"Il m’a poussée sur le lit" : une ex-mannequin affirme que Jean-Luc Brunel l’a agressée sexuellement

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"Il m’a poussée sur le lit" : une ex-mannequin affirme que Jean-Luc Brunel l’a agressée sexuellement

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Jean-Luc Brunel, en 1988, dans un documentaire de la chaîne américaine CBS.
Jean-Luc Brunel, en 1988, dans un documentaire de la chaîne américaine CBS.
- Capture d'écran CBS

À 19 ans, en 1988, l'Américaine Courtney Soerensen était mannequin à Paris pour l'agence Karin. Elle affirme avoir été victime de harcèlement et d'agression sexuelle de la part de Jean-Luc Brunel, à l'époque patron de l'agence. Il est par ailleurs soupçonné d'avoir procuré des jeunes filles à Jeffrey Epstein.

Les faits que Courtney Soerensen dénonce se seraient déroulés à Paris en 1988. Selon le récit détaillé et précis qu'elle nous livre, elle aurait été harcelée sexuellement pendant plusieurs semaines puis agressée sexuellement lors d’une soirée à Paris, par Jean-Luc Brunel qui était alors le directeur de l’agence Karin Models pour laquelle elle travaillait. Une enquête de la cellule investigation de Radio France.

VIDÉO - Le témoignage de Courtney Soerensen

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Un premier contact inquiétant 

En 1988, Courtney Soerensen a 19 ans. Elle est fiancée à un Américain et vient de remporter un concours local en Pennsylvanie avant d'être repérée par une agence de mannequins new-yorkaise, IMG. Cette même année 1988, elle est envoyée à Paris pour les défilés. 

J'arrivais de ma petite ville en province, et devenir mannequin à New York était mon rêve. Alors voyager à Paris, c'était encore plus excitant ! J'étais tellement heureuse !

Arrivée à Paris, Courtney Soerensen travaille alors pour l'agence Karin Models, sous la direction de Jean-Luc Brunel. Elle est logée par l'agence Karin dans un petit deux-pièces avec un mannequin belge. Elle paye un loyer de 500 dollars (en 1988) par mois. 

J'ai très vite rencontré Jean-Luc à l'agence, puis j'ai reçu mon planning établi par l'agence. Je n'ai pas remarqué tout de suite que de nombreux rendez-vous notés sur mon agenda n'avaient rien à voir avec le travail de mannequin. Ce n'était pas non plus des événements mondains habituels. Ils apparaissaient sous les termes "déjeuner", événements tardifs, fêtes etc.

A l'agence, on lui explique tout de même que ces événements sont d’ordre professionnels. 

Il y avait un groupe d'hommes d'affaires français, des quarantenaires. C'est avec eux qu'on devait déjeuner, en tête-à-tête. Cela n'avait rien à voir avec le travail. On attendait clairement de nous qu'on ait une relation sexuelle avec eux.

Un malaise dès le début 

Courtney Soerensen dit s'être souvent sentie mal à l'aise, dès le début, en présence de Jean-Luc Brunel. Elle raconte : 

Dans son bureau, il me demandait de soulever ma chemise. Ou encore de me mettre en sous-vêtements. Et ce n'était pas normal dans la situation où nous nous trouvions à ce moment-là.

Première soirée : les propositions 

Courtney Soerensen nous raconte s'être rendue à une fête au domicile de Jean-Luc Brunel, avenue Hoche, dans le huitième arrondissement de Paris. Il est d'ailleurs toujours domicilié à cette adresse. 

Lors de cette soirée, le directeur de Karin Models propose à Courtney Soerensen de lui faire visiter son appartement afin de lui montrer ses œuvres d'art. 

Nous étions cinq ou six mannequins à cette fête. Pendant cette visite, nous nous sommes retrouvés seuls dans un bureau. Il m'a alors parlé des choses que je pouvais faire pour que ma carrière progresse, rencontrer ses amis. Plus j'irais loin avec eux, plus ma carrière progresserait.

Courtney Soerensen affirme lui avoir dit clairement qu'elle n'était pas intéressée.  

Deuxième soirée : l'agression 

Lors d'une deuxième fête toujours au domicile de Jean-Luc Brunel, le patron de Karin Models adopte un ton encore plus insistant, selon Courtney Soerensen.  

Jean-Luc était très énervé car je l'avais rejeté à plusieurs reprises et j'avais rejeté toutes les avances faites par ses amis.

