"Il me frappait avec tout ce qui lui tombait sous la main" : trois victimes de violences conjugales témoignent
Par Sophie Parmentier
À l'occasion du Grenelle des violences conjugales qui débute ce mardi, France Inter est allée à la rencontre de femmes qui ont vécu l'enfer des coups donnés par les hommes qu'elles aimaient. Jeanne, Linda et Mélanie n'avaient encore jamais osé raconter leur histoire.
Comment endiguer le fléau des violences conjugales ? Alors que le gouvernement lance ce mardi son "Grenelle", qui s'achèvera le 25 novembre 2019, France Inter donne la parole à trois femmes qui, longtemps, se sont tues. Leurs témoignages sont saisissants :
Jeanne : "Il me frappait avec tout ce qui lui tombait sous la main"
Sur son visage, les marques des coups sont encore visibles. De vilaines cicatrices, stigmates de la violence qu’elle a subie pendant vingt ans. Elle en a beaucoup d’autres encore, cachées par ses vêtements. "Il me frappait avec tout ce qui lui tombait sous la main, n’importe où sur le corps. Et au niveau du visage, c’était pour frapper des endroits où on peut être moins jolie", dit-elle, en se tordant les mains, stressée de raconter une histoire qui lui fait encore tellement mal. La première gifle est arrivée au bout d’un an de concubinage. Puis les insultes : "grosse pute", "salope", "bonne à rien". Puis les premiers "coups de boule", jusqu’aux séjours à l’hôpital : "Il m’a fait deux traumatismes crâniens".
Elle préfère ne pas dire comment elle s’appelle, de peur que son ex-concubin la reconnaisse. Nous l'appellerons Jeanne. Il la terrorise encore, la traque comme une proie, ainsi que leurs trois enfants. C’est pourtant lui qui les a mis à la porte un jour de colère, raconte Jeanne. Auparavant, elle avait essayé de quitter le domicile conjugal plusieurs fois, en vain.
Quand il nous a mis dehors, on a trouvé une autre maison avec mes fils ; pendant des mois, il nous a embêtés, la nuit, le jour. Même au collège, au lycée des enfants. Il est aussi venu me frapper, à mon travail, et m’a menacée.
Il y a des menaces de mort :"Je vais te tuer et me suicider". Inquiète pour elle et pour ses enfants, Jeanne est allée plusieurs fois à la gendarmerie, pour lancer des appels au secours. Mais dans sa petite bourgade, elle estime que les gendarmes étaient des "machos". Ils ne l’ont pas crue. Quand elle revenait trop souvent à la brigade, "ils me disaient de prendre une carte d’abonnement". Elle a fini par écrire à un procureur, qui l’a reçue, écoutée, et a ouvert une enquête, confiée à une autre gendarmerie. Son ex-compagnon s’est alors retrouvé jugé en comparution immédiate, incarcéré quelque temps. Depuis qu’il est sorti, même s’il a interdiction de l’approcher, il continue malgré tout à l’effrayer, en rôdant dans sa rue, au pied de chez elle. Jeanne vient donc d’obtenir un TGD, un "téléphone grave danger".
C'est un téléphone d’urgence qui la relie désormais directement à la police et à la gendarmerie. En cas de danger soudain face à son ex-mari, une patrouille peut être envoyée rapidement pour la sauver. Ce téléphone lui a été donné pour six mois, puis la justice réévaluera sa situation. Pour l’instant, elle se sent rassurée, mais encore profondément traumatisée par toutes ces années de violences, durant lesquelles elle n’a pas réagi, car son ex-mari l’avait isolée de tous ses proches. Elle voudrait que le Grenelle qui s’ouvre change enfin le regard sur les femmes battues. Ne plus se sentir jugée parce que pendant longtemps, elle n’a pas réussi à fuir son bourreau.
Il avait lui-même été victime de violences, petit, et je me suis dit longtemps, que j’allais l’aider. J’avais toujours l’espoir qu’un jour, ça s’arrêterait.
Linda : "Je ne me faisais jamais soigner car j’avais peur qu’on me demande comment je m’étais fait ça"
Linda a 42 ans, de jolis yeux gris-bleus, et de très longs cheveux noués en chignon. Son ex-mari violent lui interdisait de les laisser détachés. "Voyez, je continue à les attacher", réalise-t-elle, trois mois après avoir fui son mari-bourreau.
Elle l’a connu, il y a quelques années, alors qu’elle avait déjà deux autres enfants, adolescents, qu’elle élevait seule. Elle est tombée éperdument amoureuse de lui. Ils se sont mariés vite. Et rapidement, elle est tombée enceinte. La violence a presque aussitôt commencé : "Suite à une dispute, je suis sortie du logement et là, il est venu me récupérer dans la rue en en me tirant les cheveux, et ensuite, il m’a fait tomber à terre". Ça a été le premier coup. Et puis il y a eu les premiers mots, violents :
Il m'a dit "Tu vois, cette enfant, c’est une enfant de pute. Ce sera une mini-pute". Cette phrase résonne encore en moi. J’ai toujours peur de l’impact que ça peut avoir sur ma fille.
Linda est restée parce qu’elle "l’aimait beaucoup". Tout le monde l’aimait d’ailleurs, cet homme aux deux visages. On disait souvent à Linda qu’elle avait de la chance d’avoir trouvé un mari si gentil : "Les voisins ne soupçonnaient pas ce qu’il me faisait vivre". Sa famille non plus, car il l’a coupée des siens, pour mieux l’isoler, comme dans tant d’autres histoires de femmes battues.
