"Juste la fin du monde" de Xavier Dolan : l'avis du Masque et la Plume

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"Juste la fin du monde" de Xavier Dolan : l'avis du Masque et la Plume

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Détail affiche Juste la fin du monde
Détail affiche Juste la fin du monde
© Radio France - Xavier Dolan

Avec les critiques Danièle Heymann (Marianne), Michel Ciment (Positif), Pierre Murat (Télérama) et Jean-Marc Lalanne (Inrockuptibles) et Jérôme Garcin (L'Obs, et France Inter)

Écoutez l'extrait du Masque et la plume consacré au film de Xavier Dolan :

Juste la fin du monde au Masque et la plume

12 min

Jérôme Garcin

J’ai eu du mal à être ému

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Juste la fin du monde de Xavier Dolan a reçu le Grand prix au Festival de Cannes avec un casting 100% français : Nathalie Baye, Léa Seydoux, Vincent Cassel, et Marion Cotillard. Le film est l’adaptation de la pièce de Jean-Luc Lagarce qui est mort en 1995 du sida à 38 ans. Cette pièce est entrée en 2007 au répertoire de la Comédie française. Le texte vient de reparaître aux éditions Les Solitaires intempestifs.

L’histoire est très simple : un fils, Louis, joué par Gaspard Ulliel, qui après 12 ans d’absence revient dans son ville natal pour voir sa famille et l’informer de sa mort prochaine.

Louis est écrivain et homosexuel. Son retour va évidemment faire resurgir avec violence d’anciens traumatismes, et des secrets bien sûr.

C’est une famille sans père, mais avec une mère jouée par Nathalie Baye très maquillée, la sœur Léa Seydoux, le frère très brusque, c’est Vincent Cassel et la pièce rapportée, c’est Marion Cotillard. Tout est tourné en gros plan, ce qui est l’idéal pour un huis clos hystérique. J’ai eu du mal à être ému, comme j’ai pu l’être dans la pièce. L'affiche m’a gêné : « Après Mommy, le nouveau chef-d’oeuvre de Xavier Dolan ». C’est un peu définitif.

Pierre Murat

Je suis sorti bouleversé

J’ai vu le film à Cannes et j’avais bien aimé. Je l’ai revu là, et je suis enthousiaste. Je suis sorti bouleversé. C’est magnifique ce qu’il a fait. Je ne suis pas un fan absolu de Xavier Dolan. Même le film précédent film, Mommy, je ne l’aurais pas qualifié de chef d’œuvre. Celui-là non plus. Mais, il y a quelque chose dans ce film. Dès les premières images de Juste la fin du monde, on sent que Louis, voit les choses pour la dernière fois de sa vie.

Tout le début du film, ce regard de témoin muet dans les scènes jouées avec Marion Cotillard, sa belle-sœur, c’est très fort. Dans cette famille, personne ne s’entend. Et la seule avec laquelle ce frère qui revient pourrait s’entendre, c’est elle. Il y a entre eux, des silences, sourires, des ententes, des regards…Il y a une scène dans laquelle elle dit : « Combien de temps ? » Lui comprend, comme il a un aveu à faire : « Combien de temps il vous reste à vivre ? » Mais en fait, ce n’est certainement pas ça. C’est plutôt : « Combien de temps êtes-vous là ? » C’est peut-être la seule qui comprend tout depuis le début, mais qui ne le dit pas.

Le reste de la famille est engoncée dans des haines, dans des rancœurs.

Danièle Heymann

L’hystérie chorale, m’emmerde

A cannes, j’étais sortie très dubitative. Mon film préféré de Xavier Dolan, c’est J’ai tué ma mère. J’y suis retourné, et j’ai vu des choses que je n’avais pas vu à Cannes. J’ai été bouleversée, par la pièce, et très émue par Gaspard Ulliel : par ses silences, ses regards, par sa fragilité, par tout ce qu’il exprime…

Il y a des duos qui tiennent le coup. Et en effet Marion Cotillard est moins énervante que d’habitude.

