L’article à lire pour tout comprendre à la réforme des retraites si vous n’avez rien suivi depuis le début

Publicité

L’article à lire pour tout comprendre à la réforme des retraites si vous n’avez rien suivi depuis le début

Par
La réforme des retraites doit être présentée publiquement par la Première ministre Elisabeth Borne mardi 10 janvier
La réforme des retraites doit être présentée publiquement par la Première ministre Elisabeth Borne mardi 10 janvier
© AFP - Joël SAGET

Que contient le projet du gouvernement ? Qui est concerné ? Qu'en pensent syndicats et économistes ? Sept questions pour tout comprendre à la réforme des retraites.

J-1 pour le gouvernement. Mardi 10 janvier, la Première ministre Elisabeth Borne doit présenter publiquement la réforme des retraites, serpent de mer du gouvernement depuis l'élection d'Emmanuel Macron en 2017. D'abord favorable à une refonte en profondeur et à la création d'un système "universel" avec une retraite à points, le chef de l'exécutif soutient désormais le report de l'âge légal de départ à la retraite. Objectif affiché : ramener le régime des retraites à l'équilibre à horizon 2030.

Tout l'automne, partenaires sociaux et présidents de groupes parlementaires se sont succédés à Matignon, pour négocier sur les concepts clés du projet. Âge plancher, allongement de la durée de cotisation, dispositif spécifique aux carrières longues… Cela ne vous dit rien ? Voici sept questions pour tout comprendre à la réforme des retraites, version 2023.

Publicité

Que prévoit ce projet de réforme ?

Tout d'abord de décaler l'âge légal de départ à la retraite, de 62 à 64, voire 65 ans. Si l'âge de 65 ans était inscrit dans le programme de campagne d'Emmanuel Macron en 2022, le gouvernement semble prêt à acter le seuil de 64 ans, à condition que la durée de cotisation soit rallongée plus rapidement que prévu. Depuis la réforme dite "Touraine" de 2014, la durée nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein augmente en effet d'un trimestre tous les trois ans, avec un objectif de 43 ans de cotisation en 2035 (contre 41,5 ans avant la réforme). Si le timing pourrait s'accélérer, le gouvernement ne prévoit pas d'aller au-delà de 43 ans.

Concernant l'âge légal, l'allongement de la durée des carrières devrait être progressif, avec quatre mois supplémentaires par an jusqu'en 2031. Les salariés nés en 1961 (la première génération concernée par la réforme) prendraient donc leur retraite à 62 ans et 4 mois, et ainsi de suite. La génération 1969 serait la première à atteindre le nouvel âge légal.

La réforme prévoit également la revalorisation des petites pensions, à hauteur de 85% du SMIC, soit environ 1.200 euros par mois pour une carrière complète. Toutefois, cela ne devrait concerner que les futurs retraités. "Ma priorité, c'est que ce soient les actifs, qui vont devoir travailler un peu plus longtemps, qui en bénéficient", a déclaré Élisabeth Borne. Cette piste tient la corde, a confirmé à France Inter François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises. Enfin, l'âge minimal pour ne pas subir de décote (de malus en cas de manque de trimestres) devrait rester à 67 ans.

Quel est l'objectif de cette réforme ?

La philosophie de cette réforme est, selon le gouvernement, d'atteindre un "équilibre" budgétaire du système des retraites, c'est à dire entre les cotisations perçues et les pensions versées. Selon un rapport du Conseil d'orientation des retraites (rattaché à Matignon), la balance des retraites est excédentaire en 2021 et 2022. Toutefois, la situation devrait se dégrader dans les 25 prochaines années.

D'ici à 2027, le groupe de travail prédit un déficit du système des retraites qui pourrait atteindre 12 milliards d'euros. Or, selon Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, la réforme des retraites permettrait justement à l'État d'engranger ces "12 milliards d'euros [de] recettes supplémentaires ". Selon le Conseil d'orientation des retraites, à horizon 2035, le report de l'âge légal à 65 ans permettrait de générer plus de 32 milliards d'euros de recettes supplémentaires ; 22 milliards d'euros en cas de report à 64 ans, avec une augmentation de la durée de cotisation plus rapide. Toutefois, plusieurs économistes (comme nous le détaillons plus bas) avancent que ce déficit à combler est minime et que la réforme n'est pas urgente.