Selon elle, Jean-Luc Brunel lui aurait proposé de lui montrer de nouvelles œuvres d'art récemment acquises, mais aussi des unes de magazine. 

Nous nous sommes retrouvés dans sa chambre. Il m'a montré une affiche de Miss Univers, puis m'a parlé de ses multiples contacts au Japon. Il se rapprochait de plus en plus de moi, m'a touchée de partout. Je me suis écartée.

Elle affirme que Jean-Luc Brunel lui a alors dit qu'il devait lui apprendre à "distraire ses amis". Il fallait qu'il s'assure qu'elle était "douée" pour pouvoir ensuite l'envoyer à ses amis et lui trouver les meilleures opportunités de carrière. 

Tout à coup, il a tenté de m'attirer sur le lit, j'ai résisté en lui disant que je n'étais pas intéressée. Je lui ai rappelé que sa femme était dans le salon. Il a commencé à arracher ma chemise. Il m'a poussée sur le lit. J’ai résisté, il a persisté. J'ai réussi à le repousser et me suis enfuie de la chambre.

"Si vous refusez, vous n'avez plus de boulot" 

Après l'épisode de la chambre à coucher, Courtney Soerensen se remémore : 

J'ai eu de moins en moins de contrats, presque plus de séances photos. J'ai raconté à mes employeurs à New York ce qui s'était passé. Ils m'ont juste répondu que ça faisait partie des habitudes dans le milieu, qu'il ne fallait pas s'inquiéter.

Après deux ou trois semaines, à force d'incidents, Courtney parvient à changer d'agence, mais se souvient d'un événement troublant : 

Un membre de ma nouvelle agence, Company, est venu me chercher la nuit dans l'appartement. Il m'a mise dans un appartement à eux, et m'a dit de rester là pendant trois jours, et de ne pas me faire remarquer, le temps qu'il négocie avec Karin Models et Jean-Luc Brunel. Car quand vous étiez mannequin, vous étiez redevable envers Karin. Vous deviez payer votre loyer tous les mois et si vous ne gagniez plus d'argent, les choses se compliquaient.

Courtney Soerensen a travaillé en Europe pendant environ un an et demi pour sa nouvelle agence. Elle affirme avoir croisé Jean-Luc Brunel à plusieurs reprises. Il l'aurait "toujours évitée". 

Un témoignage qui en corrobore d'autres 

Courtney Soerensen n'est pas la première à décrire des agressions sexuelles qui auraient été commises par Jean-Luc Brunel. Dès décembre 1988, lors d'un reportage sur CBS dans l'émission 60 minutes, deux mannequins témoignent anonymement. L'une révèle que de la drogue aurait été versée dans son verre lors d'une fête chez Jean-Luc Brunel. Elle serait parvenue à quitter l'appartement mais serait restée désorientée pendant 24 heures. 

L'autre mannequin affirme quant à elle avoir été droguée et violée par Jean-Luc Brunel chez lui également. Elle se souvient s'être retrouvée dans le lit de Brunel, et se dit sûre d'avoir été violée. Elle déclare également que "beaucoup de gens savent ça au sujet de Jean-Luc". 

L'avocat de Jean-Luc Brunel dément 

Le parquet de Paris a ouvert le 23 août 2019 une enquête pour viols et agressions sexuelles, notamment sur mineures, dans le cadre de l'affaire Epstein.  

Trois dépositions ont été faites auprès de la police fin août et début septembre 2019, comme l'a révélé Mediapart. Nous avons tenté de joindre Jean-Luc Brunel à plusieurs reprises pour une interview ou un commentaire. À ce jour, il n’a pas donné suite à nos demandes. Mais Joe Titone son ex-avocat, que nous avons pu joindre, nous a précisé : "Jean-Luc a toujours nié avoir eu le moindre geste déplacé envers les femmes, et il a toujours nié avoir été impliqué dans les actes sexuels répréhensibles d‘Epstein. Ils étaient amis mais il m’a toujours dit qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’il faisait avec des mineures.

Quant à savoir où se trouve Jean-Luc Brunel aujourd’hui, il ajoute : "Il m’a appelé la semaine dernière. Il m’a dit qu’il avait le moral et qu’il allait bien. On a dit qu’il était en Amérique du Sud, mais je ne pense pas que ce soit vrai. S’il est quelque part, c’est plutôt en Thaïlande. Il a un ami là-bas."