, il tire. Yohan Cohen, employé du magasin, s'effondre et agonise. Et très vite, "l'arme s'enraye dans les premières minutes" détaille le commissaire à la barre. Amedy Coulibaly continue néanmoins à tuer. Quatre morts en dix minutes. Le terroriste demande aux otages de décliner leur identité. Nom, prénom ? "Philippe" répond d'abord un otage à la question de Coulibaly. "Ton nom ?" insiste le terroriste. "Braham" ajoute Philippe. Et Amedy Coulibaly tire sur Philippe Braham, qui s'écroule. Puis on voit un homme courir pour entrer dans le supermarché, avant que le rideau de fer ne se referme. Cet homme veut faire une course expresse, et ne se doute pas qu'un terroriste est en train de semer la mort et la terreur. Zarie, la caissière que Coulibaly a envoyée baisser le rideau métallique, tente de prévenir l'homme, lui dit de faire demi-tour. Mais il se faufile sous le rideau. Michel Saada est à son tour fauché par les balles d'Amedy Coulibaly.
Téléphones portables confisqués
Les caméras de vidéosurveillance nous projettent ensuite entre les caisses et les rayons du supermarché. Les caisses, couleur vert pomme, sont au premier plan. Puis on s'enfonce dans les rayons, d'abord impeccablement rangés, puis totalement en vrac, conserves à terre, cartons éventrés, après le mouvement de panique des clients et employés quand ils ont entendu les premiers tirs, vu la première victime s'effondrer, et cherché à fuir, en tous sens. On ne voit pas cet instant précis. L'enquêteur à la barre fait un zoom sur le premier rayon, encombré de caddies renversés, et au milieu, une chaise de bureau. C'est celle sur laquelle Amedy Coulibaly s'est assis.
Durant sa prise d'otages sanglante, qui a duré quatre heures, le terroriste a conseillé aux otages de manger avec lui. Il leur a aussi très vite demandé de poser leurs téléphones dans un petit carton. Pas loin du carton, l'enquêteur montre la caméra Go Pro, que le terroriste a posée, au beau milieu des chips et des autres gâteaux apéritif. Coulibaly a essayé d'en extraire les images pour sa revendication au nom de Daech. Mais les images qui n'y figureront pas. Le terroriste semble avoir eu du mal à se connecter à internet, alors qu'il voulait regarder les chaînes d'info en continu. À 13h30, explique l'enquêteur, échec de connexion, et le terroriste envoie un otage détruire toutes les caméras du magasin.
"Le terroriste lui a donné un coup de pied dans la tête"
La dernière image prise par la caméra est celle de la quatrième victime d'Amedy Coulibaly. Yoav Hattab, qui s'était réfugié avec d'autres clients dans les chambres froides du sous-sol, et que Zarie la caissière est allée chercher. En remontant avec d'autres otages, Yoav Hattab a tenté de tuer le terroriste avec l'une des armes posées dans un coin. Mais ce fusil mitrailleur s'est enrayée, et c'est Coulibaly qui a abattu le jeune homme de 21 ans. L'enquêteur ajoute ce détail cruel : "le terroriste lui a donné un coup de pied dans la tête" après l'avoir tué.
L'enquêteur montre ensuite l'arsenal de Coulibaly. De vieux pistolets Tokarev, les mêmes que ceux utilisés sur la coulée verte le soir du 7 janvier 2015, pour viser Romain, le joggeur grièvement blessé. Et deux fusils d'assaut, dont l'un a servi à tuer la policière de Montrouge, Clarissa Jean-Philippe. Un avocat demande pourquoi il y avait un tel arsenal ? L'enquêteur sous-entend qu'un complice était sans doute attendu à l'Hyper Cacher. C'est ce qu'indique le message d'un commanditaire présumé, envoyé deux jours plus tôt et retrouvé au cours de l'enquête dans l'ordinateur de Coulibaly. Puis l'enquêteur rappelle que l'ADN de tel accusé a été retrouvé sur telle arme, ou que l'empreinte génétique d'un autre a été retrouvé sur des gants du terroriste, des gants noirs que l'on voit sur la vidéosurveillance.
Plus d'images, mais une bande-son
Entre 13h30 et 17h10, heure de l'assaut du RAID et de la BRI, il n'y a plus d'images puisque le terroriste a ordonné à un otage de détruire les caméras. Mais il reste une bande-son. Celle de la Go Pro que lit le président, avec un ton étrangement surjoué, presque dérangeant. Il y a aussi l'extrait sonore d'une interview enregistrée par BFMTV. La semaine dernière, la cour avait déjà entendu une bande-son émanant de la chaîne d'infos en continu, qui avait appelé les frères Kouachi dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële. Le ton surréaliste du journaliste qui tutoyait le terroriste en lui demandant s'il allait encore "se venger" avait mis très mal à l'aise une grande partie de la salle d'audience. Cette fois, le ton est neutre, et le journaliste vouvoie le terroriste. Cette fois, c'est le terroriste lui-même qui a appelé BFMTV. Vers 15 heures, précise l'enquêteur. Parce que Coulibaly voulait se vanter d'avoir tué quatre personnes, et que jusqu'alors, les bandeaux de la télé parlaient uniquement des otages.