Au-delà de l'équilibre, l’exécutif aimerait financer d'autres dépenses avec l'éventuel excédent budgétaire du système des retraites. Pourquoi ne pas financer par exemple "l’école, la santé et la transition écologique", s’interrogeait devant la presse Emmanuel Macron en septembre dernier. "La loi de programmation militaire, plus d'argent pour nos hôpitaux, pour notre justice, pour nos policiers", renchérissait en décembre Sylvain Maillard, vice-président du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, sur France Info. Toutefois, cette idée fait gronder l’opposition, y compris dans les rangs ouverts à la négociation. La réforme "n'est pas là pour financer la transition écologique mais pour financer la retraite des Français les plus modestes", a insisté le chef de file des députés LR Olivier Marleix, à la sortie d’un ultime entretien à Matignon vendredi. Dans une interview au  Journal du Dimanche, le président du parti les Républicains Eric Ciotti s'est dit prêt, ce 8 janvier, à voter "une réforme juste". Un point clé pour l'exécutif, qui pourrait inciter éviter le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, lors du vote du texte à l'Assemblée nationale.

Qui est concerné ?

Tous les travailleurs actifs sont concernés par la réforme, y compris ceux qui bénéficient de régimes spéciaux ou d'un départ anticipé. Les seuls qui ne verraient pas leur âge légal de départ reculer sont les marins-pêcheurs, les salariés de l'Opéra de Paris et de la Comédie-Française. Toutes les autres "catégories actives" de la fonction publique (aides-soignants, policiers, personnel pénitentiaire, contrôleurs aériens) qui partent à la retraite cinq à dix ans plus tôt du fait de la pénibilité de leur travail, verraient l'âge de départ reculer proportionnellement au reste de la population. Pour les aides-soignants par exemple, l'âge légal pourrait passer de 57 à 60 ans, selon les Echos.

La réforme prévoit également la fin, progressive, des régimes spéciaux (SNCF, RATP, Industries électriques et gazières, Banque de France…) au nombre de 15 aujourd'hui en France, sur les 37 régimes de retraite existants. La volonté du gouvernement de passer à un système universel, de retraite à points unique pour tous, avait provoqué un tollé en 2019. Le système de la "clause du grand-père", déjà utilisé lors de la réforme de la SNCF en 2018, pourrait donc être privilégié : cela signifie que les salariés de ces entreprises garderaient leur régime spécial mais que les nouveaux recrutés n'en bénéficieraient plus. Les retraités actuels de régimes spéciaux ne sont pas affectés par cette réforme.

D'où vient cette idée de réforme ?

C'est un projet qu'Emmanuel Macron porte depuis sa première campagne en 2017. Toutefois, à l'époque, il ne comptait pas repousser l'âge légal, mesure qu'il ne trouvait pas "juste", mais refondre totalement le système des retraites, en instituant un régime "universel", avec un système de points : un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous.

C'est une réforme d'ampleur par rapport à tous les ajustements réalisés depuis plus de 20 ans, censée permettre une adaptation aux changements structurels de la société (fluctuations de la croissance, vieillissement de la population, hausse du nombre de retraités…). Toutefois, la réforme est retardée tout d'abord par la crise des gilets jaunes, en 2018, puis elle rencontre une très forte opposition de la part des syndicats et des corps de métiers affectés en 2019. Le rapport de Jean-Paul Delevoye, nommé Haut-commissaire à la réforme des retraites, préconise en effet le décalage du départ à la retraite à taux plein de 62 à 64 ans, pour inciter les salariés à travailler plus. L'exécutif perd le soutien de la CFDT et les inégalités du nouveau système sont relevées. Cela donne notamment lieu à deux journées de grève nationale très suivies en décembre. Dans un avis critique, le Conseil d'État parle d'une étude d'impact "insuffisante" et de "projections financières lacunaires". Avec l'arrivée de la pandémie de Covid-19 en mars 2020, la réforme des retraites est suspendue.

Pourquoi tous les syndicats s'y opposent ?

Les syndicats sont unanimement contre le report de l'âge légal de la retraite, qu'ils trouvent "injuste". Dans un communiqué commun publié début décembre la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, CFTC, l'UNSA, Solidaires et FSU affirment que "le gouvernement instrumentalise la situation financière du système de retraites et affirme à tort que le recul de l’âge légal de la retraite est un impératif."

" Il y a, certes, un déficit mais c’est l’un des déficits les plus faibles qu’il y ait eu avant une réforme. En 2003, la question de la viabilité du système était posée, en 2013 idem, aujourd’hui, ça n’est pas le cas, il n’y a pas le feu dans la maison", renchérit Laurent Berger, du syndicat réformiste CFDT. Selon lui, cette réforme "va d'abord impacter les plus modestes", "ceux qui exercent des métiers difficiles et qui ont commencé tôt ".

