"Il n'y a pas de dossier qui résiste à une bonne enquête" : Corinne Herrmann, l'avocate des cold case
Par Corinne Audouin, Sara Ghibaudo, Lucie LemarchandUNE SEMAINE DANS LEURS VIES. Depuis plus de vingt ans, elle se bat, aux côtés de Didier Seban, pour que la justice n'enterre pas les dossiers de crimes ou de disparitions. C'est à leur persévérance que l'on doit la création du pôle judiciaire dédié aux crimes en série et non élucidés.
Ce 1er mars, le tribunal judiciaire de Nanterre inaugure un tout nouveau pôle judiciaire, entièrement consacrés aux crimes en série et non élucidés. A sa tête, la juge Sabine Khéris, qui avait repris l'affaire de la disparition d'Estelle Mouzin, et fait parler le tueur en série Michel Fourniret et son épouse Monique Olivier. Deux autres juges la rejoindront en septembre. Jusqu'à présent, la France était à la traîne pour résoudre ces affaires : aucun juge n'avait en effet la possibilité de travailler sur plusieurs crimes commis par un même auteur. Deux avocats sont à l'origine de cette innovation judiciaire : Didier Seban et Corinne Herrmann. Ensemble, ils travaillent depuis plus de 20 ans sur ces affaires, aux côtés des victimes. Ils se sont rencontrés en 2001, avec l'affaire des disparues de l'Yonne. Depuis, ils sont devenus "les avocats des oubliés"*, notamment du père d'Estelle Mouzin. Remuant ciel et terre pour faire rouvrir les dossiers, interroger les suspects, et même changer les lois.
Episode 1 : Le bureau des fantômes
Il faut prendre un long couloir recouvert de moquette sombre pour entrer dans le bureau de Corinne Herrmann. D'emblée, on est frappé par les photos et les cartes qui peuplent les murs. On reconnait le visage d'Estelle Mouzin, et aussi de la première victime du "Grêlé", ce tueur en série qui a longtemps échappé à la police. Des "disparus de l'Isère", aussi, ces enfants tués ou disparus, dans les années 80, autour de Grenoble. Corinne Hermann n'a pas peur de ces visages, qui lui rappellent pourquoi elle travaille : "ces victimes, elles ne sont plus là, et c'est cette émotion qui me permet d'avancer", dit-elle. Certains collègues ou enquêteurs, eux, n'arrivent pas à franchir le seuil de sa porte. Et malgré ses efforts, aucune plante ne consent à pousser dans son bureau.
Épisode 1 : Le bureau hanté
4 min
Episode 2 : Sur la trace des tueurs
Sur les murs du bureau de Corinne Herrmann, il y a aussi des cartes. Avec des épingles de toutes les couleurs, et parfois, des fils de laine qui les relient entre elles. Ce n'est pas pour faire joli, mais pour suivre "ses" séries criminelles. Cela peut être une série de meurtres ou de disparitions commises dans une région précise. Ou le relevé des crimes attribués à un même auteur. Et la mort de celui-ci n'empêche pas l'avocate de continuer à chercher. Elle suit, par exemple, la piste du "Grêlé". "J'avais besoin de localiser ses déplacement, où il avait 'tapé', comme on dit dans le métier. Parfois, le mode opératoire sort juste de cette observation", dit-elle. "Des personnes nous appellent, pensant qu'elles ont pu être victimes du Grêlé, donc on va essayer de travailler là dessus." C'est la méthode de Corinne Herrmann : travailler sur des affaires non résolues en parallèle des parcours de criminels identifiés.
Épisode 2 : Suivre les tueurs
4 min
Episode 3 : "Mes 62 dossiers, c'est 62 affaires qui peuvent être résolues"
Le ministère de la Justice a annoncé que 241 affaires non résolues allaient être confiés aux juges spécialisés du nouveau pôle. Beaucoup de ces "cold cases" sont suivis par le cabinet de Didier Seban et Corinne Herrmann. Les deux avocats militaient pour sa création depuis des années, et ont réussi à convaincre le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti de l'intégrer dans sa "loi renforçant la confiance dans l'institution judiciaire", promulguée en décembre 2021. Avec sa stagiaire, l'avocate entreprend de compter "ses" dossiers... Et il y en a beaucoup. À chaque fois, ces affaires, parfois vieilles de 30 ans, illustrent les dysfonctionnements de la justice. "Les juges n'ont pas le temps de lire ces dossiers", explique Didier Seban. Pour enquêter sur la disparition d'Estelle Mouzin, neuf juges d'instruction se sont succédés depuis 2003.
Épisode 3 : Un espoir pour les familles
5 min
Episode 4 : Les avocats des oubliés
Rien ne les destinait à former ce duo d'avocats inséparables depuis plus de 20 ans. Didier Seban, cheveux noirs, œil rieur et verbe haut, dirige un cabinet spécialisé, notamment, dans la défense des collectivités locales. Corinne Herrmann, longs cheveux roux, toujours habillée de noir, a d'abord étudié les Arts décos et le droit. Juriste en entreprise, elle entre en 1995 dans un cabinet d'avocats pénalistes, un peu par hasard. Et se retrouve au contact de plusieurs tueurs en série : le cabinet défend Pierre Chanal (l'affaire des disparus de Mourmelon) et le "routard du crime", Francis Heaulme. La passion pour ces affaires ne va plus jamais la quitter. Elle rejoint le cabinet de Didier Seban en 2001 pour travailler, cette fois, aux côtés des familles des disparues de l'Yonne. Ils n'imaginaient pas que ce serait le début d'un très long combat auprès de ceux qu'ils appellent "les oubliés".
Épisode 4 : Une collaboration de 20 ans
4 min
Episode 5 : Retrouver Charazed
La création de ce pôle judiciaire, c'est une vraie chance pour certains dossiers très anciens, comme l'affaire des disparus de l'Isère. Plusieurs enfants disparaissent, dans les années 80, autour de Grenoble. Certains sont retrouvés morts, un garçon a survécu, d'autres n'ont jamais été retrouvés. Comme la petite Charazed : elle avait 10 ans quand elle a disparu, au pied de son immeuble, à Bourgoin-Jallieu. C'était le 8 juillet 1987. Corinne Herrmann représente sa sœur, Férouze Bendouiou. Elle avait un an de plus que Charazed. Elle n'a jamais lâché, et malgré d'intenses moments de découragement, elle continue de chercher ce qui est arrivé à sa sœur. Corinne Herrmann en est persuadée : même 35 ans après, on peut encore résoudre cette affaire.
Épisode 5 : L'affaire Charazed
4 min
*"Nous, avocats des oubliés", par Corinne Herrmann et Didier Seban, est paru chez JC Lattès