Un mardi de novembre au collège Pierre de Geyter, Saint-Denis. Des journalistes de France Inter sont venus échanger avec un public curieux.
Interclass' : le carnet de bord de Fanny Léonor Crouzet avec les collégiens de Saint-Denis (1/5)
"Les médias mentent, même BFM l’a dit. A la télé, ils ont dit que les attentats n’avaient pas existé", martèle un élève, sous les ricanements d’un de ses camarades. "Peut-être as-tu vu un reportage, une émission de BFMTV sur la théorie du complot après les attentats, et peut-être as-tu fait un raccourci ?", questionne sa professeure de Français assise sur un bureau, au fond de la classe. "Non, je ne crois pas. Ils l’ont dit", maintient l’élève, regard déterminé.
10h15 au collège Pierre de Geyter de Saint-Denis, en ce mois de novembre 2016. Deux semaines plus tôt, les élèves de la 3eC ont visité les locaux de la Maison Ronde et se sont essayés au micro avec un apparent plaisir.
Aujourd’hui, les mines sont plus concentrées qu'amusées. Les élèves réfléchissent sur le thème du jour : le métier de journaliste. Au fond de la classe, Iannis Roder, Maude Oudart et Gilles Gaigher, trois professeurs de la classe de 3e, observent leurs réflexions, les guident.
Emmanuelle Daviet, journaliste à l’initiative du projet, se tient debout, face à la classe. C’est la seconde année qu'elle intervient à ce collège dionysien. Elle est à l'origine de la création du projet à la suite des attentats de 2015. Sont également de l'aventure pour cette seconde saison d'Interclass' : Esther Maârek, chargée de la communication digitale de France Inter, et Fabienne Chauvière, journaliste scientifique. Toutes deux sont assises devant le tableau blanc.
"Alors, selon vous, en quoi ça consiste, être journaliste ?"
"Elles" et "nous"
Avec détachement ou curiosité, la grosse vingtaine d’élèves présents dans la classe lève les yeux vers le trio féminin. Sans pour l’instant piper mot. Du moins jusqu’à ce qu’Emmanuelle Daviet demande ce qu’est, ou devrait être, un journaliste. "Je pense qu’un journaliste ne devrait pas dire son avis quand il donne les informations… Moi ça me perd", juge Asma, au second rang. "Pourquoi choisir ce qui est dans le journal ? On ne peut pas dire tout ce qui se passe ?", demande une autre jeune fille. Les échanges sont riches, et l'intérêt de la classe vif à l'égard du métier. Dans des questionnaires distribués en début d'année, les élèves se sont exprimés sur leur vision du journalisme. L'un d'entre eux y voyait une éventuelle vocation, d'autres se montraient méfiant quant à la neutralité du journaliste. "Vous êtes libres de penser ce que vous voulez, personne ne juge ce que vous pourrez dire dans cette classe. Mais si vous avancez une idée, je voudrais des arguments", glisse Emmanuelle Daviet.
De fil en aiguille, la conversation s'oriente vers les origines du projet. Élèves, professeurs et journalistes discutent finalement des attentats. Les collégiens, très sensibles au sujet, participent activement au débat. A droite de la classe, un élève lève la main. "Abdeslam est innocent", assène-t-il. Et d'ajouter, d’un souffle quasi inintelligible : "Vous devez le libérer". Certains élèves sont choqués. D'autres rient, non sans nervosité, conscients qu'il s'agit de provocation. "Pourquoi penses-tu qu’il est innocent ?". "Parce qu’il n’était pas dans les voitures quand ils ont tiré", répond-t-il.
Le dialogue s'ouvre sur les raisons d'une telle affirmation. Les professeurs et les journalistes questionnent, échangent avec la classe. A la prochaine séance, les enseignants distribueront une dépêche AFP, choisie par Emmanuelle Daviet, qui détaille le trajet de Salah Abdeslam en Italie, en France, en Belgique. Est aussi décrite la sphère djihadiste à laquelle le terroriste appartient. Et puis l'impossibilité d'entendre une vérité de la bouche d'un homme enfermé dans le silence, derrière les barreaux de sa prison. Les questions des élèves lors de cette seconde séance sont nombreuses. Elles contiennent la volonté de comprendre ce qu'ils ont vu, entendu ou lu dans les médias les mois passés.
Au début de cette première séance, les trois journalistes étaient "Elles", les élèves étaient "Nous" et les professeurs des médiateurs attentifs. Au fur et à mesure du dialogue, ces trois groupes se muent en un seul "Nous".
► ECOUTER AUSSI | Interclass', c'est aussi une rencontre tous les dimanches matins avec les équipes qui participent au projet.