INFO FRANCE INTER - Jean Nouvel attaque la Philharmonie en justice
Par Jean-Philippe Deniau
Le complexe musical parisien réclame à l'architecte 110 millions d'euros de pénalités en raison du retard pris par le chantier. Une facture que Jean Nouvel juge exorbitante et qui, selon lui, signerait la fin de son agence. Après des années de bataille, il porte plainte contre la Philharmonie.
Retards de chantier, modification de projet, frais de justice, etc. La construction de la Philharmonie, financée pour l'essentiel par l'État et la Ville de Paris, est un véritable gouffre financier. Estimé à 118 millions d’euros au stade du projet, le bâtiment inauguré en 2015 aura finalement coûté 386 millions d’euros.
Son architecte, Jean Nouvel, se voit aujourd’hui réclamer des sommes qu’il juge exorbitantes par l’association de la Philharmonie qui a pris la maîtrise d’ouvrage du complexe musical. Principalement une enveloppe de 110 millions d’euros correspondant aux pénalités de retard de ce chantier, entamé en 2009, achevé en 2015 et qui a été mis à l’arrêt pendant environ la moitié du temps.
Cette somme est jugée "absurde" par les avocats de l’architecte. Ils ont calculé qu’elle correspondait à l**’équivalent de plus de 2 500 années de retard** et qu’elle "entraînerait la disparition automatique de son association qui porte des projets à travers le monde et participe au rayonnement de l’architecture". Selon les informations de France Inter et du Monde, Jean Nouvel a donc décidé de porter plainte contre la Philharmonie pour concussion et favoritisme.
Une querelle ancienne
Cela fait des années que l’architecte et le maître d’ouvrage sont en guerre. En 2015 déjà, sur France Inter, Jean Nouvel avait dénoncé la situation qu’il porte aujourd’hui devant la justice pénale, s’estimant "évincé, ficelé et muselé" par la Philharmonie. Il lui reproche d’avoir repris elle-même la direction des entreprises en charge du chantier de construction, un an après le début des travaux, sans même l’en avoir informé.
Dans sa plainte, que nous avons pu consulter, Jean Nouvel accuse la Philharmonie d’avoir détourné ses plans sans l’en avoir informé, d’avoir réalisé plus d’un millier de faux en écriture, d’avoir produit une double comptabilité, et même d’avoir conclu avec les entreprises des accords secrets pour qu’elles restent solidaires en cas d’action judiciaire de sa part.
À travers cette plainte, l’architecte mène également un combat pour sa profession, devenue dit-il "le bouc émissaire des montages fautifs des projets publics et des fautes commises par les maîtres d’ouvrage au détriment de la qualité des réalisations et de la bonne utilisation des deniers publics".

"Incurie", "collusions" et "complaisance suspecte"
À la base de ce profond contentieux, il y a "des personnages publics et administratifs qui ont voulu s’enorgueillir d’être à l’origine d’un des plus beaux ouvrages de la planète", estime Me William Bourdon. "Mais ils ont masqué les coûts supplémentaires et les turpitudes dont ils se sont rendu responsables, et ils tentent de faire porter leur incurie et leurs collusions avec les entreprises sur le dos de l’architecte", dénonce l’avocat de Jean Nouvel.
"Mon client a tout entrepris pour trouver un accord mais face à cet acharnement à tenter de lui imposer le paiement de sommes folles, il s’est résolu à déposer plainte ", poursuit l'avocat, qui évoque toute une chaîne de silence et "de complaisance suspecte" entretenue par "le maître d’ouvrage, le promoteur (le groupe Bouygues), et même les pouvoirs publics qui ne sont pas intervenus".
"On est dans un thriller politico-financier" conclut Me Bourdon, "une histoire folle " au bout de laquelle se joue "l’anéantissement d’une des plus grands agences françaises au monde, d’un architecte star dont l’image a donné des ailes à ceux qui lui ont voulu la peau".