Mais quand la famille est réunie, et quand l’insupportable Cassel est là… L’hystérie chorale, m’emmerde. Ces gens m’ennuient, je n’ai pas envie de les fréquenter. Et là je regarde les beaux yeux tristes de Gaspard Ulliel et je me réconcilie avec le film.

Michel Ciment

Ce dispositif, […] avec tout le temps des gros plans… Je décroche

On comprend que Gaspard Ulliel a disparu, qu’il n’est pas revenu voir sa famille pendant douze ans. Et je le comprends très bien : on vient de la subir, cette famille, et on comprend son attitude. C’est vrai que Xavier Dolan a beaucoup de talent.

C’est inégal, mais c’est une véritable œuvre qui se constitue. Je n’ai pas compris. Il parait qu’il a frôlé la Palme d’or. Contre le film de Ken Loach. Cela aurait été un geste assez bravache.

Dans le même genre de cinéma, l’adaptation théâtrale, il avait déjà fait Tom à la ferme. Il évoquait là la claustrophobie, et en même temps, une respiration. Là, c’est l’hystérie permanente. C’est tout le temps en gros plan. Ce dispositif, même si c’est très à la mode, qui consiste à rester tout le temps dans la même pièce avec tout le temps des gros plans… Je décroche et comme Danièle, je n’ai pas envie de passer du temps avec des gens aussi peu sympathiques. Il n’y a même pas d’empathie… Parmi ces quatre derniers films, c’est celui que j’aime le moins. Il n’y a que Gaspard Ulliel qui est bien avec son sourire rentré, triste. Il veut dire quelque chose, qu’il ne dit jamais, parce que les autres parlent tellement…

Pierre Murat : Mais vous aviez envie de passer du temps avec les gens de Festen pendant deux heures ? Vous tombez sur Dolan, parce qu’ils ne sont pas sympas. Et question gros plans : on a célébré des cinéastes qui faisait des plans fixes de 10 minutes… Je ne vois pas pourquoi la grammaire du cinéma empêcherait les gros plans. La Passion de Jeanne d’Arc est un film en gros plan absolument sublime.

Jean-Marques Lalanne

«C’est un film où les personnages sont toujours seuls

Les gros plans sont totalement justifiés. C’est une gageure de faire un film chorale, de groupe, de fragmenter cette famille en ne les filmant jamais ensemble. Le moindre dialogue, au lieu de faire du champ – contre champ, systématiquement, il découpe, et ne filme celui qui ne parle pas qu’en amorce. Ils ne sont jamais dans le même plan. Et ça a une force. Dans 90% des plans, il isole les personnages. Et même dans la voiture, il fait le point alternativement sur l’un et sur l’autre, et laissant celui qui n’est pas à l’écran dans le flou, et annulant leur présence. C’est un film où les personnages sont toujours seuls. Cette espèce de rigueur, je la trouve admirable.

Après, la question de l’émotion c’est très subjectif. C’est moins sentimental que Mommy. On est moins embarqué.

J’ai été bouleversé par celui-là, mais presque à contre temps. L’émotion est montée à la fin. Il y a eu une sorte de décharge. Le film est plus rêche à cause de la toxicité de la famille**. Il y a quelque chose d’aride dans le traitement de l’histoire, mais à la fin on est totalement bouleversé. Ulliel est magnifique, parce qu’il est en retrait, parce qu’il ne fait rien.** On a le sentiment quasiment d’entendre le sang coulé dans ses veines, tellement il donne accès à une intériorité. Et aussi parce que les autres sont en surrégime. Il y a du point de vue orchestral quelque chose de très abouti entre le sur-jeu de tous ses partenaires et lui qui est une sorte de puits de silence d’intériorité…

Je ne pense pas que c’est cinéaste à chef d’œuvre. Mais il essaye des choses tout le temps, il y a des maladresses, mais il y a une sincérité une innocence… Mais quand il utilise des clichés, c’est avec tellement de naïveté qu'il m’emporte.

► La suite du Masque et la plume du 25 septembre

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► Xavier Dolan dans L'Heure bleue, dans la matinale de France Inter. Son interview au moment du Festival de Cannes, et sa musique analysée par Rebecca Manzoni dans Pop & co

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