L'article à lire pour comprendre ce que deviennent les déchets de votre poubelle jaune
Par Julie PietriEt le pot de yaourt, je le mets dans quelle poubelle ? Depuis 1992, nous sommes censés orienter certains de nos déchets vers le bac jaune... et pourtant ! Si en France, 89% des Français trient, seulement la moitié le font "systématiquement". Un exemple : 58% des bouteilles en plastique sont aujourd'hui recyclées.
"J'ai pris ma poubelle : on va voir si vous savez trier correctement vos déchets". Enseignante en CM1-CM2 à l'école des Bons Raisins, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Sarah Bertrand ne se contente pas d'un cours théorique quand elle aborde la question du tri sélectif. Ce jour-là, elle se présente face à ses élèves avec un grand sac dans lequel elle a glissé ses "déchets personnels".
Les élèves sourient légèrement quand ils voient les sachets de confiseries ou de gressins, visiblement bien repérés comme étant les péchés mignons de leur maîtresse. "Mon sachet de bonbon en plastique, poubelle jaune ou ordures ménagères?" demande-t-elle. Les élèves, âgés de 9 à 11 ans, réfléchissent un court instant puis votent à l'aide de petits papiers colorés. "Ok, quinze le mettent dans la poubelle noire de tout venant, et sept choisissent la poubelle jaune. On verra plus tard qui a raison".
"Ma canette de soda, j'en fais quoi ?"
Cette fois, les enfants sont unanimes. La canette va dans le bac jaune. "Et mon sachet en plastique fin?" Défileront ainsi cartouches d’encre, ampoules et pelures de clémentines. "Comment être sûrs de ne pas se tromper, où peut-on trouver l'information?" interroge l'enseignante. S_ur le paquet, avec les petits logos?_", tente un élève.
Mais dans la ville de Rueil-Malmaison, ce n'est plus tout à fait vrai : regarder l'indication sur l'emballage n'est plus suffisant. "Vous n'avez rien reçu dans votre boîte aux lettres ? Un nouveau mémo du tri?" Depuis le mois de décembre, la commune est passée en "extension des consignes de tri". Ce qui veut dire que désormais, tous les emballages sont acceptés dans le bac jaune. Et quand on dit "tous les emballages", cela concerne bien tous les pots et boîtes, les barquettes, les films, les sacs, sachets et suremballages.
Le cours est presque terminé. Avant d'entendre la sonnerie, Sarah Bertrand alerte : "C'est bien beau, maintenant vous savez trier mais l'important, c'est aussi de réduire au maximum nos déchets et donc nos emballages en amont". "Parmi ces élèves, explique-t-elle, il y a à la fois des enfants qui sont déjà sensibilisés par leur famille et... il y a ceux qui sensibilisent leur famille en leur disant que non, ça, ça ne se trie pas et qu'il faut faire attention à ceci ou à cela".
"Pour moi, ce sont vraiment eux, ces enfants, qui pourront changer les choses".
Si vous avez un doute sur vos consignes de tri, pas de panique !
Au fond de la classe, une femme a assisté discrètement aux débats. Stéphanie Foucard travaille pour Citeo, l'entreprise qui organise le tri et le recyclage des emballages en France."Fin 2020, 50% de la population française pourra mettre tous ses emballages et papiers dans le bac jaune. Nous serons à 100% en 2023". "Si vous avez un doute, vous pouvez d'abord regarder les stickers collés sur votre poubelle jaune. Vous pouvez aussi utiliser le "guide du tri". "Ça parait très théorique comme ça... mais je peux vous assurer qu'une fois que vous savez ce que devient l'emballage une fois que vous l'avez trié, vous ne pouvez pas le considérer comme un déchet, vous en voyez toute la valeur".
Une fois le geste de tri effectué et une fois le camion poubelle passé, vos emballages et papiers partent en direction d'un centre de tri situé à proximité. de chez vous. À Lons-le-Saunier, dans le Jura, ce sont par exemple 100 tonnes de déchets recyclables qui arrivent chaque jour et qu'il faut donc trier. Un travail à la chaîne, colossal, sur tapis roulant.
