L'accusé Mohamed-Amine Fares : "Je me suis incriminé mais j'ai jamais vendu d'armes, je suis pas terroriste"
Par Sophie Parmentier
Jour 32 au procès des attentats de janvier 2015 - La cour d’assises spécialement composée a commencé à interroger Mohamed-Amine Fares, 31 ans, trafiquant de stupéfiants qui est ici accusé d’avoir transmis des armes pour Amedy Coulibaly via des intermédiaires. Ce qu’il nie.
Mohamed-Amine Fares est l’accusé à l’œil rieur. Ses petits yeux noirs, que l’on voit au-dessus de son masque chirurgical, pétillent. Souvent, il baisse aussi le masque quelques secondes à la pause, et on le voit clairement se marrer, entre deux de ses co-accusés : Saïd Makhlouf et Nezar Mickaël Pastor Alwatik. Mohamed-Amine Fares a 31 ans, les cheveux noués en catogan, un haut de survêtement de marque américaine et cet air mi-amusé, mi-décontracté, en dépit de la peine qu’il encourt : vingt ans de réclusion criminelle, pour ces armes qu’on l’accuse d’avoir fait passer entre les mains d’ Amedy Coulibaly, le terroriste de Montrouge et de l'Hyper Cacher. Son co-accusé Saïd Makhlouf et un autre co-accusé, Amar Ramdani, sont jugés pour être d'autres intermédiaires.
Mohamed-Amine Fares, trafiquant de drogue notoire, n’aurait jamais pensé se retrouver ici dans ce box d’accusés, debout devant cette cour d’assises spécialement composée, pour ce procès des attentats de janvier 2015. Il assure qu'il a cru, quand on l'a placé en garde à vue, qu'il allait atterrir devant un tribunal correctionnel, à Lille, comme les trafiquants d'armes Claude Hermant et Christophe Dubroeucq, qu'il connaissait. Mais ces trafiquants, aujourd'hui libres, ont défilé à la barre devant son box, où lui est enfermé. Le président, Régis de Jorna, lui demande de se lever et lui rappelle d'emblée qu'il a beaucoup menti durant l'enquête. "Ouais, ouais", marmonne Mohamed-Amine Fares, d'une voix imperceptible.
Dénoncé dans une mystérieuse lettre anonyme à la juge
Le président rappelle ses huit condamnations pour trafic de stupéfiants. La première fois qu'il a été interpellé pour ses trafics, Mohamed-Amine Fares avait 16 ans. Il n'a jamais arrêté de dealer, de la cocaïne et de l'héroïne, sauf lors de ses séjours en prison. Puis, une étrange lettre anonyme l'a conduit à être arrêté dans cette affaire de terrorisme. "La lettre qu'a tout niqué", résume sa sœur à la barre. Une lettre postée en décembre 2017, de Lesquin, dans le Nord. Elle est directement adressée à une des juges d'instruction en charge de l'enquête. Dans le courrier, juste ces mots-clés : "Hyper Kacher Mohamed FARES". On ne sait toujours pas qui est l'auteur de cette missive accusatoire. En tout cas, en 2018, voilà la police qui interpelle de façon musclée Mohamed-Amine Fares et son ex-femme, 96 heures de garde à vue pour lui. Il n'est pas un "novice de la garde à vue", mais celle-là, plus que toutes celles qu'il a connues avant, était "choquante, j'étais déstabilisé, affaibli, je racontais n'importe quoi", se justifie-t-il, bien embarrassé par ce qu'il a avoué en garde à vue. "Je comprends qu'on peut douter de ma sincérité".
