"J'ai été obligée" : Anna Karetnikova, militante pour les droits des détenus, a fui la Russie pour la France

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"J'ai été obligée" : Anna Karetnikova, militante pour les droits des détenus, a fui la Russie pour la France

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Une vue de Moscou et, au premier plan, du Kremlin, début février 2023.
Une vue de Moscou et, au premier plan, du Kremlin, début février 2023.
© AFP - Natalia KOLESNIKOVA

Elle est arrivée en France il y a quelques jours : Anna Karetnikova, qui défendait les droits des détenus dans les prisons russes, a été contrainte de fuire son pays. Elle ne pouvait plus exercer librement son métier.

Il y a encore quelques jours, Anna Karetnikova luttait au sein des prisons russes. Son travail : garantir les droits des détenus, leur procurer assez des médicaments, lutter contre les cellules surpeuplées. En pleine guerre en Ukraine, cette dernière, également membre de l'ONG Mémorial, a fui son pays, il y a seulement quelques jours. Son poste était pourtant tout à fait légal et reconnu par l'État, car elle travaillait pour l’administration pénitentiaire russe. Jusqu’au jour où l’un de ses supérieurs lui a fait comprendre que son activité gênait.

“J'ai été obligée de quitter la Russie parce que mes fonctions ont commencé à embêter le service fédéral de l'administration pénitentiaire. Alors ils m'ont promis plein de choses désagréables que je ne vais pas préciser, mais ils m'ont prévenue”, raconte-t-elle à France Bleu Alsace qui l’a rencontrée à son arrivée en France.

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Mise à l’écart par le FSB

“Ensuite le FSB a commencé à m'interroger”, poursuit-elle. “Et le jour suivant ils m'ont suspendue, et je ne pouvais plus aider les détenus. C’était pour moi une vraie douleur, parce que je m'étais dit ‘Tant que je pourrai travailler, malgré toutes les menaces, je travaillerai’.”

Sauf qu’Anna comprend qu'elle pourrait elle-même “se retrouver en cellule et cela aurait pu alourdir la tâche de ceux qui aident en ce moment des détenus politiques”. “Parce que la prison, c'est une bataille permanente pour se procurer de l'argent, des médicaments, de la nourriture. Donc j'espère sincèrement que je serai plus utile en liberté même à l'étranger que si j'avais fini en prison…”, témoigne-t-elle.

Des prison qui se remplissent

Avant de devoir quitter précipitamment son poste et depuis le début de la guerre en Ukraine, Anna Karetnikova explique avoir rapidement vu les prisons de son secteur se remplir. “Il y a de plus en plus de prisonniers arrêtés pour leurs opinions, beaucoup que je ne connaissais pas. Nous entrions dans une cellule, et nous voyions des prisonniers politiques qui étaient là parce qu'ils avaient écrit quelque chose sur internet ou un jeune homme qui a brûlé sa voiture en signe de protestation contre la guerre… Je ne savais même pas tout cela avant de rencontrer ces gens.”

Cette dernière dit ne plus reconnaître son pays. “Ce n'est plus du tout le même pays qu'il y a encore quelques années et, même s’il en prenait le chemin, nous ne pouvions pas nous y attendre, on ne pouvait pas s'attendre à la guerre et, surtout, ce qu'il se passe maintenant, on ne l'a pas vu venir.”

La guerre, un sujet tabou

Signe d'une tension toujours plus forte, même entre collègues, au sein de l'administration, il était devenu difficile d'évoquer la guerre en Ukraine, raconte Anna Karetnikova. “Beaucoup ont peur de parler. Mais il est difficile d'éviter complètement le sujet, et les gens réagissent différemment”, dit-elle. “Tous ne sont pas satisfaits du tout, loin de là. Certains ont peur, d'autres sont pour la guerre, d'autres habitent dans le monde de la propagande…”, poursuit Anna. “Je leur ai demandé, ‘Mais qui vous a attaqué ?’, ‘Ben eux’, ils m'ont répondu. ‘J'ai dit, c'est qui eux ?’ ‘Ben le monde entier’.”

En revanche, Anna Karetnikova assure n’avoir jamais été témoin de tortures dans les prisons russes où elle travaillait. Elle espère pouvoir continuer à aider les détenus russes depuis l'étranger sans pour l’instant savoir de quelle manière. “Mon expérience des prisons peut être utile…. Je vais réfléchir.”