La voix du terroriste résonne dans la salle d'audience. Une voix calme sur la bande-son. Le journaliste qui a enregistré demande : "Qu'est-ce que vous comptez faire ? Pourquoi vous êtes là ?" Amedy Coulibaly déclare à BFMTV : "Je suis là parce que l’État français a attaqué l’Etat islamique, le califat". Le journaliste : "Vous avez reçu des instructions ?" Le terroriste : "Oui". Le journaliste demande à Amedy Coulibaly s'il est "en lien avec les deux frères ?" Les frères Kouachi, auteurs de l'attentat à Charlie Hebdo, sont alors cernés dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële au moment de cet appel téléphonique. Coulibaly répond : "Oui, on s'est synchronisés pour faire les opérations".
Le journaliste interroge aussi Coulibaly sur le nombre de personnes avec lui et on entend, à travers le combiné, le terroriste qui demande aux otages combien ils sont. Pendant cette conversation, on entend d'autres téléphones qui sonnent, apparemment d'autres combinés du magasin. "Il y a jusqu'à 1.300 appels, 600 la première heure" se désole l'enquêteur à la barre. Ce qui a considérablement compliqué le travail de la police, la ligne étant saturée. Le négociateur du RAID n'est d'ailleurs entré en contact avec le terroriste qu'après ce coup de fil-là. Et Coulibaly avait raccroché énervé, ne voulant plus dire s'il était lié à d'autres complices que les Kouachi, avouant juste qu'il avait visé cet Hyper Cacher car c'était un magasin juif. Dans son ordinateur, les enquêteurs ont d'ailleurs retrouvé d'autres adresses d'Hyper Cacher, dans le 16e et le 17e arrondissement de Paris, que le terroriste a donc aussi envisagé de cibler.
Le corps du terroriste, gisant sur le bitume
Puis, l'enquêteur fait projeter une image de l'assaut. Image de feu devant une porte arrière du supermarché où la BRI avait tenté d'attirer le terroriste, pendant que le RAID le visait par la devanture. Et le corps inerte du terroriste est montré, devant la cour d'assises spécialement composé. Il gît sur le bitume, devant l'Hyper Cacher. "Une vingtaine d'impacts de balles" résume le commissaire à la barre. Quand il a été abattu, Coulibaly portait un gilet pare-éclats - "même philosophie que le pare-balles" dit l'enquêteur - et un gilet tactique contenant des chargeurs pour les Tokarev et les fusils d'assaut. Dans la poche arrière du pantalon gris du terroriste, deux clés : celle de la Clio qui l'a amené jusqu'à l'Hyper Cacher, et celle de la moto Suzuki qu'il avait utilisée pour aller tuer à Montrouge la veille. Amedy Coulibaly avait aussi apporté avec lui, ce 9 janvier 2015, vingt bâtons de dynamite de cent grammes chacun. "S'ils avaient été utilisés, c'est un effondrement d'immeuble" rappelle ce commissaire de la section antiterroriste.
Puis lui succède l'élue qui fait parler d'elle depuis des jours à ce procès : Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris. Elle a été appelée à témoigner en vertu du pouvoir discrétionnaire de Régis de Jorna, président de la cour. Celui qui a demandé à la faire citer est un ex-adjoint à la mairie de Paris : Me Patrick Klugman, avocat de plusieurs otages de l'Hyper Cacher. Anne Hidalgo est officiellement venue à la demande de plusieurs associations : SOS Racisme, le CRIF et l'UEJF, l'Union des Étudiants Juifs de France. Mais sa présence dérange depuis des jours les avocats de la défense qui ne voient vraiment pas en quoi son témoignage va apporter une quelconque "manifestation de la vérité". Pour montrer ostensiblement leur désaccord, les avocats de la défense quittent à demi-bruyamment la salle, aux premiers mots de l'élue parisienne.
À la barre, elle raconte son 7 janvier 2015 : "je présentais mes vœux aux Parisiens, et à la fin, mon directeur de cabinet est venu me dire à l'oreille que des événements très graves se passaient au siège de Charlie Hebdo_". Anne Hidalgo détaille son arrivée devant les locaux du magazine._ Le procureur de la République François Molins, "livide", Patrick Pelloux qui s'effondre dans les bras de François Hollande. Elle parle des valeurs de la République et des victimes, cite leurs noms, dit que depuis cinq ans, Paris "a perdu sa légèreté". Un avocat des parties civiles, agacé de ce témoignage, lui demande si elle connaît le nom des onze accusés ici présents. Anne Hidalgo doit avouer que non, et elle ajoute qu'elle préfère retenir le nom des victimes. Dans son box vitré, Ali Riza Polat, le plus en verve de tous, s'écrie alors : "Ben qu'est-ce que tu fais là, alors ?" Demain, la cour entendra les témoignages des proches des victimes et des survivants de l'Hyper Cacher.