En garde à vue, Mohamed-Amine Fares a déclaré que "l'arme que Coulibaly a eue, elle est passée de Christophe (Dubroeucq) à un gars qui vient du 91". Un gars qui se serait prénommé Alex. Mohamed-Amine Fares avait donné des détails sur l'arme : un fusil d'assaut, AK-47, échangé contre 15 grammes de cocaïne. L'affaire aurait été conclue entre Alex et Dubroeucq, mais Fares aurait été témoin, puis aurait gardé l'arme, l'aurait cachée une semaine dans l'appartement d'une "nourrice" de son trafic de stup, boulevard de Metz, à Lille. Mohamed-Amine Fares avait précisé que cette kalachnikov était assemblée et sans munition. Deux ans plus tard, dans son box, Mohamed-Amine Fares assure qu'il a inventé cette histoire d'armes pour s'incriminer. Et il justifie ainsi son étonnante invention auto-incriminante.
"Je me suis incriminé"
Sur une des armes de Coulibaly, en réalité un pistolet Tokarev, les policiers ont découvert un ADN féminin. Celui d'une prénommée Amel, ancienne belle-sœur de Mohamed Amine Fares, et nièce de Samir Ladjali qui aurait récupéré cette arme. Ladite belle-sœur, pour se dédouaner, a dit que c'était son petit frère, Souliman, qui était proche de Ladjali. Et Souliman s'est retrouvé en prison à Fresnes. Et Mohamed-Amine Fares explique qu'il ne l'a pas supporté, car il aimait Souliman comme son propre "petit frère". Alors, pour qu'on libère Souliman, Mohamed-Amine Fares dit qu'il s'est accusé pour cette arme. Au hasard, à l'en croire. L'ADN avait été isolé sur un Tokarev de l'arsenal de Coulibaly. Or, Mohamed-Amine Fares a évoqué un fusil d'assaut. Le président de la cour d'assises est fort surpris. Mais Mohamed-Amine Fares répète : "Je me suis incriminé, pour faire croire aux enquêteurs que moi et Christophe Dubroeucq, on avait vendu cette arme qui avait fini entre de mauvaises mains". Et il prétend qu'il a donc parlé au pif d'une kalachnikov, parce qu'il avait vu Coulibaly à la télé avec cette kalach. Il affirme que s'il avait su sur quelle arme se trouvait l'ADN, il n'aurait pas parlé de celle-ci, "ça m'aurait fait une arme en moins !", s'exclame-t-il.
"Les armes, c'est une peine à deux chiffres ! Avec mon trafic de stupéfiants, je gagnais bien ma vie à l’époque, j’avais pas besoin de ça !"
Car il est accusé d'avoir été intermédiaire pour plusieurs armes, que Saïd Makhlouf et Amar Ramdani sont accusés d'être venus chercher à Lille et Roubaix, lors de voyages jugés suspects, entre octobre et décembre 2014. Connaît-il Saïd Makhlouf ? "En fait, il connaît mon frère de Paris et mon beau-frère qui habite dans la même ville, et voilà quoi", concède Mohamed-Amine Fares. Saïd Makhlouf qui est ambulancier dans la société du père Fares. Et Amar Ramdani, le connaît-il ?, interroge le président. "Connaître c'est un grand mot, j’ai pu rencontrer Amar Ramdani par le biais de Saïd Makhlouf, oui, qui est son cousin", poursuit-il. Et on lui pose des questions sur ces fameux voyages de la fin 2014. Le 20 décembre 2014, Mohamed-Amine Fares croit se souvenir que Saïd Makhlouf vient dans le Nord et lui dit qu’il "cherche 3 kilos de beuh, qu’il en a plus. La beuh elle était pas directement sur Lille. Elle était dans un petit bled à côté de ma prison". La beuh est chez la "nourrice", mais pas d'armes, que du cannabis, jure-t-il. Pourtant, le président note qu'il a dit durant l'enquête "là où y a de la drogue, y a des armes". Mohamed-Amine Fares, du tac au tac : "Ben ouais, pour la guerre des territoires, faut des armes, c'est une réalité !" Mais il promet qu'il n'est "pas un terroriste", qu'il n'a "jamais vendu d'armes". Et précise : "Pour moi c’était pas mon intérêt. Les armes, c'est une peine à deux chiffres ! Avec mon trafic de stupéfiants, je gagnais bien ma vie à l’époque, j’avais pas besoin de ça !"

