Impôt mondial minimum : "C'est un changement fondamental", juge Pascal Saint-Amans (OCDE)
Par Frédéric Barreyre, Xavier Demagny
Le G7 Finances a annoncé un accord sur un impôt mondial minimum de 15 % et une meilleure répartition des recettes fiscales provenant des multinationales. Il s'agit là d'"une question de justice", juge Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE.
Les ministres des Finances du G7 ont annoncé samedi un accord "historique" sur un impôt mondial minimum ("au moins 15%") et une meilleure répartition des recettes fiscales provenant des multinationales, particulièrement les géants du numérique, à l'issue d'une réunion de deux jours à Londres. Les grandes puissances du G7 (Royaume-Uni, France, Italie Canada, Japon, Allemagne, États-Unis), profitant d'un regain d'intérêt de l'administration américaine sur la question depuis l'arrivée au pouvoir de Joe Biden, veulent parvenir à une réforme mondiale de l'impôt sur les sociétés dans l'esprit des travaux engagés au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Cet accord est "une étape historique" dans le "combat" contre "l'évasion et l'optimisation fiscale", a salué le ministre français de l'Économie Bruno Le Maire. Il vise notamment les grandes entreprises de la technologie, souvent américaines, qui paient des impôts dérisoires malgré des profits considérables en se domiciliant dans des pays où le taux d'impôt sur les sociétés est très faible, voire nul. Le géant américain des réseaux sociaux Facebook a réagi en espérant que "la réforme fiscale internationale réussisse" même si "cela pourrait signifier que Facebook paye plus d'impôts et dans différents endroits". Pour Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, nous voilà "à la veille d'un changement fondamental", dit-il à France Inter, invité du journal de 13 heures dimanche.
FRANCE INTER : En quoi cet accord est-il historique ?
PASCAL SAINT-AMANS : Cela fait trente ou quarante ans que notre mondialisation permet aux entreprises de placer leurs profits très largement où elles veulent, à savoir dans des paradis fiscaux et qu'on n'a pas eu de régulation de la mondialisation. Suite à la crise financière de 2008, le G20 s'est réveillé, il a d'ailleurs été établi à ce moment là, on a commencé à mettre fin aux paradis fiscaux en s'attaquant à la fin du secret bancaire. Mais la taxation des multinationales était un chantier qui n'était pas fini. Là, le G7 dit qu'on va y mettre fin en mettant un plancher.
Les bénéfices des entreprises multinationales réalisés à l'étranger, qui sont aujourd'hui exonérés car censés être taxés à l étranger, comme on voit qu'ils n'y sont pas, on les soumettra à un impôt minimum d'au moins 15 %.
Cela veut donc dire que le monde post-pandémie peut être plus juste ?
C'est le monde post-crise financière de 2008 et post-pandémie encore plus, qui doit être plus juste. C'est intéressant parce que le président Biden, aux États-Unis, en a fait l'une de ses premières priorités, à savoir réconcilier les classes moyennes avec la mondialisation. Et je crois que c'est cette régulation fiscale de la mondialisation, faire en sorte que les pays qui sont souverains d'un point de vue fiscal, cèdent les uns les autres pour mettre en place un plancher est une question de justice, pour réconcilier les classes moyennes avec la mondialisation. Il n'y a pas de raisons que des personnes physiques payent beaucoup d'impôts et que les multinationales puissent s'arranger pour en payer peu.
Cet accord tombe au bon moment : les pays sont en train de sortir de la crise sanitaire mais avec une énorme dette Covid. Combien cet accord peut-il rapporter ?
"Au niveau mondial, cela rapportera plus de 150 milliards de dollars. Pour la France, on est sans doute aux alentours de 4 à 5 milliards. C'est quelque chose de très significatif et au delà des montants qui sont importants, il y a cette question de justice. Et puis, cet accord comprend un autre volet qui a fait l'objet de beaucoup d'attention au cours des quatre dernières années, car ceci est l'aboutissement de sept ans de négociation assez dure.
C'est s'assurer que les entreprises du numérique et les autres, les entreprises qui sont les grands vainqueurs de la mondialisation, payent leurs impôts dans les pays où elles ont leurs clients.
De manière à ce que la France puisse récupérer plus de droits, d'imposer plus de profits des géants du numérique. Et ça fait aussi partie de l'accord qui a été validé hier."
Les 150 milliards dont vous parlez correspondent-ils au montant des stratégies d'optimisation et d'évasion fiscale des grandes entreprises et qui échappent au fisc du monde entier ?
"Nous avons estimé, il y a huit ans, que l'évasion fiscale était de l'ordre de 250 à 300 milliards. On a fait la moitié du chemin : en 2015, on a produit toute une série de changements qui ont été appliqués et qui ont réduit l'évasion fiscale des multinationales. Mais il en reste et, là, on s'attaque à la dernière étape."
Bruno Le Maire veut aller plus loin que le plancher des 15%. C'est possible ?
"Il faut de la volonté politique. Les Etats-Unis avaient dit 21%. Ils ont accepté qu'au niveau mondial, on fasse 15%. Donc il faut d'abord sécuriser le 15 %. Le Luxembourg a décidé de changer, mais l'Irlande est plus embêté. L'Irlande a un taux d'imposition de 12,5%, la Hongrie de 9%, la Bulgarie de 10%. En Europe, et chaque pays a un droit de véto sur les changements qui peuvent se faire dans l'Union, il va falloir se battre pour qu'il accepte un taux de 15 %, ce qui n'est pas évident. C'est la tâche qu'on a, jours et nuits dans les trois semaines qui viennent, car on a une réunion des 139 pays le 30 juin, avant de porter le résultat au G20 le 9 juillet à Venise et on espère un accord mondial d'ici là."
Facebook dit souhaiter que cette réforme fiscale réussisse. Qu'est ce que cela vous inspire?
"Ça fait huit ans qu'on y travaille, qu'on n'a pas toujours eu ce type de retours. Ils ont compris qu'il se passait quelque chose et qu'ils ne pourraient pas l'interrompre cette fois-ci. Donc prenons de façon très positive, il y a une sorte d'acceptation que les règles du jeu telles qu'elles existaient ne fonctionnent plus, qu'il fallait changer. On est vraiment à la veille de ce changement et c'est vraiment un changement fondamental cette fois ci."