Notre guide, c'est Hubert Martin, le directeur du Sydom, Syndicat de traitement des ordures ménagères du Jura. "Nous avons deux installations sur le site : le centre de tri pour le recyclable et l'usine d'incinération pour les ordures ménagères". Direction donc, la partie "recyclable". Les camions déversent leur chargement, créant une montagne de bouteilles en plastiques, briques de lait, magazines et pot de yaourts. "Ici, nous sommes passés en extension des consignes de tri. Nous acceptons tous les emballages plus les journaux et revues".
Si le geste est plus simple, les erreurs subsistent. Sur un premier tapis roulant, des opérateurs retirent ici un slip, là une couverture ou un roller. "Ça c'est clairement une erreur de tri". Les emballages sont ensuite séparés par matière manuellement, par des agents ou mécaniquement avec des machines capables par exemple de prélever les aciers ou de trier les plastiques en fonction de leur nature chimique. "Ça va très vite, on essaye de maintenir le rythme, explique Ludovic, chargé de ne laisser passer que du papier sur son "tapis". "Il faut être rapide, concentré et bien connaitre les matières".
Faut-il tout laver avant de jeter dans le bac jaune ?
Sur certains convoyeurs défilent des pots de yaourt pas complètement propres. Des boîtes de pizzas sur lesquelles s'accrochent quelques restes de fromage ou de sauce tomate. "Pour être honnête", commente Hubert Martin, "ce n'est pas indispensable de tout laver. Ce qui n'est pas lavé est quand même trié. Ce qui est indispensable, c'est de bien vider".
"Nous savons aujourd'hui quasiment tout recycler", ajoute-t-il. "Les quelques matériaux plastiques qui ne sont pour l'instant pas recyclés le sont parce que nous n'avons pas les usines. C'est le cas de certaines barquettes de viande par exemple. Mais c'est en train de venir. En attendant, le mieux, c'est quand même, de ne pas les produire, de ne pas les acheter et donc ne pas les jeter".
Il y a également les déchets qui passent entre les "mailles" du centre de tri. "C'est le cas des petites barquettes individuelles de margarine par exemple, pas parce que nous ne savons pas recycler... mais parce que ces produits sont trop petits, nous ne pouvons pas tous les récupérer. De la même façon, on peut et il faut laisser les bouchons de bouteille sur ... les bouteilles". Une fois que les emballages sont séparés, ils sont compressés et "mis en balle" dans un hangar. Ensuite, les usines de recyclages envoient les camions pour récupérer les produits, en payant au passage le centre de tri.
Recyclage : l'exemple des bouteilles en plastique
Prenons un produit phare : les bouteilles en plastique. À Sainte-Marie-la-Blanche, en Côte d'Or, Coca Cola a investi dans une usine, Infinéo, aujourd'hui co-dirigée par l'entreprise spécialisée Plastipak et le géant de la boisson à bulles. "Depuis 2008, on a le droit de prendre un déchet de plastique dans votre bac jaune pour faire une nouvelle bouteille alimentaire, explique Marie-Laure Bazerolle en charge du Centre pédagogique présent sur le site. "Avant, puisque l'usine date de 1998, on faisait des bouteilles pour des produits ménagers : produits vaisselles, produits à vitre etc".
Avant de pénétrer dans l'unité de recyclage, il faut s'équiper. "Gilet jaune, casque, lunettes et je vais vous demander de laisser ici sac, écharpe, téléphone. Nous serons en hauteur sur des passerelles, rien ne doit tomber dans la production, au risque de la polluer".
À l'intérieur de l'usine, la température augmente tout de suite. L'humidité aussi. Les bouteilles sont broyées, pré-lavées et lavées. Le plastique découpé en "paillettes" est ensuite fondu à près de 280 degrés pour obtenir au final une sorte de granulé de plastique recyclé. Des camions citernes acheminent enfin ces plastiques vers de nouvelles usines qui vont fabriquer de ... nouvelles bouteilles.
