Invité de "La bande originale", le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade raconte comment il s’est inspiré de l’affaire Laetitia Perrais, sauvagement assassinée par Tony Meilhon à l’âge de 19 ans. Une série qui propose une réflexion sur l’origine de la violence, vivement recommandée par France Inter.
Du réel à la fiction
« L’affaire s’est déroulée en 2011 alors que j’étais plongé dans la préparation d’un film, j’étais dans ma bulle et j’étais passé à côté de l’événement. C’est la découverte du remarquable livre d’Ivan Jablonka "Laetitia ou la fin des hommes" qui m’a donné l’envie d’écrire cette série » raconte le réalisateur invité de La Bande originale.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Comment traiter un drame aussi terrible sans se louper ?
"J’ai beaucoup hésité avant de me lancer dans cette série. Je voulais avant tout éviter le sensationnalisme et tout voyeurisme. Les protagonistes de cette affaire ont des blessures qui restent à vif, il ne s’agissait pas de rajouter à leur douleur mais de rendre hommage à la vitalité de cette jeune femme" explique Jean-Xavier de Lestrade.
Les rapports hommes / femmes sont singulièrement mis à nu dans cette histoire. Je voulais donner à voir une violence sociale qui n’est pas dans les radars.
"Le fait de creuser cette histoire met à jour une violence quotidienne et invisible subie par les plus fragiles. En lisant le livre de l'historien Ivan Jablonka et en travaillant sur le scénario, je pensais au roman de Victor Hugo Les Misérables. La France, au fond, n’a pas tant changé. La question qui se pose c’est : comment une société moderne comme la nôtre peine à protéger les plus faibles : femmes et enfants… "
Pour Nagui, "la série, le traitement de l’image, son "grain" et l'utilisation des archives, brouillent la frontière entre réel et fiction". En effet ajoute l'actrice Alix Poisson invitée de l'émission : "c’est l’un des talents de Jean-Xavier de Lestrade et de son chef opérateur, qui donnent aux images de fiction un aspect très réel. Cela nous immerge totalement dans l’histoire."
Un casting brillant
Tournée dans la Baie de Somme en 2019, pour éviter toute polémique, la série rassemble notamment : Marie Colomb (Laëtitia), Sophie Breyer (Jessica), Yannick Choirat (l'adjudant-chef chargé de l'enquête), Sam Karmann (l'assistant paternel de la famille d'accueil), Kevin Azaïs (le père biologique), Noam Morgensztern (le meurtrier Tony Meilhon), Alix Poisson (l'assistante sociale).
"C’est une proposition fictionnelle, qui accueille une part de romanesque, je n’ai donc pas choisi les comédiens en fonction de leurs ressemblances avec les personnes d’origine" raconte le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade.
Noam Morgensztern est dingue, dingue ! Il joue magnifiquement bien, il est totalement inquiétant.
Nagui et l'ensemble de La Bande Originale saluent unanimement la prestation du comédien Noam Morgensztern de la Comédie-Française qui incarne le meurtrier Tony Meilhon.
J-X de Lestrade : "Au moment de l’arrestation de Tony Meilhon, le caractère atroce du meurtre (Lætitia avait été démembrée) a bouleversé le pays. Face à cette émotion, les discours ont été extrêmement simplistes. On opposait le criminel monstrueux aux victimes innocentes car il s’agissait alors de surfer sur l’émotion à des fins électoralistes. (Nicolas Sarkozy avait alors qualifié Tony Meilhon de "Monstre", interpellant la justice, fautive d'avoir laissé le meurtrier, ex-détenu, en liberté).
" La vraie question au fond est : cette fin tragique était-elle une fatalité ? "
Quand on déroule le parcours de vie de Jessica et de Tony, on voit un homme qui a grandi dans le même climat de violence que Jessica…
Une série qui remonte aux racines du mal
La série soulève un débat fécond au sein de La Bande Originale, optant pour un échange plus grave qu'à l’accoutumée.
