Idée sortie - l'exposition "Mode et BD", un mariage artistique à Angoulême
Par Anne Douhaire-Kerdoncuff
Quel est le point commun entre une feuille de vigne, un chapeau Chanel imaginé par Karl Lagerfeld, et le story-board d’un spot tourné par Luc Besson pour un célèbre parfum ? Les trois sont présents dans l’exposition "Mode et BD" à Angoulême. Ils témoignent des liens entre le 9e art et l’industrie créative du vêtement.
Dans un dessin de Blutch, quand la feuille de vigne qui cache le sexe d’Eve chute, c’est l’origine de la mode. Le chapeau conçu par Karl Lagerfeld, apparaît dans une page des Triplés de Nicole Lambert, une BD qui parait depuis trente ans dans Madame Figaro. Sa présence marque l’intérêt de la dessinatrice, ex-mannequin, pour les créations de stylistes. Mais cet accessoire de mode témoigne également du souci de réalisme dans le 9e art, y compris sur un sujet a priori frivole. Quant au story-board, c’est celui effectué par Manara pour la publicité de Numéro 5 de Chanel mettant en scène un Petit Chaperon Rouge sexy sur talons…

Des relations multiples entre bande dessinée et mode
Grâce à 200 documents réunis dans sa nouvelle exposition jusqu’au 5 janvier 2020, la Cité Internationale de la bande dessinée d’Angoulême rappelle combien ces deux secteurs se croisent et sont proches.
Parfois, c’est la BD qui s’inspire de la mode : à l’image d’une série comme Madila, dont la reproduction d’une planche colorée et muette mettant en scène un défilé accueille les visiteurs. Très documentée, la BD est signée d’une dessinatrice qui a d’abord travaillé dans la mode à Bruxelles. Chantal de Spiegeleer y raconte le choix des tissus, les couturières au travail, la préparation du défilé… La BD peut aussi s’emparer de l’art du vêtement pour s’en moquer : René Pétillon a publié en 1995 L’Affaire du Top Model , la onzième aventure de Jack Palmer sur fond de présentation de collections de haute couture. Le détective est, en l’occurrence, chargé de la protection d’une mannequin star…

La mode cherche des idées dans le 9e art
L’inverse est également vrai : la mode peut s’inspirer de la BD. Thierry Mugler a signé une collection inspiré par Cat Woman (une des premières super-héroïnes, rivale de Batman). Au costume présenté dans l’exposition ne manquent que les oreilles de chat ! C’est aussi Jean-Paul Gaultier qui a orné ses bouteilles de parfum avec des personnages de Popeye ou de Betty Boop. Castelbajac a griffé un sweat-shirt avec Mickey, et une jupe avec Snoopy…
Le commissaire de l’exposition, Thierry Groensteen, explique :
C’est générationnel : les créateurs de mode ont grandi avec le 9e art et, depuis 1968, s'en sont emparé.
Phénomène méconnu, il arrive que des dessinateurs travaillent directement pour la mode : Lorenzo Mattoti (dont neuf magnifiques pastels sont visibles dans l’exposition), Edgar P. Jacobs (employé par un catalogue de mode bruxellois dans les années 1930), ou Floc’h, ont participé à des catalogues, voire signé des couvertures de revues de mode… Floc’h s’est d’ailleurs représenté en costume de tweed très élégant sur l’une des cover de Monsieur (un bimestriel de mode masculine créé en 1920). Dupuy et Berbérian ont commis dans les années 1980 un portfolio pour Chantal Thomass. Un moyen de gagner sa vie très rémunérateur, mais le dessin de mode leur a offert aussi la possibilité de perfectionner leur art à leurs débuts…

Une BD dessinée par Yves Saint-Laurent
Les modistes sont souvent de grands dessinateurs (voir à ce sujet les sept magnifiques croquis de mode d’Yves Saint Laurent des années 1960 aux années 1980, présents dans l’exposition). Mais d’excellents dessins ne font pas forcément une grande BD. Yves Saint Laurent a ainsi publié en 1967 son unique bande dessiné, La vilaine Lulu, où une jeune fille a pour animal de compagnie un petit rat blanc. Si cet album - des saynètes à l’humour acide qui se moquent des conventions bourgeoises - n’est pas inoubliable, il est le signe que le 9e art faisait partie de l'imaginaire d'YSL.
A contrario, il existe aussi des personnages de BD totalement réfractaires à la mode : Bécassine et sa tenue de bonne bretonne, Tintin et sa culotte de golf, Corto Maltese et ses habits de marin… Leur costume est le véritable uniforme qui permet de les identifier immédiatement.

Des images anciennes ou érotiques
L’exposition est l’occasion de découvrir des BD anciennes tirées du fonds du Musée d’Angoulême : Bring Up Father (La Famille Illico : le quotidien de Jiggs, un nouveau riche Irlandais-Américain qui vit son enrichissement simplement tandis que sa femme consomme) de George McManus ou des strips de Winsor Mc Cay. Dans Les cauchemars de l’amateur de fondue, le dessinateur américain se venge de façon humoristique de sa propre femme opulente, fan de mode et dépensière en vêtements.
A la fin de l’exposition, la partie "Plus près du corps" explore la BD érotique des maîtres italiens Nick Guerra, Roberto Baldazzini et Guido Crepax dans une "grande cabine" d'essayage aux murs rouges. Un festival de soie, dentelle, cuir et talons aiguilles, de la super-héroïne oubliée, Miss Fury, au bondage des Aventures de Gwendoline…
Chaque angle traité pourrait être une l’objet d’une exposition à lui tout seul, tant le sujet semble riche. Comme le reconnait Thierry Groensteen, cette plaisante exposition, deuxième du genre après celle du MOMA de New York ( qui était surtout centrée sur les comics), est un moyen d’ouvrir des pistes de recherches.
En attendant, elle est la preuve que la BD reste un miroir du monde.
Aller plus loin
- Pour voir l'expo : Mode et BD jusqu'au 5 janvier 2020 à la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, Musée de la BD à Angoulême.
- Lire aussi : Tintin, Kirby, Boucq, Marini, Sempé, Blake et Mortimer… Les expositions BD de l’été