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

Même son de cloche à à la CFE-CGC, syndicat des cadres, où le président François Hommeril insiste : cette réforme "très injuste (…) n'est pas justifiée par des questions d'équilibre" budgétaire. Le secrétaire général de l'UNSA Laurent Escure prédit "un conflit social très dur, très profond" ; "une forte mobilisation" pour Force Ouvrière, qui rappelle qu' "une majorité de Français sont contre un recul de l’âge de départ ou un allongement de la durée de cotisation".  Selon un sondage Harris Interactive-Toluna pour RTL publié lundi 2 janvier, 54% des Français sont contre la réforme des retraites.

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, favorable au rétablissement de l'âge légal de départ à 60 ans, parle lui d'une réforme des retraites "dogmatique" et prédit des "mobilisations importantes dès ce mois de janvier". "J'ai dit à la Première ministre qu'elle avait réalisé un exploit : ça faisait 12 ans que l'ensemble des organisations syndicales dans ce pays ne s'étaient pas unies contre une réforme", ironise-t-il.

Seul le patronat considère qu'il s'agit d'une réforme "indispensable", selon les mots de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef.

Qu'en disent les économistes ?

Si le Conseil d'orientation des retraites (le COR, qui conseille le Premier ministre) ne tranche pas la question de la réforme, renvoyant à "un choix politique", le COR sous-entend que l'exécutif aurait besoin d'une réforme pour tenir ses promesses de redressement des comptes publics. Toutefois, pour l'économiste Thomas Piketty, "le volume total de ce qui est dépensé pour les retraites en France, est à environ 14% du PIB" et s'est déjà "stabilisé, voire a diminué ces dernières années". "Ce n'est certainement pas la priorité de diminuer encore davantage".

Selon lui, "l'inégalité entre classes sociales n'est pas du tout prise en compte" dans la réforme actuelle et d'autres réformes "complètement différentes, seraient possibles". "Tous ceux qui ont fait des études ne paieront rien de cette réforme. Tous ces milliards d'euros [seront récupérés] sur ceux qui n'ont pas fait d'études", c'est-à-dire ceux qui auront atteint leurs 43 ans de cotisation avant le nouvel âge légal, et devront continuer à travailler.

Une position similaire à celle de l'économiste Daniel Cohen, selon lequel on va demander au Français "de travailler plus pour gagner la même chose qu'avant. Donc il y aura une perte de pouvoir d'achat". Il estime que "cette réforme n'est pas nécessaire au sens macroéconomique du terme. Et si elle doit l'être, c'est pour permettre aux retraités de gagner davantage".

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

De son côté, Dominique Seux, économiste de formation et directeur délégué de la rédaction du journal Les Echos, chroniqueur sur France Inter, estime qu'il y a "un problème financier, un déficit" et que si la réforme n'est pas menée, "il faudra à un moment baisser les pensions, augmenter les cotisations ou emprunter à nouveau, et donc que le système ne tiendra pas". Il ajoute que "l'âge effectif de départ [à la retraite en France] est plus bas que dans la quasi-totalité des pays."

Comment sera prise en compte la pénibilité du travail ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement assure que les carrières longues et la pénibilité du travail seront pris en compte. Mi-décembre, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a indiqué que le dispositif actuel de "carrières longues", qui permet déjà aux personnes ayant travaillé cinq trimestres avant leurs 20 ans de partir à la retraite deux ans avant l'âge légal sera maintenu. Le gouvernement compte par ailleurs créer un dispositif pour les "carrières très longues" destiné aux personnes ayant cotisé dix trimestres avant leurs 20 ans ou bien cinq trimestres avant leurs 18 ans. Ce dispositif, cher au syndicat des artisans, devrait permettre à certains travailleurs de partir quatre ans avant l'âge légal de départ à la retraite, soit 60 ou 61 ans.

L'exécutif dit également vouloir mieux prendre en compte la pénibilité de certaines professions, avec la création d'un fonds de prévention de l'usure professionnelle, financé par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Il envisage également de créer un droit au congé de reconversion pour les salariés bénéficiaires d'un compte professionnel de prévention (C2P), où ceux-ci accumulent des points pour leurs heures de nuit, ou de travaux dans des conditions à risque. Les critères permettant d'accumuler des points pourraient être allégés et de nouveaux pourraient être ajoutés. À l'heure actuelle, ces points peuvent être utilisés pour réaliser une formation ou pour anticiper jusqu'à deux ans un départ à la retraite.

L'exécutif espérait convaincre la CFDT de se rallier à la réforme grâce à ces mesures sur la pénibilité (carrières longues ou emploi des séniors) mais lors de son dernier rendez-vous à Matignon, le chef de file du syndicat Laurent Berger a précisé n'avoir "pas eu beaucoup d'éclaircissements à ces sujets".