Pour Nagui cette série examine en profondeur la société et ses maux : tels que la pédophilie, les violences faites aux femmes, le harcèlement, la violence sociétale, le système de placement lié à l’Aide sociale. La question que pose cette série, c’est : qui fabrique les monstres ? renchérit Leila Kaddour-Boudadi_,_ "S’il est difficile de témoigner d’une forme de compassion à l’égard du meurtrier, on voit bien qu’il est le produit d’une violence qui l’a conduit à faire ce qu’il a fait".
"C’est une série qui remonte aux racines du mal. Or le seul moyen d’éradiquer cette violence est d’interroger son origine… On ne naît pas "monstre" on le devient "poursuit la comédienne Alix Poisson. "L’image du monstre est un couperet qui coupe court à toute réflexion, elle est commode, elle nous rassure" conclut Daniel Morin.
Le cas de Lætitia et la domination masculine
Pour Nagui : "Laetitia c’est l’histoire d’une enfant battue, témoin des violences subies par sa mère, avant d’être placée dans une famille d’accueil ".
"Oui, c’est aussi l’histoire d’une gamine suspendue dans le vide à 18 mois par son père pour lui montrer son pouvoir sur elle..." précise encore Jean-Xavier de Lestrade.
On constate assez souvent dans les violences criminelles infligées par des hommes, une volonté de faire disparaître la femme, au sens propre et figuré.
Pourquoi une série plutôt qu'un film ?
"Il fallait cette temporalité pour éviter tout manichéisme et sonder la complexité de cette affaire. Je n’ai jamais envisagé d’en faire un long métrage. Au final ce sont près de 5 heures de film (six fois 45 minutes), il fallait cela pour entrer dans toutes les strates de l’histoire."
La mini-série sera diffusée dès lundi 21 sur France 2 à raison de trois épisodes par lundi.
Une série à l'honneur de "Capture d'écrans" et "Une heure en série", sur France Inter
Dans sa chronique quotidienne Capture d'écrans, Dorothée Barba salue le remarquable traitement de cette affaire.
"Une histoire insoutenable mais une série d'une grande justesse et d'une grande dignité. Marie Colomb (Lætitia) est une révélation, tous les acteurs sont impeccables. La série ausculte le système de la violence patriarcale, elle nous aide à comprendre. Elle n'élude rien, y compris le rôle très contestable des médias. On plonge dans cette tragédie pour en raconter toutes les nuances, sa portée est universelle "
Les chroniqueurs d' Une heure en séries ont été conquis :
Pour Ariane Allard (Causette, Positif) : "Le traitement de ce sujet hyper-sensible est irréprochable, cela tient à la qualité de la réalisation, délicate et sensible, mais aussi au traitement du sujet. Le comédien qui incarne l’assassin est absolument sidérant, je n’ai jamais vu ça dans une série française."
Benoit Lagane (France Inter) : "Ce documentariste passé à la fiction sait manipuler comme personne les archives. Sa série très engagée politiquement, anti-sarkoziste est diffusée en prime time, fait rare ! Une fiction extraordinaire. "
Déclaration de Nicolas Sarkozy (Extrait d'Affaires sensibles)
1 min
Marjolaine Boutet (Phosphore) : "C’est une série qui traite de la domination masculine sans tomber dans le manichéisme. Toutes les femmes ne sont pas des saintes et les hommes ne sont pas tous méchants. L’enquêteur et le juge sont absolument fantastiques et certaines femmes sont complices de cette domination (la mère de la famille d’accueil, l’agente de l’aide sociale à l’enfance). Cette série est très sociale. Elle rappelle l**’instrumentalisation des faits divers par les politiques** et la grève des magistrats qui en a résulté. Elle interroge aussi sur le sort des enfants placés. Marie Colomb (Lætitia) est lumineuse, elle rend cette série encore plus émouvante. Une réussite à tous points de vue."
Aller plus loin
- Réécouter La bande originale avec Jean-Xavier de Lestrade et Alix Poisson
- Réécouter Affaires sensibles, L’affaire Laëtitia Perrais
- Réécouter Ivan Jablonka interviewé par Laure Adler pour son roman sur l'affaire Laetitia
- Réécouter Captures d'écrans du 21 septembre 2020
- Réécouter Une heure en séries du 19 septembre 2020