Jean-Marie Gustave Le Clézio sur le Liban : "J'y pense comme un pays secret, inscrit dans mon cœur"
L'écrivain franco-mauricien était l'invité de l'émission "Boomerang" ce matin. Au micro d'Augustin Trapenard, Jean-Marie-Gustave Le Clézio a lu un texte inédit sur le contexte difficile qui règne actuellement au Liban. Ces mots, il a souhaité les dédier à son homologue Charif Majdani.
À l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage Dans Le flot de la poésie continuera de couler (dans lequel Jean-Marie Gustave Le Clézio nous emporte pour un voyage, oh combien mirifique, à travers la beauté universelle de la poésie chinoise remontant à l'ère de la dynastie Tang), il est venu partager avec nous les vertus d'une écriture composant avec la poésie orientale.
Il raconte combien elle procure une certaine éternité du rêve et permet de concevoir le monde avec une plus grande compassion. C'est nourri de cette âme poétique qu'il a tenu, pour sa carte blanche, a écrire un texte sur le Liban - texte qu'il a souhaité dédier à l'écrivain libanais Charif Majdalani.
La carte blanche de l'écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio dans Boomerang
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Je pense au Liban. Je pense à Beyrouth.
"J'y pense non comme à des lieux étrangers, exotiques, merveilleux rivages de la Méditerranée, montagnes neigeuses, forêts de cèdres et déserts, route des peuples de la mer et des Nomades, des palais de Tyr et les temples de Baalbeck, la porte de Palmyre.
J'y pense comme un pays secret, inscrit dans ma mémoire, dans mon cœur, un pays où je compte des amis, des parents, des ancêtres, presque.
Et maintenant, ce pays est détruit. Il a résisté aux bombes incendiaires, aux attentats, aux règlements de comptes, à l'invasion des ennemis, aux anathèmes des factieux.
En été 1986, je voyais les cendres tomber du ciel dans la mer à Nice, et c'était comme si la destruction de Beyrouth arrivait jusqu'à moi. Mais Beyrouth a résisté, elle s'est relevée de ses cendres.
Et aujourd'hui, Beyrouth est détruite par trois malédictions conjuguées : la corruption des politiques, l'épidémie du Covid-19 et la catastrophe qui s'est produite en août 2020, quand des tonnes de nitrates oubliées dans un hangar ont explosé sur le port.
Je pense à Beyrouth comme je l'ai connue il y a dix ans, aux petites rues d'Achrafieh, aux musées, aux vieilles demeures, au palais de Saïda, aux vagues qui se brisaient sur les rochers.
J'y pense comme si cela devait continuer d'exister, comme si la violence et le désastre ne pouvaient rien effacer. Je pense à ceux que j'aime. Je pense au voyageur, à Nerval, je pense au poète Gibran, à Adonis, à Fady Stephan, à Alexandre Najjar, à Vénus Khoury-Ghata. Je pense à la voix sublime de la grande chanteuse Fairuz et c'est l'image qu'écrit Charif Majdalani dans son journal Beyrouth 2020, qui me vient parce que c'est une image très belle, très simple, et qu'elle parle pour l'éternité - ce qu'il en reste. La canette de fer blanc vide qui roule le long de la chaussée, poussée par le vent, devant le café où les Beyrouthins inconsolables, obstinés et moqueurs continuent de regarder passer le temps".
Aller plus loin
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