"C'est une industrie, ça a une empreinte environnementale mais c'est 70% de carbone en moins par rapport à la production de plastique vierge", assure Arnaud Rolland, en charge de la Responsabilité sociétale et environnementale chez Coca-Cola European Partners. Son objectif affiché : produire des bouteilles contenant de plus en plus de plastique recyclé. "Aujourd'hui la limite c'est l'accès à la matière en amont". En clair : collecter plus de bouteilles. Car si presque tous les Français savent qu'elles peuvent être triées... le taux de collecte n'est estimé qu'à 58% environ.
"Le plastique est souvent décrié, alors que la bouteille, si elle bien collectée, sera réutilisée à 100%". Les bouteilles en plastique du groupe Coca-Cola sont parmi celles qui se retrouvent le plus dans la nature ? "C'est assez logique puisque notre marque est implantée dans tous les pays du monde. Mais nous investissons pour montrer que nous faisons des efforts". Question d'image et stratégie marketing. Coca-Cola, en investissant massivement et en faisant progresser localement la filière, veut aussi faire passer le message, contesté, que la bouteille plastique n'est pas morte, qu'elle a de l'avenir, à condition d'être correctement traitée.
Nos déchets jaunes sont-ils tous vraiment recyclés ?
Les bouteilles sont donc broyées... pour redevenir bouteilles. Les pots de yaourts sont utilisés pour faire des tuyaux d'arrosage par exemple. Mais il y a bien une petite partie de notre bac jaune qui va au final se retrouver mélangée aux ordures ménagères pour être incinérée. "Chez nous, c'est très peu, 5% environ de ce que l'on reçoit" précise Loïc Morel, directeur Valorisation Energie et Biodéchets au Syctom, agence métropolitaine des déchets ménagers de l'agglomération parisienne.
En nous guidant au sein de l'usine de valorisation énergétique d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), il développe : "il faut déjà tuer une idée qui perdure. Les poubelles jaunes collectées par des camions qui iraient directement déverser leur cargaison ici, ça n'existe pas". "Mais s'il y a une erreur de tri, un déchet qui n'a rien à faire ici, là oui, il est réorienté vers un centre de valorisation énergétique et est incinéré pour produire de l'énergie".
Pourtant, dans la fosse qui stocke les ordures ménagères sur le site d'Issy-les-Moulineaux - une montagne de déchets alimentaires notamment- les bouteilles, cartons, magazines, papiers sont légion. Une erreur d'acheminement? "On ne devrait pas les retrouver ici. Si on les retrouve ici, ce n'est pas par manque de capacité de tri ou de filière de recyclage. C'est parce qu'ils n'ont pas été triés en amont".
"Aujourd'hui, nous estimons que notre poubelle d'ordures ménagères est composée à 30% de papiers et d'emballages", renchérit Sylvie Mariaud, chargée de mission au Syctom. "Il y a une hiérarchie dans les modes de traitement. Le pire, c'est d'enfouir le déchet. Le mieux, c'est de ne pas le produire. Et entre les deux, il y a l'incinération et le recyclage. Il faut réduire la part de ce qui est incinéré".
Devant le four dont les flammes dépassent les 1 000 degrés, Loïc Morel dit avoir de l'espoir pour la suite, même s'il "ne peut que constater la lenteur de l'évolution du geste de tri et de prise de conscience des citoyens". "En dix ans de travail, j'ai vu une petite amélioration mais ça reste marginal. Le progrès est beaucoup trop lent". "Nous avons un problème de confiance sur le bac jaune", conclue Jean Hornain, Directeur Général de Citeo, qui gère le tri et le recyclage avec les collectivités locales.
"C'est vrai que de temps en temps on allume la télévision et on voit quelque chose qui nous parait scandaleux. Des briques de lait françaises retrouvées dans une décharge à l'autre bout du monde... C'est vrai que c'est une activité complexe, c'est vrai qu'il peut y avoir des choses qui ne sont pas normales. Mais au global, ce que vous mettez dans un bac jaune, ça va bien dans un centre tri. Et du centre de tri dans la grande majorité, ça va bien dans des usines de recyclage". "Le recyclage ne peut pas tout, néanmoins il fait partie de la solution. Alors faites-le s'il vous plaît".