Longtemps, elle a cru qu’il avait "un problème", qu’il avait "besoin de se faire soigner", et qu’elle allait l’aider. Longtemps, elle a espéré que les coups allaient s’arrêter. Ils ont eu ensemble une deuxième petite fille. Les coups ont continué. Linda les encaissait : "Je ne me faisais jamais soigner car j’avais peur qu’on me demande comment je m’étais fait ça". Souvent Linda boitait. Souvent, elle disait qu’elle s’était tordu la cheville. Souvent, elle pleurait de douleur aussi, chez elle. Et elle disait à ses petites filles qu’elle avait mal à la tête.
Un jour de 2017, à bout, elle a déposé une première main courante, mais est retournée vivre avec son mari violent, ne sachant pas où aller avec ses enfants.
C’est un dimanche de mai 2019 que tout a basculé. Ce jour-là, sa fille aînée, devenue jeune adulte, devait venir lui rendre visite, à l’heure du déjeuner. Toute heureuse, Linda a commencé à cuisiner. Furieux, son mari a craché dans le repas qu’elle préparait, puis il est devenu fou. Il l’a frappée, poussée dans l’escalier, frappée encore alors que leurs deux petites filles, de deux ans et trois ans et demi, étaient dans une pièce voisine. Quand Linda est réapparue devant ses enfants, la plus grande lui a demandé ce qu’elle avait sur la lèvre :
Je me suis retournée, dans un miroir, j’ai vu le sang couler, c’est la première fois que mes enfants voyaient du sang.
Pour Linda, ça a été le déclic. Elle a réussi à s’enfuir avec ses filles chez une voisine, a appelé la police qui est rapidement arrivée. Depuis, Linda et ses filles sont dans un hébergement d’urgence, protégées par une association : "Quand je suis arrivée ici, j’ai compris que j’avais quitté l’enfer".
Le témoignage de Linda, 42 ans.
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Mélanie : "C’est quand il a perdu son emploi que ça m’est retombé dessus"

Mélanie a 36 ans. Cinq enfants, aujourd’hui placés. Ce sont ses aînés, de 13 et 11 ans, qui l’ont suppliée un jour de quitter la maison où leur père les frappait tous. "Maman, si tu pars pas, on va partir tout seuls. Il va finir par te tuer". Mélanie raconte son histoire, la gorge serrée. Sa propre enfance d’enfant martyrisée par un père qui l’a violée quand elle avait douze ans, dit-elle. À 17 ans, elle a rencontré son mari. Très vite, un premier enfant est né. Les coups ne sont pas tombés tout de suite. "C’est quand il a perdu son emploi, que ça m’est retombé dessus", explique-t-elle.
C’est le début des insultes, chaque jour : "une traînée", "une salope", "une moins que rien", "indigne d’être une mère". Mélanie n’avait presque plus le droit de sortir de la maison. Quand elle sortait faire des courses, il l’accusait d’aller se "faire baiser derrière l’église".
La violence verbale fait plus de mal que les coups. Parce que les coups, ça disparaît, mais les paroles, elles restent.
Les coups, c’était "des coups de poing dans la figure, ou au milieu de l’estomac, des coups de pied, des menaces avec des couteaux de cuisine". Un jour, alors que Mélanie est en train de préparer le repas, son mari attrape la poêle brûlante. "Il me l’a explosée en pleine figure, devant le parrain de ma fille, qui n’a pas bougé". Le mari violent fait peur à tout le monde. Tout le monde s’est tu.
"Souvent, il me menaçait avec son fusil de chasse, devant les enfants". Au début, Mélanie a été l’unique souffre-douleur. Puis le mari violent est aussi devenu un père violent. Jusqu’à envoyer sa benjamine de deux ans à l’hôpital. "Souvent, quand les enfants ne voulaient pas finir leur assiette, il attrapait aussi la nourriture à la main et leur enfonçait dans la gorge. Quand ils entendaient leur père rentrer, les enfants allaient vite se cacher et faisaient semblant de dormir”, raconte leur mère, qui s’en veut terriblement aujourd’hui de n’avoir pu les protéger davantage.
Deux fois, Mélanie a essayé de quitter l’infernal domicile conjugal, mais elle n’a pas su où aller. Et puis elle se disait qu’il restait malgré tout "le père de mes enfants". Jusqu’à ce que ses enfants lui disent qu’il fallait partir. "Ça a été l’élément déclencheur", reconnaît-elle. C’est souvent le cas, disent les policiers. Les femmes battues encaissent souvent la violence, mais finissent par la fuir pour protéger leurs enfants.
Aujourd’hui, Mélanie est hébergée dans une association qui l’a "sauvée", l’ association Agena, à Amiens. Là-bas, elle est écoutée par des psychologues, aidée par des travailleurs sociaux qui l’entourent pour construire une nouvelle vie, autonome. Mélanie rêve de retrouver un jour la garde de tous ses enfants et de vivre avec eux dans une grande maison où ils seraient heureux. "Je reconnais que ma vie a été un calvaire mais, maintenant, c’est derrière. C’est derrière", répète Mélanie, en regardant jouer ses enfants.
Le témoignage de Mélanie, 36 ans, mère de cinq enfants.
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