"Mon frère a rien à voir là-dedans"
On interroge aussi Mohamed-Amine Fares sur ses propres voyages en région parisienne, alors qu'il dit détester Paris. Des séjours-express lors desquels il aurait rencontré Saïd Makhlouf, pensent les enquêteurs. Makhlouf qui habite Gentilly, à côté de la planque d'Amedy Coulibaly. Mais Fares promet que c'était de simples balades. "Quand la journée du trafic de stup est finie, on remballait tout et on se baladait, à Paris comme en Hollande", s'exclame-t-il. Des "balades" qu'il aurait faites, en tant que passager, ou "à l’arrière, avec un flash de vodka, pour passer du temps, en aucun cas pour voir Saïd Maklhouf. Je suis jamais monté spécialement pour voir Saïd Makhlkouf". Mohamed-Amine Fares a menti, beaucoup, depuis deux ans. Mais nie, farouchement, dans son box, toute implication dans cette affaire de terrorisme. Le président lui redit qu'il a donné plusieurs versions : "C’est pas un peu l’arbre qui cache la forêt ?" Et Mohamed-Amine Fares de s'écrier : "Je connais pas cette expression !"
Mohamed-Amine Fares est né dans une famille de douze enfants. Ses parents se sont séparés quand il était tout petit. Son père est ambulancier, en région parisienne, sa mère est toujours restée au foyer, dans le Nord. Lui est resté avec la mère, avec les plus jeunes enfants. Un petit frère et une grande sœur sont appelés à la barre. D'abord la sœur, longs cheveux bruns dénoués, qui dit de Mohamed-Amine Fares : "C'est mon petit frère, c'est mon bébé, il est tout pour moi". Mais la sœur n'éclaire pas la cour, car elle n'arrive pas ou ne veut pas répondre aux questions. Arrive le petit frère, grosse barbe sous son masque, encore moins causant. Il reconnaît juste qu'il était trafiquant de drogue avec son frère. "Pour moi, mon frère était seulement dans le trafic de stup, il a rien à voir là-dedans".
L'avocate générale lui demande si son grand frère a beaucoup prié, en détention ? Le frère à la barre rétorque avec un brin d'insolence, de demander à Mohamed-Amine Fares. Et il confie que pour sa part, il s'est rapproché de la religion en prison. L'assesseur veut savoir si l'islam est "compatible avec la vente de drogue" ? Le frère répond : "C'est dans la tête !" Et il va faire un check à son grand frère, à travers la vitre de son box d'accusé, puis il part s'asseoir au fond de la salle d'audience, pour écouter le dernier des témoignages, celui de son ancienne compagne, cheveux blonds et vernis à ongle bordeaux. Durant l'enquête, elle avait déclaré que Mohamed-Amine Fares ne lui adressait pas la parole car elle n'était pas mariée religieusement au petit frère, et la cour et les avocats la pressent de questions, focalisés sur cette obsession : savoir si Mohamed-Amine Fares, le trafiquant de drogue, a pu pratiquer en cachette un islam rigoriste et radical qui pourrait davantage l'accabler, dans ce procès de terrorisme islamiste.
Mais l'ancienne compagne, éberluée, à la barre : "J'ai signé ça ?" Elle ajoute : "Je devais être sous le choc". Une avocate de victimes de l'Hyper Cacher lui demande si elle a peur, si elle a subi des pressions ? La jeune fille dit "sincèrement, non", d'une petite voix pas très convaincante, alors que Me Cechman, l'avocate de parties civiles qui l'interroge et Me Akkori, l'avocate de son ex beau-frère, sont en train de se crier dessus. Brouhaha dans la salle. On entend même un applaudissement dans un box. Le président veut savoir qui a applaudi. Mohamed-Amine Fares se désigne en levant le doigt. Il rit, comme souvent, au 32e jour de son procès. Son interrogatoire se poursuivra demain.